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Le journaliste est-il un historien ?

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« Le mot d'histoire désigne aussi bien ce qui est arrivé que le récit de ce qui est arrivé ; l'histoire est donc, soit une suite d'événements, soit le récit de cette suite d'événements.

C eux-ci sont réellement arrivés : l'histoire est récit d'événements vrais, par opposition au roman, par exemple.

P ar cette norme de vérité, l'histoire, comme discipline, s'apparente à la science ; elle est une activité de connaissance.

Le journalisme, lui semble s'attache au temps présent, aux événements du jour, à l'histoire du temps présent si on peut dire.

L'historien se placerait au plan du médiat, du recueil des informations, d'un travail de réflexion critique, le journaliste lui s'intéresserait plus à la transcription de l'immédiat, à la production d'une photographie de la réalité telle qu'elle est arrivé il y a un jour ou une semaine.

C 'est aussi se demander quelle est la nature même de la profession de journaliste et d'historien, et dans quelle mesure ou non le journalisme se rapproche du travail de l'historien. 1) Le métier d'historien Je définis volontiers l'histoire, écrivait Lucien Febvre en 1947 à un besoin de l'humanité, le besoin qu'éprouve chaque groupe humain, à chaque moment de son évolution, de chercher et de mettre en valeur dans le passé les faits, les événements, les tendances qui préparent le temps présent, qui permettent de la comprendre et qui aident à le vivre.

» Ecrire l'histoire consiste donc à raconter ce qui s'est passé, mais cela demande un travail de recherche qui ne peut être fourni dans l'immédiat, l'histoire doit fournir une photographie du passé, mais cette photographie ne doit pas être produite aussi rapidement que l'événement lui-même.

L'immédiateté du travail de journaliste oblige ce dernier à ne pas effectuer un véritable travail historiographique.

Le journalisme est un métier, l'histoire une science.

Q ui se caractérise par des procédures et des problèmes.

T oute recherche historique trouve sa justification dans la mesure où le chercheur s'efforce de résoudre une question bien délimitée qui se situe elle-même dans une perspective exactement définie.

A utrement dit, comme le spécialiste des sciences physiques, l'historien doit procéder par hypothèse, recherche documentaire de la preuve, reconstitution des éléments de réponse, vérification ou infirmation du point de départ ; c e dernier est donc l'hypothèse, moteur essentiel de la démarche du chercheur, et la fécondité d'une recherche est fonction de la perspicacité avec laquelle cette hypothèse de départ a été établie.

Une telle exigence qui n'avait rien d'original aux yeux des scientifiques, habitués depuis longtemps à reconnaître que la science crée ainsi son objet, a provoqué des résistances parmi les gens de métier : admettre que seule une problématique cohérente, établie avec prudence et imagination à la fois, peut animer la recherche et faire « parler » le document, c'était bien reconnaître que la description linéaire de celui-ci, même critiqué, ne fait pas d'elle-même jaillir les problèmes ; et qu'un morne lecteur n'est point historien valable, mais au plus « manœuvre de l'érudition », selon le mot de M arc Bloch.

T out effort de recherche était donc à situer dans une perspective d'ensemble, susceptible de fournir au terme de l'investigation les éléments d'une explication globale.

Le journaliste, lui semble s'intéresser qu'aux faits particuliers.

De ce point de vue, il n'y a de science que du général.

C omme toute science, l'histoire chercherait des constantes dans les faits du passé, elle chercherait à tirer des vérités des statistiques, des chiffres. L'histoire et le journalisme : le global contre le particulier. L'histoire humaine n'est pas l'histoire des individus, mais celle « des sociétés humaines », ou « de l'homme en société », de ce qu'il y a de « collectif » chez l'homme.

En fait, le mot juste est celui de spécificité ; donnons-en deux exemples, empruntés, l'un aux choses humaines, l'autre à la nature.

J'entreprends d'écrire la vie des paysans nivernais sous Louis XIV .

L'un de ces paysans, nommé P ierre à la Guillaume, est mort assez jeune après avoir épousé une veuve qui avait du bien au soleil ; en matière religieuse, il était « conformiste saisonnier » et faisait ponctuellement ses pâques, etc.

V ais-je raconter la vie de ce P ierre ? Non, car, historien désintéressé, je n'ai aucune raison de m'intéresser singulièrement à c e paysan plutôt qu'à n'importe quel autre de ses semblables ; il n'est pas mon ancêtre et, quand il le serait, ce n'est pas l'histoire de ma propre famille que je suis en train d'écrire.

O r, dès que je cesse de m'intéresser à ce P ierre « parce que c'est lui », je m'aperçois que tous les détails de la vie de Pierre sont à confronter avec les détails correspondants de la biographie de chacun des autres paysans nivernais : la mortalité aux différents âges, le mariage, les secondes noces, la politique matrimoniale, la répartition de la propriété, la pratique religieuse ; ce sont autant de traits spécifiques de la vie des paysans nivernais.

