Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde. Bertolt Brecht
Extrait du document
«
Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde.
Bertolt Brecht
• Cette phrase fait partie de l'épilogue de la pièce écrite par l'auteur allemand Bertolt Brecht (1898-1956) : La
Résistible ascension d'Arturo Ui (Arche).
Le mot « Résistible » exprime l'idée que cette ascension aurait pu être
arrêtée.
Ecrite en 1941, en Finlande, alors que Brecht, fuyant l'invasion de l'armée allemande, s'apprête à partir aux
Etats-Unis, la pièce est publiée tardivement (en 1957) et représentée en 1958, elle connaîtra une diffusion rapide
auprès des publics du monde entier.
Traduite en 1959 en France, par Armand Jacob, elle sera représentée peu
après, par Jean Vilar et Georges Wilson, au T.N.P., le l5 novembre 1960.
Épilogue et prologue encadrent la pièce (17 tableaux) pour en souligner l'actualité vécue.
A cet égard, le prologue
met l'accent sur le récent passé, toujours vivace dans la mémoire des spectateurs : le banditisme de l'entre-deuxguerres, tel qu'il sévit à Chicago et dans la ville voisine de Cicero.
Dans la pièce, Arturo Ui, le chef des gangsters, a la stature d'un Al Capone (que Brecht, du reste, cite dans la
pièce).
La fin du prologue met fortement en évidence le caractère de chronique que présente le spectacle, même si
le Bonimenteur, soucieux d'attirer le chaland, vante « le grand style tragique» du drame :
« Tout est représenté en grand style tragique, Mais sans quitter d'un pas le réel authentique.
Nous ne vous
montrons pas une fiction nouvelle, Rien d'inventé ou bien d'imaginaire,
D'expurgé, de refait afin de mieux vous plaire.
Ce que nous vous montrons est partout bien connu : Le drame des gangsters que chacun a vécu.
»
L'épilogue se réfère également au passé, mais c'est pour en tirer l'enseignement, applicable au présent en train de
se vivre et, bien entendu, à l'avenir.
Cette fois, comme en témoigne la pièce qui vient d'être représentée, le
spectateur relie immanquablement la dénonciation du grand banditisme et celle du nazisme qui vient en contrepoint.
C'est que Brecht prend soin d'exhiber, à la fin de quelque 13 tableaux (sur 17), des écriteaux dont la fonction est
d'établir un rapprochement entre les agissements des gangsters et les manoeuvres d'Hitler en vue d'accéder au
pouvoir.
La crise économique de 1929 n'est-elle pas à l'origine du nazisme et du grand banditisme ?
Brecht nous exhorte, dans l'épilogue, à comprendre, c'est-à-dire à interpréter ce que, dans notre actualité la plus
quotidienne, nous ne savons pas « voir»; du même coup, il nous presse d'agir et non de « bavarder».
Ce qui a été
peut se reproduire.
Evoquant le retour éventuel de l'ennemi, Brecht recourt à la métaphore de l'enfantement monstrueux.
Le diable,
cette « bête immonde» (immonde signifie impure; les évangélistes le dénomment l'esprit impur), peut surgir d'un
nouvel enfantement de l'Histoire et tenter, une nouvelle fois, de dominer le monde.
Si toute victoire sur le mal demeure précaire, il importe d'être vigilant et de faire preuve de clairvoyance et de
courage pour combattre le mal, le moment venu.
Tel est l'enseignement auquel doit conduire la représentation :
ÉPILOGUE
« Vous, apprenez à voir, au lieu de regarder
Bêtement.
Agissez au lieu de bavarder.
Voilà ce qui a failli dominer une fois le monde.
Les peuples ont fini par en avoir raison.
Mais nul ne doit chanter victoire hors de saison : Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête
[immonde.
»
Dans des Notes, rédigées quelque treize années après l'écriture de la pièce, Brecht identifie celle-ci à une «
parabole dramatique» : « Ui est une parabole dramatique écrite avec le dessein de détruire le traditionnel et néfaste
respect qu'inspirent les grands tueurs.» Cette expression est révélatrice de la fonction que Brecht assigne à son
théâtre.
Il
suffit de se reporter aux paraboles des évangiles pour comprendre que, à l'instar du Christ, Brecht se propose de
secouer l'apathie, voire l'inertie de ses interlocuteurs (les spectateurs, en l'occurrence).
Ces derniers, selon
l'épilogue, n'ont que trop tendance à «regarder bêtement» le spectacle, à se laisser détourner par l'illusion théâtrale,
au lieu de s'engager dans une réflexion mûrement conduite.
« Apprenez à voir », précise-t-il, ce qui met en cause la
saisie de la vérité qui se dissimule, au-delà des apparences du spectacle vu et entendu.
Le Christ s'explique à ses
disciples sur la raison qui motive le recours aux paraboles, la parabole du semeur servant, en la circonstance, de
modèle :
«C'est pourquoi je leur parle en paraboles, car voyant ils ne voient pas et bien qu'ils entendent, ils n'entendent ni ne
comprennent.
De sorte que s'accomplira à leur propos la prophétie d'Isaïe qui dit :
— Vous entendrez avec vos oreilles, mais vous ne comprendrez pas : et vous verrez avec vos yeux, mais vous ne
distinguerez pas...
» (Matthieu, XIII, 13)
La parabole offre l'intérêt, en un premier temps, de se faire immédiatement comprendre car elle s'appuie sur
l'expérience concrète, imagée, vécue au quotidien, de tout un chacun.
Si elle paraît se suffire à elle-même, c'est
dans la mesure où sa signification profonde demeure soustraite à la réflexion, au raisonnement, bref, à l'éveil de
l'esprit.
Et le Christ d'expliquer à ses disciples la portée de chaque détail constitutif de la parabole du semeur...
Le propre de
la parabole, c'est, justement, de susciter un décodage, une interprétation, qu'elle réclame en un second temps.
Le
Christ y insiste : « Car il n'y a rien de caché qui ne soit destiné à être révélé; et il n'y a rien de secret qui ne soit.
»
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