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Le complexe d'Oedipe

Extrait du document

« La fonction centrale du complexe d'Œdipe Pourquoi un adulte endeuillé peut-il sentir e n m ê m e temps en lui un soulagement joyeux? Parce que les affects d e notre existence se sont accumulés en lui sans s'éliminer.

Imaginons u n e ville qui n'aurait jamais connu d e destruction mais aurait simplement ajouté à côté des anciennes ou au dessus ou autour d'elle des constructions nouvelles; tel est notre psychisme.

Notre enfance n'est pas seulement du passé révolu et presque entièrement oublié.

Elle est aussi une dimension de notre moi actuel.

L'histoire d'Oedipe est la plus célèbre qui mette en scène le destin et son inéluctable pouvoir sur l'existence humaine.

Le mythe de l'oracle fatal D'origine grecque, cette histoire a été très souvent adaptée au théâtre.

Les versions varient d'un auteur à l'autre, mais la trame générale est la suivante.

Laïos, roi de Thèbes, se désole de n'avoir pas de fils.

Il va consulter à Delphes la pythie.

L'oracle avertit le roi que s'il avait un fils, de lui viendraient de grands malheurs: il tuerait son père et épouserait sa mère.

Ce sont là les deux crimes les plus horribles qu'un homme puisse commettre: le parricide et l'inceste.

Toute culture, toute civilisation repose sur ces deux interdits, ces deux tabous.

Malgré ces fatales prédictions, Jocaste, la reine, donne naissance à un fils.

Mais effrayée par la sentence de l'oracle, elle décide de se débarrasser du nouveau-né et de le faire exposer sur le mont Cithéron après lui avoir percé les chevilles avec une aiguille et les lui avoir liées avec une cordelette.

Seulement, au lieu de mourir de faim et de soif ou d'être dévoré par les bêtes de la forêt, le bébé est recueilli et sauvé par un berger.

Celui-ci l'appela Oedipe, ce qui signifie «pieds enflés» en grec.

Or, dans le royaume voisin d e Corinthe, le roi Polybos se désolait lui aussi de n'avoir pas de fils.

Le berger, trop pauvre pour élever lui-même le nouveau-né, le présente au palais de Corinthe où il est accueilli avec joie.

Oedipe est adopté.

Il grandit ainsi au palais, ignorant sa véritable naissance, croyant être le fils de Polybos e t d e Périboéa, roi et reine de Corinthe.

Les années passent.

Oedipe e s t à présent un jeune homme.

Un jour, quelqu'un dit à Oedipe qu'il n'est qu'un enfant trouvé.

Intrigué par cette révélation, Œdipe va consulter l'oracle de Delphes, lequel répète l'horrible prédiction faite jadis à Laïos: «Tu tueras ton père et tu épouseras ta mère.» Le piège du Destin est en place: bouleversé par ce qui lui a été annoncé, Œdipe décide de quitter à jamais Corinthe, de ne plus revoir ses «parents».

Ainsi, pense-t-il, les deux crimes prédits ne pourront avoir lieu.

Mais en croyant fuir son destin, en quittant ceux qu'il croit être ses parents, il retrouve ses parents réels.

On songe à l'histoire du rendez-vous de Samarkand.

Dans un défilé, non loin de Delphes, Oedipe, qui est de tempérament fougueux, se prend de querelle avec un inconnu et le tue en coupant le timon de son char.

Ainsi s'accomplit la première partie de la prédiction: l'inconnu, on l'aura deviné, n'est autre q u e le roi Laïos, le véritable père d'Œdipe.

Poursuivant s a route, Œdipe parvient a u x portes d e Thèbes et rencontre un monstre terrifiant avec un corps de lion, une tête et un buste d e f e m m e : le Sphinx dévore les voyageurs incapables de donner la bonne réponse à s o n énigme.