A insi, à un recueil de biographies de paysans, je substituerai un recueil d'items spécifiques ; ce recueil n'est pas autre chose que l'« histoire des paysans nivernais ».

Dans cette histoire, la biographie de Pierre se retrouvera tout entière, mais volatilisée, ventilée en différents items : P ierre aura conservé tous ses traits spécifiques, mais perdu sa singularité d'individu.

De la même manière, si j'étudie historiquement un grand homme, Louis XIV , sa singularité s'éparpillera entre le rôle spécifique du roi, qu'il est seul à remplir, le rôle d'amant, ou celui de malade ; ce sont autant d'items pour l'histoire des institutions politiques, de la vie sexuelle et de la médecine.

A ussi, le travail du journaliste, au contraire, prend les individus le plus souvent dans leur individualité et non dans un point de vue global, il s'intéresse plus particulièrement aux faits divers, qui comme le nom l'indique sont les faits qui n'ont pas de signification globale, qui sont éparpillés dans le temps et l'espace. Le fait divers : l'exemple du travail du journaliste. Le fait divers est le plus souvent défini aujourd'hui par la négative ; il ne relève d'aucune actualité, ni politique, ni économique, ni sociale, ni culturelle...

Il peut néanmoins illustrer à l'occasion un fait de société.

C ette conception doit beaucoup à la définition que Roland Barthes en a donnée en 1966 dans ses Essais critiques : « Le fait divers procéderait d'un classement de l'inclassable, il serait le rebut inorganisé des nouvelles informes...

désastres, meurtres, enlèvements, agressions, accidents, vols, bizarreries, tout cela renvoie à l'homme, à son histoire, à son aliénation, à ses fantasmes, à ses rêves, à ses peurs...

» C ela explique sans doute la connotation péjorative prise par cette expression dans la seconde moitié du XXe siècle, distinguant ainsi une actualité noble d'une actualité méprisable, celle des « chiens écrasés », que les journalistes affectent de nommer parfois la « poubelle de l'information ».

Les faits divers seraient l'apanage des journalistes et non de l'histoire.

De ce point de vue, le journaliste ne serait en aucun cas historien, mais en vérité il ne serait qu'observateur, rapporteur de faits.

Le récit de fait divers contient en lui-même toutes les informations nécessaires à sa compréhension : c'est en ce sens qu'il faut prendre la qualification d'« information totale » que lui accorde R.

Barthes (op.

cit.).

Sa structure le clôt sur lui-même.

Il répond à toutes les questions que l'on se pose sur l'événement et ses acteurs « Qui ? Où ? C omment ? Pourquoi ? Q uand ? » (G.

A uclair, 1982).

L'événement s'est produit, l'action est terminée, il ne s'agit plus que d'expliquer, d'où l'agencement fixe des éléments narratifs : retour en arrière pour les circonstances, description des personnages, position de l'énigme qui entretient le suspense, car sa résolution n'est pas toujours aisée.

C e récit est réglé par une logique, dont les éléments sont des procédés narratifs invariants : disproportion entre le motif et l'acte pouvant aller jusqu'à l'absence de motif, critère de la rareté soit du fait lui-même, soit de sa cause, soit de la qualité des personnes y participant qui, un jour, adoptent un comportement qui les fait « déraper » du banal quotidien.

C e récit paraît autosuffisant.

Le fait divers à rebondissements, celui des grandes affaires criminelles dont la résolution prend du temps, est perçu comme un roman-feuilleton, dont les épisodes s'enchaînent pour préserver, jusqu'à la fin, le mystère.

C ette structure fermée du récit de fait divers le fait appartenir de manière privilégiée à un numéro du journal.

Le fait divers fait partie de ces catégories d'articles qui marquent l'autonomie d'un numéro par rapport à la collection, par rapport à l'écoulement du temps et donc par rapport au rythme de l'actualité...A ussi, le journaliste en mettant à jour c e s individualités met aussi à jour des phénomènes plus larges, et notamment à dimension sociale, les individus dont parlent les journaux ne sont pas hors de tout cadre historique.

Les journalistes, en ce sens, effectuent un travail sur le temps présent.

Michel de C erteau le souligne : « L'histoire présente, celle que nous vivons, nous apprend à comprendre autrement l'histoire passée, qui s'écrit ou s'enseigne.

Le savoir peut changer avec l'expérience.

» O n sait aujourd'hui que l'histoire n'est pas une donnée, mais qu'elle est toujours « en réinterprétation » (A rlette Farge).

A ussi, le travail des journalistes peut s'apparenté au travail d'un historien du temps présent Conclusion. Le journaliste et l'historien ont des métiers différents.

Le journaliste est ce qu'on pourrait appelé un historien du temps présent, qui s'attache à donner une image de ce qui ne rentre pas dans l'histoire, le plus souvent des faits divers, des histoires d'individus en dehors de tout cadre historique.

Le journaliste travaille dans l'immédiat, il ne peut non plus se permettre d'effectuer un travail de recherche documentaire approfondi, et d'avoir le recul nécessaire pour avoir une réflexion adéquate à un travail d'historien.. »

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