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Le possible et le réel

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« Introduction.

Le P ossible et le Réel apparaissent comme deux catégories de l'entendement.

O n peut cependant en aborder l'analyse par la voie psychologique, quitte à prolonger ensuite cette analyse sur un autre plan.

Or, du point de vue psychologique, trois perspectives peuvent être ici envis agées. 1.

Perspective de l'action. Demandons-nous d'abord ce que représentent, quant aux conditions de notre action, le possible et le réel. En ce qui concerne le possible, ce sont préc isément ces conditions, c'est « la disc ipline qu'elle représ ente à l'égard de nos ac tions , et des jugements qui s 'y rapportent », qui, s elon LA L A NDE, fait l'unité de cette notion, quoiqu'elle se présente, ainsi que nous le verrons, sous bien des aspects distincts : « Est possible tout ce qui n'est pas condamné d'avanc e, tout ce qui vaut la peine d'être examiné ou tenté, tout ce qui doit entrer dans nos prévis ions », alors que l'idée d'impossibilité est au contraire « la constatation ou l'annonce d'un échec » (LA L A NDE, ibid.). Q u'es t-ce, sous la même perspective, que le réel? C 'est aussi ce qui s'offre à notre action; car celle-ci ne peut s'exerc er que sur une « matière » dont les réponses à nos actes soient, en quelque mesure, prévisibles, — à la différence de l'imaginaire qui n'offre aucune prise à l'action effective.

M ais c 'est en même temps ce qui résiste à notre action, c e qui s'y oppose, ce qui, tout au moins, la limite, ce avec quoi il faut composer pour parvenir à le modifier : c'est, en un mot, l'obstacle.

C eci es t vrai, non seulement de la réalité extérieure, mais même de la réalité s pirituelle : nous n'expérimentons que trop que nous ne pouvons toujours réformer à notre gré notre caractère et surtout notre tempérament; parfois nos idées elles-mêmes, comme l'obs ervait Malebranche, nous résistent. II.

Perspective du social. Il ne faut pas méconnaître les éléments sociaux qui entrent dans notre notion du possible, et à plus forte raison, du réel. 1.

C 'est pourquoi il nous paraît tout à fait faux de donner à l'idée de poss ible, ainsi que le fait BERGSON dans La P ensée et le mouvant, p.

115 et suiv., une signification purement rétrospective.

Le pos sible serait, selon lui, « le réel avec, en plus, un acte de l'esprit qui en rejette l'image dans le passé une fois qu'il s'est produit ». Nous admettons aujourd'hui comme possibles quantité de chos es (par exemple, un voyage inter-planétaire) qui eus sent paru du domaine de l'imaginaire ou de l'utopique, il y a seulement un sièc le.

La notion du pos sible dépend ici des progrès de la tec hnique et de toutes les représentations collectives qui s'y surajoutent. Notre idée du réel est, en ce sens , fonction de notre conc eption du possible, puisque nous tendons à rejeter dans l'irréel ce qui nous paraît manifes tement impos sible.

Elle dépend donc des mêmes fac teurs s o c iaux, et plus étroitement encore; car elle est plus directement en relation avec toute une représentation du monde plus ou moins cris tallis ée à un moment donné de l'histoire dans une civilisation donnée. III.

Perspective proprement psychologique. Examinons maintenant notre attitude mentale dans les deux c as envisagés.

On peut dire que nous ne considérons comme possible ou comme réel que ce qui est capable de venir s'intégrer à un sys tème mental déjà constitué dans notre esprit, ce qui est en accord avec tout un ens emble de représentations anticipées que nous possédons. M ais, dans le c as du possible, ce système mental, quoique préexistant, est relativement ouvert : il laisse plac e à des représentations qui peuvent venir s 'y intégrer; parfois même il autorise un c ertain jeu de l'imagination, voire de la rêverie I.

Le possible se rapproche alors de l'imaginaire.

Il y a lieu d'établir ici une première distinction entre les différents sens du terme : le possible au s ens s ubjectif et le possible au sens objectif C 'est surtout au premier, c 'est-àdire à ce que le sujet qui parle considère comme poss ible, comme n'étant ni vrai ni faux au moment où il parle, que s 'applique ce que nous venons de dire.

Le possible dépend alors de coefficients personnels très arbitraires.

C 'est ainsi qu'un ignorant pourra dire : « Il est possible qu'on parvienne à dépasser la vitesse de la lumière (comme on a dépassé celle du son»), alors que physiquement la vitess e de la lumière est une vitesse limite. I l en va tout autrement du réel.

C ertes, ainsi que nous l'avons vu, la représentation du réel évolue avec les époques et les civilisations.

I l y a même différentes formes du réel, selon « l'univers du discours » auquel on se réfère : univers du savant, de l'artiste, du croyant, etc.

