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Le langage n'est-il qu'une gène pour la pensée

Extrait du document

« Le langage est sans doute le signe le plus immédiat de l'intelligence; aucun animal supérieur, en effet, ne partage cette fonction avec l'homme.

Mais celui-ci ne peut user des cadeaux de la vie sans s'interroger sur leur nature et poser la question de leur valeur; sa destinée consiste à tout passer au crible de la réflexion.

C'est seulement peu à peu, d'ailleurs, qu'il prend conscience de nouveaux terrains à explorer; d'abord il y vivait et s'y épanouissait dans l'élan sans retour d'un optimisme victorieux : Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. A ce distique confiant s'oppose cette constatation chargée de doute : Les plus beaux vers sont ceux qu'on n'écrira jamais. Quel parti prendre ? Nous engagerons une réflexion sur ce dilemme en montrant que le langage est.

une nécessité de droit pour l'homme, en vertu de sa double nature, et nous verrons les différentes formes de ce langage.

Nous nous demanderons alors pourquoi et comment il peut constituer une entrave pour la pensée; finalement, nous rechercherons le sens de cette gêne en établissant qu'elle a bien un sens et en indiquant comment on peut s'y engager. L'homme est esprit incarné.

Son âme ne peut commencer à subsister et atteindre sa plénitude qu'en informant un corps, en spiritualisant une matière.

Ainsi l'activité par laquelle l'esprit accomplit sa vocation a pour symbole, à notre échelle, l'effort de l'homme vers la parfaite coïncidence avec soi dans l'exercice du pouvoir intellectuel, autrement dit, dans la pensée.

Or nos idées ne sont pas de purs produits de notre esprit individuel, même considéré dans sa plus haute activité : ce sont des réactions de l'intelligence qui a pris contact, par la sensibilité, avec des êtres matériels agissant sur celle-ci selon leur forme.

De sorte que l'activité réactionnelle a pour contenu, au moment où son immanence la fait pleinement claire à elle-même, la forme de l'objet.

Mais comme cette forme n'a aucune subsistance séparée — il n'y a pas de sphère en soi existant en dehors des sphères matérielles -- la connaissance qu'elle rendra possible sera celle de l'être particulier qu'elle informe. D'ailleurs, dans toute action, la fin est corrélative au principe.

Aussi notre connaissance qui s'amorce par un contact matériel s'achève matériellement, dans la production du « verbe mental n, qui est intérieur au a verbe.

oral » mimant à son tour, par le moyen du corps, la forme assimilée par le truchement de la sensibilité.

Le langage est donc indispensable à la pensée humaine en tant qu'elle a pour fonction d saisir les formes. Le langage est encore nécessaire à chaque homme pour' communiquer avec les autres personnes et prendre ainsi conscience de lui même.

Nous avons avec les autres un mode de communication profondément différent de l'appréhension des objets.

Il ne se réalise cependant lui aussi que par l'intermédiaire du corps, dans son origine et dans son expression terminale.

Par cette communication personnelle, nous accédons à, l'affirmation de l'existence, existence de nous-mêmes comme sujets en face d'autres sujets — existence des objets.

D'où, pour la pensée, cette fonction d'affirmation inséparable d'ailleurs de la première qui lui est plutôt corrélative et subordonnée.

Dans l'un et l'autre cas, la matière est là comme condition inévitable. Aussi l'homme possède-t-il un vaste clavier d'expressions diverses.

Il y a d'abord la mimique corporelle ou gestuelle et la parole inarticulée dont l'enfant se sert pour manifester ses émotions ou ses désirs.

Et l'on peut remarquer ici combien cette mimique commune à l'homme et à l'animal est cependant différente chez l'un et chez l'autre.

Pour l'animal, le signe est uniquement affectif, il est toujours lié hic et nulle à la chose signifiée; pour l'homme, au ,contraire, la chose se détache en quelque sorte du signe qui devient un moyen de l'exprimer partout et en toute occasion.

L'animal crie quand il souffre; l'enfant découvre en outre, dans cette réaction, une signification objective : c'est pourquoi il pourra crier pour faire croire qu'il souffre.

Vient ensuite un langage de plus en plus perfectionné, dont la richesse apparaît bien si l'on songe à l'immense variété des langues, dialectes ou patois qui se partagent l'univers.

Il y a aussi l'écriture aux mille formes, depuis les hiéroglyphes, dessins de ce qu'il signifient, jusqu'aux écritures phonétiques, adaptées à la diversité des sons vocaux par lesquels le langage parlé désigne ses objets. Toute nécessité n'est pas forcément bonne.

Certains déterminismes sont lourds à porter, et l'on cherche à s'en libérer.

La nécessité d'employer, pour penser, un système de signes est-elle de cet ordre ? A beaucoup d'égards, oui.

Voyons pourquoi et comment s'exerce cette contrainte. Le corps limite l'âme.

Il est pour elle, nous l'avons dit, condition de réalisation de ses virtualités.

Mais condition parfois bien rude ! Nous ne réalisons chacun qu'une infime partie des richesses de l'humain, Nés A une époque et dans un lieu précis; enfermés, par les bornes qu'imposent à notre culture les lois du monde, dans un espace humain fort restreint, nous sommes à la vérité très pauvres.

On ne peut réunir en soi l'habileté du technicien et la sagesse du penseur; la tendresse de l'artiste et la force du guerrier.

Jamais l'habitant des plaines fertiles ne connaîtra les émotions du montagnard; envoûté par le charme des glauques océans, le marin ignore complètement la lourde familiarité du paysan avec la glèbe, les saisons et leurs travaux.

De la même manière, le langage contraint la pensée dont il est le corps. Voyons, par quelques exemples, comment s'exerce cette contrainte.

Le langage condamne la pensée à revêtir une expression propre à un groupe linguistique déterminé.

On prend conscience de ce fait quand un entend parler un homme qui possède une langue étrangère : lorsqu'il s'agit de rendre certaines nuances, il ne croit pouvoir le faire qu'en lui empruntant quelque tournure : « heimlich » dit quelque chose de plus que « familier », ou « intime »; « spleen » n'est pas une traduction purement univoque de « mélancolie ».

Il existe aussi des idiomes inaptes à exprimer certains concepts.

Nos langues actuelles sont extrêmement riches, issues de civilisations et de cultures. »

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