I I est intéressant d e noter q u e l e Sphinx d e la légende d'Oedipe avait été envoyé dans la campagne de Thèbes pour punir cette cité du crime commis par le roi Laïos, lequel avait enlevé un jeune homme pour en faire son amant. Ainsi Oedipe paie-t-il pour les deux fautes de son père: celle-là et la désobéissance à l'oracle qui lui avait enjoint de ne pas avoir de fils. L'énigme que propose le Sphinx est si obscure que personne n'a pu la résoudre jusqu'à ce que Œdipe, à la question de savoir quel animal marche le matin à quatre pattes, sur deux le midi et Je soir sur trois, donne la réponse juste: l'homme.

Un oracle - un autre! - avait prédit au Sphinx qu'il mourrait le jour où il rencontrerait quelqu'un qui pourrait percer son énigme: l'oracle, ainsi, ne dit pas seulement ce qui arrivera; il fait arriver les choses.

Désespéré par la bonne réponse d'OEdipe, le Sphinx se jette du haut d'un rocher et se tue.

Ainsi le pays de Thèbes se trouve-t-il délivré de la terreur.

Voici Œdipe promu au rang de héros.

Le trône de Thèbes est vacant, ainsi que le lit de la reine puisque Laïos a été tué par un inconnu dans la campagne et que Jocaste se trouvait veuve.

Œdipe, accueilli en bienfaiteur, monte sans le savoir sur le trône de son père et dans le lit de sa mère, accomplissant ainsi la deuxième partie de l'oracle.

Les années passent. Œdipe est un roi juste.

Il conçoit avec sa femme, c'est-à-dire sa mère, quatre enfants, qui sont ainsi à la fois ses fils et ses demi-frères, ses filles et ses demi-soeurs.

Le propre de l'inceste est de brouiller l'ordre naturel des générations.

Ces enfants auront tous une destinée tragique (Antigone est la plus célèbre): le destin se transmet aussi sûrement que le patrimoine génétique.

Quelques années plus tard, la peste s'abat sur Thèbes.

Dans l'Antiquité, on pensait que la peste était déclenchée par le dieu Apollon pour châtier les hommes d'un crime particulièrement grave.

À Thèbes, on va, par conséquent, consulter l'oracle.

Le verdict tombe: Il faut expulser de la ville le meurtrier de Laïos.

» La ville de Thèbes protège dans ses murailles le meurtrier de l'ancien roi et ce crime impuni a provoqué la colère du dieu.

Oedipe, dont on a dit le caractère juste, fait le serment que le criminel sera retrouvé et puni et dirige lui-même l'enquête qui va le perdre.

Bientôt, les révélations embarrassées du devin Tirésias permettent au héros de deviner l'affreuse vérité.

De honte, Jocaste se pend.

Œdipe songe d'abord à s'ôter la vie, mais pensant que c'est là un châtiment encore trop bref eu égard à l'énormité de ses crimes, il se crève les yeux avec la broche de sa mère et, chassé de Thèbes, il erre en mendiant dans la contrée, accompagné de sa fille Antigone, la seule à lui être restée fidèle.

Au soir de sa vie, l'infortuné Oedipe trouve asile en Attique, puis à Colone, un petit bourg situé près d'Athènes et là, les Érynnies (puissances divines, ces trois femmes sont l'instrument de la vengeance des dieux) l'entraînent dans la mort.

Toutefois, Thésée, le roi d'Athènes, accorde une sépulture au corps de cette victime de la plus inexpiable des fatalités, car il était dit que le tombeau d'Œdipe serait plus tard un g a g e d e victoire pour le peuple athénien.

Le sens du mythe: ne pas savoir qui on est L'histoire d'Œdipe est une succession d'événements qui s'enchaînent les uns aux autres dans un ordre inéluctable.

Tous les personnages sont des jouets ou des instruments aveugles du Destin: le père, sans lequel rien de tout cela ne serait arrivé; le berger, car si le bébé avait trouvé la mort sur les pentes du Cithéron, rien ne se serait passé; les parents adoptifs, qui ont commis l'erreur de ne pas dire la vérité à leur fils trouvé dans la montagne, etc.

