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Le progrès scientifique est-il nécessairement suivi du progrès moral ?

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« Le progrès scientifique est-il nécessairement suivi du progrès moral ? Il ne faut pas hésiter à répondre non.

On a cru, on croit encore dans certains milieux à la vertu moralisatrice de la science : c'est une illusion.

Les faits l'ont prouvé : le développement de la culture scientifique, la diffusion de la science, considérable depuis un siècle et demi, et dont les effets sociaux sont connus de tous, n'ont amené aucune amélioration morale; s'il y a eu parallèlement progrès moral, ce progrès doit être expliqué par d'autres causes. Sans doute la culture scientifique développe en nous certaines facultés qui sont des éléments de la moralité. Elle donne au jugement de la rectitude, elle habitue l'homme à raisonner, et tout progrès de la raison et du jugement est un gain pour la conscience morale.

D'autre part, la vraie science comporte la recherche désintéressée, le dévouement à l'idée pure, la sincérité, le culte du vrai; et ce sont encore là de précieuses qualités.

La science, assurément, a une valeur morale. Mais les progrès de la raison n'ont en morale qu'une importance secondaire.

Les vrais progrès, ici, sont ceux de la volonté et du coeur.

Il ne semble pas que la science y contribue beaucoup.

L'esprit scientifique s'allie très bien avec des théories d'une immoralité évidente, ou avec la sécheresse de sentiment, avec l'intolérance, l'esprit sectaire, etc. D'autre part les effets sociaux du progrès scientifique ne sont pas tous moralement approuvables.

Qu'on réfléchisse seulement à ceci : la science a créé l'industrialisme, et par là favorisé la passion du gain; exaspéré la concurrence des individus et des groupes; indirectement, elle a été un des facteurs de l'étrange état social où nous vivons, des agglomérations malsaines d'hommes dans des centres pléthoriques comme Paris, Londres, New-York, Chicago, etc.

; elle a, pour sa part, et en vertu de ces mêmes faits, avivé les haines sociales et l'âpreté des luttes de classes.

Tout cela, on en conviendra, n'est pas moral.

Le vieux Rabelais avait peut-être raison de dire, un peu brutalement : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.

» Ainsi que le pensent Herbert Marcuse et Jùrgen Habermas, l'exploitation technique de la nature n'est pas neutre.

«L'a priori technologique est un a priori politique», écrit Marcuse dans L'Homme unidimensionnel.

Cela signifie que si la technique accomplit des «miracles», ces derniers consistent bien plus à asservir l'homme qu'à l'émanciper. • La technique a donc permis à l'homme de maîtriser son environnement.

On accuse pourtant aujourd'hui la technique : épuisement des ressources énergétiques de la planète, réchauffement de la planète...

La technique, élément de la culture humaine, serait en quelque sorte hors de la culture, l'homme ne pouvant plus contrôler ses effets.

Si nous n'en sommes pas encore à la révolte généralisée contre la technique, au moins nous en méfions-nous. • Kant a mis l'accent sur les dangers d'un pur apprentissage technique qui privilégie l'acquisition d'un savoirfaire certain et l'emploi des moyens nécessaires pour atteindre le but à réaliser, mais qui néglige trop souvent la formation du jugement et la réflexion sur la valeur des fins poursuivies.

Les impératifs techniques sont des impératifs hypothétiques : ils sont au service de l'intérêt.

Ils ne disent rien sur la valeur du but visé.

« Il ne s'agit pas de savoir si le but qu'on se propose est raisonnable et bon, mais de déterminer ce qu'il faut faire pour l'atteindre.

» (Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs).

La technique fait abstraction de la conscience morale. • La technique est bien efficace mais elle n'est pas neutre.

Elle ne pose pas le problème des fins mais elle n'en véhicule pas moins dans ses visées, dans ses méthodes, des partis pris et des intérêts (pourquoi par exemple avoir parié sur le tout nucléaire ? pourquoi développer le génie génétique ?).

La technique est toujours au service de l'homme et des idéologies dominantes. • Il existe donc des dangers réels.

Mais est-ce parce que les hommes utilisent mal la technique (en ce cas celle-ci serait neutre) ou la destruction de l'homme est-elle inscrite au coeur du désir de connaître ? « La rationalité technique et scientifique et l'exploitation de l'homme sont liées l'une à l'autre dans des formes nouvelles de contrôle social » (H.

Marcuse, L'Homme unidimensionnel). • La technique, comme la science, représente la nouvelle idéologie.

« De par les conséquences socioculturelles imprévues du progrès technique, l'espèce humaine s'est elle-même mise au défi non seulement de provoquer la destinée sociale qui est la sienne, mais encore d'apprendre à la maîtriser.

Et il n'est pas possible de relever ce défi lancé par la technique avec les seules ressources de la technique.

Il s'agit bien plutôt d'engager une discussion, débouchant sur des conséquences politiques, qui mette en rapport de façon rationnelle et obligatoire le potentiel dont la société dispose en matière de savoir et pouvoir techniques avec notre savoir et notre vouloir pratique.

» (Jürgen Habermas, La Technique et la science comme idéologie.). »

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