Le langage permet-il de tout dire ?
Extrait du document
«
[Le langage permet de dire tout ce que nous voulons dès
que nous le maîtrisons bien.
Il contient tellement
de possibilités qu'il y en a nécessairement une
qui me permet de dire ce que je veux.]
Platon définissait la pensée comme un silencieux dialogue intérieur de l'âme avec elle-même : cette conception, dont l'idée littéraire contemporaine
d'un « monologue intérieur » vient honorer l'actualité, repose au contraire sur l'idée d'une consubstantialité entre le langage et la pensée.
C'est
dire que les idées ne nous viennent qu'en mots, que des mots circulent en nous.
Même si ce n'est pas moi qui pense, même s'il fallait donner
raison à Nietzsche dans sa célèbre critique du cogito cartésien, même s'il fallait dire plutôt « ça pense en moi » que « je pense », alors il faudrait
dire « ça parle en moi ».
Tout à fait à l'inverse, donc, d'un culte de l'ineffable qui pose l'extériorité radicale et réciproque du langage vis-à-vis de la
pensée, cette conception fait du mot l'élément même de la pensée.
« Notre plus vieux fonds métaphysique est celui dont nous nous
débarrasserons en dernier lieu, à supposer que nous réussissions à nous en
débarrasser - ce fonds qui s'est incorporé à la langue et aux catégories
grammaticales et s'est rendu à ce point indispensable qu'il semble que nous
devrions cesser de penser, si nous renoncions à cette métaphysique.
Les
philosophes sont justement ceux qui se libèrent le plus difficilement de la
croyance que les concepts fondamentaux et les catégories de la raison
appartiennent par nature à l'empire des certitudes métaphysiques; ils croient
toujours à la raison comme à un fragment du monde métaphysique lui-même,
cette croyance arriérée reparaît toujours chez eux comme une régression
toute-puissante.
»
Nietzsche, La Volonté de puissance, $ 97.
Dans ce texte énergique, Nietzsche met le langage au centre d'une de ses
thématiques récurrentes : l'invention et la culture d'un arrière-monde
platonisant.
Le langage –premier temps du texte- est en effet dépositaire
(« s'est incorporé à ») d'une croyance qui s'est cristallisée en lui, et qui est devenue grégaire à ses yeux.
C'est la
croyance, qu'exprime la présence de l'adjectif « métaphysique », en un monde des Idées, croyance héritées de
Platon (« notre plus vieux fonds »).
Dans le texte, cette croyance est maladive et compulsive en ce qu'elle nous
détourne de ce qui est à ses yeux la seule valeur, mais aussi celle qui réclame le plus de courage et d'oubli : la
Vie.
Pour faire face à la vie et la célébrer, il faut se délivrer, se débarrasser de cette croyance : ce serait la tâche
d'un surhomme, d'un Zarathoustra.
Cette nécessité est d'autant plus ardente aux yeux de Nietzsche que la
pensée est menacée (« nous devrions cesser de penser, si...
»), prise entre le marteau métaphysique et l'enclume
du langage : l'expression «catégorie grammaticale », qui renvoie au concept, témoigne de ce que la grammaire est
devenue métaphysique, et la métaphysique grammaticale.
C'est pourquoi, dans un second temps : « les
philosophes...
»), Nietzsche lie les difficultés qui attendent les philosophes sur le chemin de cette libération à la
profondeur de la sédimentation métaphysique du langage.
Descartes, par exemple, fait partie de ceux qui sont ici
visés, des victimes d'une croyance induite par la grammaire en une valeur ontologique.
En un autre texte,
Nietzsche prend le « je pense » pour exemple de ce piège grammatical : certes il y a en moi de la pensée, mais
croire que c'est moi qui pense, c'est croire que le « je » grammatical est bien le sujet.
La raison cartésienne comme.
»
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