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LE POUVOIR-SENTIR ET LA RÉCEPTIVITÉ EN ART

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Réceptivité : terme introduit par Kant pour caractériser la capacité pour un esprit d'être affecté par des impressions sensibles, donc de recevoir. Synonyme : passivité.

 Mais quel est donc ce symbolisé que je sais ne pouvoir atteindre que par son symbole ? Grâce à l'art, je forme avec moi-même une société secrète : l'artiste me confie la moitié de l'anneau, que je reconstitue dans sa totalité ; cette reconstitution, c'est la jouissance esthétique. Quelle fonction précise est donc celle du symbole, quelle est celle du symbolisé ? C'est ici le lieu de scruter la conscience de l'amateur. Le béotien ne voit pas l'oeuvre-symbole, mais la voit seulement chose physique, comme le Don Juan apprécie à la fois la saveur propre à chaque présumée conquête, et la même Femme à travers toutes les femmes, l'amateur d'art saisit la valeur de telle oeuvre, et l'art dans toute oeuvre. Mais, il faut aussi avoir le don. On attribue couramment le don à l'artiste, non à l'amateur, car le vulgaire est impressionné par la puissance de créer plus que par le pouvoir de jouir. Mais le pouvoir de jouir est pouvoir aussi, non passivité pure. Et il est un don de jouir, distinct du don de créer. Les deux pouvoirs sont complémentaires, sans doute, mais cela veut dire aussi qu'ils sont deux. Puisque l'amateur jouit de l'oeuvre, nous dirons tout d'abord que le phénomène esthétique postule un pouvoir-sentir. C'est à dessein qu'il faut accoler ces deux verbes, le premier exprimant l'activité, le second la passivité, car le don de l'amateur est justement à mi-chemin. L'amateur sent : c'est dire qu'il subit ; mais il est réceptif à l'émotion que veut lui donner l'oeuvre ; il est interdit d'assimiler réceptivité à passivité : elles se distinguent deux fois.

« LE POUVOIR-SENTIR ET LA RÉCEPTIVITÉ EN ART Mais quel est donc ce symbolisé que je sais ne pouvoir atteindre que par son symbole ? Grâce à l'art, je forme avec moi-même une société secrète : l'artiste me confie la moitié de l'anneau, que je reconstitue dans sa totalité ; cette reconstitution, c'est la jouissance esthétique.

Quelle fonction précise est donc celle du symbole, quelle est celle du symbolisé ? C'est ici le lieu de scruter la conscience de l'amateur.

Le béotien ne voit pas l'oeuvre-symbole, mais la voit seulement chose physique, comme le Don Juan apprécie à la fois la saveur propre à chaque présumée conquête, et la même Femme à travers toutes les femmes, l'amateur d'art saisit la valeur de telle oeuvre, et l'art dans toute oeuvre.

Mais, il faut aussi avoir le don.

On attribue couramment le don à l'artiste, non à l'amateur, car le vulgaire est impressionné par la puissance de créer plus que par le pouvoir de jouir.

Mais le pouvoir de jouir est pouvoir aussi, non passivité pure.

Et il est un don de jouir, distinct du don de créer.

Les deux pouvoirs sont complémentaires, sans doute, mais cela veut dire aussi qu'ils sont deux.

Puisque l'amateur jouit de l'oeuvre, nous dirons tout d'abord que le phénomène esthétique postule un pouvoir-sentir.

C'est à dessein qu'il faut accoler ces deux verbes, le premier exprimant l'activité, le second la passivité, car le don de l'amateur est justement à michemin.

L'amateur sent : c'est dire qu'il subit ; mais il est réceptif à l'émotion que veut lui donner l'oeuvre ; il est interdit d'assimiler réceptivité à passivité : elles se distinguent deux fois. La forme reçue par l'élément passif meurt aussitôt, et l'élément retourne à son néant : je puis peut-être écrire du doigt mon nom dans l'eau, personne ne pourra le lire, à moins de suivre de l'oeil mon mouvement et de garder le souvenir de chaque position successive, substituant ainsi la fidélité de la mémoire à l'infidélité du fluide.

Recevant tout, le fluide ne reçoit rien : il est passivité pure.

A l'autre limite, le granit conservera durant un temps dont nous ne pouvons imaginer la mesure la trace du ciseau du sculpteur ou de l'érosion marine.

A mi-chemin, tous les degrés se trouvent : le sable conserve le dessin que trace la pelle de l'enfant mais qu'efface le moindre coup de vent ; la pâte garde la forme que veut le pâtissier, mais il y faut la cuisson, pour consolider.

Être réceptif, c'est déjà être capable de garder une forme, et c'est être apte à la recevoir.

La vigne ne pousse pas dans tous les terrains, l'olivier sur tous les sols, la science mathématique chez tous les élèves de Mathématiques spéciales. Par son aptitude à recevoir la forme, la réceptivité n'est pas passivité : elle s'en distingue encore par un autre pouvoir.

La conscience réceptive est par nature mutable : elle n'est réceptive que pour prendre forme et se réactiver.

La sensitive se ferme dès que sur elle se pose l'insecte.

Ainsi l'artiste par l'oeuvre stimule la conscience de l'amateur qu'il informe, et cette stimulation déclenche réponse.

C'est une trop facile philosophie de l'art qui compare la jouissance esthétique à une invasion, à un envahissement ; il n'est pas d'amateur qui soit borné.

Invasion, envahissement, peut-être ; mais le phénomène d'art ne s'arrête pas là. Voyons les conséquences, et si notre hypothèse portée par la comparaison est compréhensive.

C'est lieu commun que de dire vivante l'oeuvre d'art, mais c'est truisme vrai.

Si vivre c'est agir et même créer ou, plus modestement, recréer, la saisie de l'oeuvre au foyer de ma conscience, en stimulant mon activité, en l'orientant aussi, m'oblige à vivre l'oeuvre, et donc à vivre tout court.

Ce n'est même pas subtiliser à l'excès que présenter l'oeuvre comme deux fois vivante : vivante, d'abord parce que créature qui déborde son créateur et a reçu de lui son autonomie comme Adam a été voulu par Dieu capable de pécher ; vivante aussi parce que, me faisant vivre, elle reçoit la vie de moi après l'avoir reçue de son auteur.

Et ces deux vies s'expliquent mutuellement.

Ma conscience n'est pas une fois pour toutes ce qu'elle est : le terrain que j'offre à l'oeuvre est réceptif tantôt à tel aspect, tantôt à tel autre.

Toujours informable, il ne l'est pas toujours à la même forme.

Certains soirs, je jouirai à fond de la Chanson du printemps de la Walkyrie ; une autre soirée me trouvera plus sensible au sommeil de Brunhilde.

Il faut que mon chant intérieur soit au diapason de celui que chante le poète.

Et nous retrouvons encore cette fonction de l'oeuvre d'être rendez-vous. — Du reste, pour agir, même d'une action entraînée par autrui, il faut être libre.

Il est nécessaire que je puisse recréer l'oeuvre à ma manière et selon mon humeur : sclérosé, pétrifié, je n'agis plus : donc je ne jouis plus. L'oeuvre me doit laisser un certain jeu, que je la puisse traiter à ma guise.

Elle le peut, par sa plénitude.

— Nous voilà renseignés sur la conscience de l'amateur : elle est réceptive pour être recréatrice.. »

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