M ais chacun de ces univers forme lui-même un système relativement clos, parce que cristallisé, comme il a été dit ci-dessus, dans une certaine représentation du monde.

A uss i notre attitude mentale es t-elle ici toute différente de ce qu'elle est à l'égard du possible : la « fonction du réel » (Ibid., § 46) exige une tension de l'es prit qui exclut les fantaisies de l'imagination et qui est, avant tout, soucieus e de s'adapter à un objet bien déterminé. IV.

Considérations philosophiques. C es approches psychologiques vont nous permettre maintenant de transporter l'analyse sur le plan philosophique.

Il ressort d'abord de notre examen que, malgré leur opposition apparente, le possible et le.

réel prés entent certains caractères communs .

On pourrait presque dire que le pos sible est, selon l'expression de P.

Janet, du semi-réel ou réciproquement que le réel est du pos sible « consolidé ».

L'un et l'autre se dis tinguent du pur imaginaire, de l'indéterminé, du quelconque.

Il est très dis cutable qu'ainsi que l'écrit RENO U V IER, le poss ible « réclame une ambiguïté, une indifférence entières ».

M ême si, sous sa forme subjective, le possible se rapproche parfois de l'imaginaire, il res te que n'importe quoi n'est pas possible. Le possible se distingue même du contingent.

C omme l'a remarqué C h.

SERRUS (C ité par LA L A NDE, ouv.

C ité), la contingence n'implique qu'une relation logique, et le contingent ne concerne que l'accident.

Le possible, au contraire, est de l'ordre ontologique, et il se rattache à l'essenc e. En revanche, le possible se s itue au-dessous du probable.

C ette dernière notion a quelque c hose de positif : la probabilité s'évalue, il existe un « calc ul des probabilités ».

La possibilité est quelque chose de beaucoup plus vague : sans être, comme le dit Renouvier, la totale indifférence, elle a peut-être une signification surtout négative; elle exprime qu'il n'existe pas d'obstacle dirimant à ce que l'événement se produise, et qu'ainsi, du point de vue de l'action, les voies restent ouvertes. Il y a lieu cependant d'introduire dans cette idée une nouvelle distinction.

« La possibilité d'une chose, écrit LEIBN IZ (M édit.

sur la c onnaissance...), nous est connue u priori quand nous résolvons la notion en ses éléments ...

et quand nous savons que rien entre eux n'est incompatible.

» A insi, la c ontradiction est « le véritable et unique signe de l'impos sibilité » (Lettre à C onring, 19 mars 1678).

Encore faut-il ajouter que, s i « les deux contradictoires s ont s ouvent possibles toutes deux » (prises isolément), elles ne peuvent cependant « exister toutes deux » dans un même univers (T héodicée, § 409), c'est-à-dire qu'elles ne sont pas compossibles . M ême avec cette addition, ceci ne définit encore que la possibilité logique.

A côté de c elle-c i, il y a lieu de cons idérer la possibilité physique, c'est-à-dire la compatibilité avec l'expérience (et non plus avec la logique pure), avec les lois de la nature.

LEIBNIZ lui-même est obligé d'acc order (Remarques sur une lettre d'A rnauld) « qu'il n'y a point d'autre réalité dans les purs pos sibles que celle qu'ils ont dans l'entendement divin ».

A utrement dit, « la possibilité est le principe de l'ess ence » et, bien que « tous les possibles, c 'est-à-dire toutes les expressions de l'essence, tendent à l'existence » (O rig.

radicale des choses), toutes les essences contenues dans l'entendement divin ne s e réalisent point.

M A L E B R A N C HE avait distingué plus nettement la substance de Dieu qui renferme « les essences de tous les êtres et toutes leurs modalités possibles » et les libres décrets divins d'où résultent « leur existence et toutes leurs modalités ac tuelles » (Entr.

métaphysiques, V III, § 10).

La distinction du possible logique et du possible physique apparaît donc comme indispensable, si l'on veut échapper à un nécessitaris me tel que celui de SPINO Z A pour lequel tout découle, s elon le mode déductif, de l'essence même de Dieu, ce qui ne laiss e plus de plac e à la contingence ni à la liberté humaine. Le réel représente précisément cet as pect de nécess ité; car, ainsi que le dit REN O U V IER (ouv.

C ité, II, p.

108-110), la nécess ité est le « caractère des phénomènes ac tuels et particuliers »; c'est « une forme attachée à toute actualité donnée dans la représentation ».

Le réel, c 'est ce qui s'impose. Conclusion.

La distinction entre le pos sible et le réel se justifie par toutes les raisons que nous avons dites, et elle doit être maintenue contre un néces sitarisme qui, absorbant le possible dans l'être, risque de ruiner les conditions de l'action humaine.. »

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