Le matérialisme est-il un désenchantement ?

« Le terme matérialisme vient du latin materia qui signifie matière.

Dans la vie quotidien, il est employé de manière péjorative pour caractériser un attachement excessif aux biens matériels au détriment des biens spirituels et d'un idéal de vie.

Dans la philosophie, le mot peut prendre différentes significations même si toutes ne varient que de degré et ont un fond commun.

Il désigne en effet soit les théories que l'on appelle moniste selon lesquelles la matière et la seule réalité existante, soit à la réalité fondamentale à partir de laquelle s'explique la vie spirituelle.

Dans son premier sens, les philosophes tentent d'expliquer l'origine et le fonctionnement du monde par les seules lois de la physiques, interdisant ainsi tout principe transcendant.

Dès lors il ne faut plus voir le monde que pour ce qu'il est, des interactions entre éléments liées par les lois de la nature.

Mais cette vision des choses ne peut-elle pas permettre d'éviter toutes les fictions que les hommes s'inventent depuis la nuit des temps pour expliquer la cosmogénèse tels les Dieux, les Réalités Intelligibles? Cette méthode de recherche ne peut-elle pas être une méthode d'explication efficace? 1.

Le matérialisme en ramenant toute réalité à la physique enlève tout idéal et toute possibilité d'action à l'homme Le matérialisme est donc avant tout un courant scientifique qui tente de ramener tous les phénomènes à la matière, sans ajouter d'entités extérieures dans l'explication, selon la règle établie par Guillaume d'Ockham. Les premiers matérialistes tels Démocrite et Épicure sont appelés atomistes parce qu'ils tentent d'expliquer l'univers et la matière à partir d'atomes, particules indivisibles assemblés par hasard et de manière purement mécanique.

La formation du monde et la vie dès lors s'explique par les positions, les mouvements, les collisions et les associations de ces atomes qui en sont la seule réalité.

Épicure, va à l'encontre de son époque en affirmant qu'il n'y a aucune intervention divine qui régit le fonctionnement du monde. La philosophie moderne quant à elle, pousse le matérialisme à l'extrême puisqu'elle en vient à nier l'existence de l'âme.

Le matérialisme tend alors à identifier la pensée aux mécanismes du cerveau et celle-ci est alors associée à un pur rapport de cause à effet.

Dès lors, l'homme est prisonnier de sa finitude. Le monde n'est plus alors que ce qu'il est pour nous, tel qu'il nous apparaît.

Il n'y a plus d'espoir à aller chercher dans une vie ultérieure puisque notre vie se résume à celle que nous vivons.

Mais surtout comme le disait Sartre, s'il n'y a plus de réalité transcendante( séparée de celle que nous connaissons) la vie humaine n'a plus de sens, ni de valeurs, puisqu'elle n'est justifiée par aucune perfection supérieure. De plus, si les pensées humaines et leur fonctionnement semblent aussi soumises aux lois de la nature que les autres phénomènes, il n'y a plus de libre-arbitre humain et les valeurs humaines disparaissent.

Par exemple, l'amour peut être expliqué par la libération de certaines molécules dans le cerveau et perd ainsi tout caractère sacré ou idyllique qu'on lui accorde. 2.

La connaissance vraie du monde peut permettre de prendre justement son existence en main Spinoza rappelle que la liberté de l'homme est une illusion qui prend appui sur le fait que ce dernier n'a pas connaissance des causes qui le poussent à l'action.

Il se croit maître de ses pensées et de ses actions alors que celles-ci sont en fait déterminées par des objets et actions extérieures.

"Les hommes se trompent en ce qu'ils se croient libres; [...] ils sont ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés." " l'Âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre." Éthique, Livre II. Mais Spinoza ne s'arrête pas à cette simple constatation, il élabore à partir de là une nouvelle liberté qui se fonde sur la prise de conscience et la connaissance des déterminations de l'homme pour s'en servir et s'auto-déterminer. De même, les béhaviorismes( courant philosophique qui tente d'expliquer le fonctionnement de l'homme que comme excitationréaction) refusent l'existence de l'âme en tant qu'elle est une illusion crée par l'église pour s'assurer le pouvoir sur les croyants. Le matérialisme dès lors s'oppose aux illusions de toute sorte qui en postulant une existence autre que matérielle mène l'homme à la déraison et au fanatisme.

En fait, en ramenant la réalité à la matière, on n'enlève pas à l'homme la possibilité d'agir mais on lui rend sa responsabilité.

Il n'agit plus pour satisfaire un Dieu, ou par obéissance un esprit ou des superstitions.

Comme le dit Sartre, en l'absence d'un au-delà, l'homme ne peut plus que se référer à lui-même pour prendre ses décisions et acquiert par là une responsabilité totale. 3.

Le matérialisme en tant que simple méthode n'est pas toute la vérité Le matérialisme est surtout, il ne faut pas l'oublier, une méthode d'explication de notre monde et non un système général du monde. C'est sur elle que Marx s'appuie pour expliquer les structures sociales à partir des structures matérielles et économiques de la société. Cela lui permet de mettre en évidence l'illusion sur laquelle repose la religion et l'art : ils permettent tous deux à l'homme d'y projeter ses aspirations, ses désirs frustrés par les conditions sociales. Le matérialisme peut donc nous aider à critiquer et à mettre à mal certaines illusions néfastes et à expliquer les phénomènes de notre monde.

Il faut cependant prendre conscience que l'homme a besoin de croire en quelque chose.

Le matérialisme, en tant que méthode, permet de remettre en cause nos croyances pour qu'elles ne deviennent pas dangereuses, parce qu'elles se prennent pour des vérités. Pourtant, comme le dit Nietzsche, toutes les croyances et les illusions ne sont pas néfastes, elles remplissent un vide existentiel et elles sont vitales.

Pour lui, la vérité est un choix, nous pouvons connaître la vérité du monde, sa matérialité et cependant vouloir l'erreur, l'illusion parce que nous pouvons aimer d'autres choses que la vérité, par exemple le plaisir, le pouvoir, l'action. Ainsi, si le matérialisme en refusant toute entité immatérielle et transcendante à notre monde, semble en effet enfermer l'homme dans un monde de lois et de déterminisme qui ruine à l'avance la possibilité d'action et lui enlève tout but, tout idéal.

Pourtant le matérialisme se donne plutôt pour but de casser les illusions humaines et lui redonner à la place la possibilité et responsabilité de son action, en l'exhortant à connaître mieux le monde.

Le matérialisme peut dès lors se révéler une méthode d'explication efficace quant aux processus humains et lui permettre de réfléchir à ses croyances et à ses idéaux.

Cependant, il revient à tous de faire le choix de l'illusion et de continuer à mettre sa vie sous la recherche d'un idéal, idéal qui n'est pas forcément un être supérieur mais une valeur tel que le respect, l'amour, qui n'existent que parce que l'homme y croit.. »