Il n'y a p a s de liberté, il n'y a plus q u e d e s rouages.

Les h o m m e s accomplissent une action en croyant poursuivre et atteindre tel ou tel objectif; en fait, à leur insu, c'est une tout autre partie qui s e joue.

L'épisode du Sphinx p o s s è d e u n e singulière profondeur, qui en fait peut-être le centre, le noeud de toute l'histoire.

Car Œdipe ne connaît rien de lui-même, ni son origine, ni même son nom (Œdipe est un sobriquet).

Tous les hommes savent répondre aux plus faciles des questions: qui suis-je? Comment est-ce que je m'appelle? Qui sont mes parents? Œdipe, lui, ne le sait pas.

Mais aucun homme avant lui n'avait su résoudre l'énigme du Sphinx, dont la réponse est, justement, l'homme.

Donc, là où chacun connaît sa singularité (qui je suis, moi), mais n o n le concept (l'homme), pour Œdipe, c'est l'inverse: aveuglement absolu sur la singularité de son moi, mais clairvoyance unique sur le concept générique.

Manière aussi d e signifier que cette connaissance par concept n e d o n n e rien si le savoir immédiat de soi n'est pas présent.

Tout le monde s'appelle Œdipe On comprend dès lors pourquoi Freud a choisi Œdipe pour nom et symbole du célèbre complexe: non seulement parce que le héros tragique viole les deux tabous du parricide et de l'inceste, mais aussi parce qu'il est proprement le héros de l'inconscient, l'inconscient personnifié.

Lorsque Œdipe tue l'inconnu au carrefour, il ne sait pas que c'est son père, et lorsqu'il couche pour la première fois avec la reine veuve, il ne sait pas que c'est sa mère.

Lorsqu'il fait rechercher le criminel qui suscite la colère du dieu, il ne sait pas que c'est luimême qu'il recherche et qu'il finira par trouver.

Freud a appelé complexe d'Oedipe (c'est le seul complexe qu'il reconnaitra, le fameux complexe d'infériorité n'est pas d e lui m a i s d e son disciple dissident, Alfred Adler) l'ensemble corrélé d e s d e u x désirs contradictoires (libido pour la mère et pulsion de mort pour le père chez le petit garçon, libido pour le père, pulsion de mort pour la mère chez la petitefille), qui s e m e t en place vers l'âge d e 5 a n s chez l'enfant.

Ainsi l'histoire d'Œdipe, qui paraît exceptionnelle jusqu'à la monstruosité, devient-elle la plus banale de toutes: l'apparente exception est la règle.

Œdipe, c'est importe lequel d'entre nous, lorsque nous étions petits enfants.

Œdipe est par conséquent le héros (héraut, aussi, en tant que porte-parole) de l'inconscient, au sens rigoureux du terme, car il accomplit dans la réalité, sa vie, ce que chacun de nous a imaginé en secret il y a longtemps.

On songe à la phrase de Platon, qui trouve ici son éclatante confirmation: la différence qui existe entre un honnête homme et un criminel, c'est que le premier se contente de rêver ce q u e le second fait en réalité.

Le cadavre d'œdipe bouge encore Normalement, le complexe d'OEdipe est «détruit »: en grandissant, l'enfant doit renoncer à ses premiers désirs.

Pourtant, le complexe d'Œdipe continue, plus ou moins intensément, à marquer notre psychisme: ainsi Freud explique-t-il l'homosexualité (l'attachement au père ou à la mère est si intense que tout affect vers une personne de m ê m e sexe que lui ou elle s'en trouve interdit) ou le choix amoureux (nous s o m m e s inconsciemment attirés par des h o m m e s ou d e s f e m m e s qui présentent des traits analogues à ceux d e notre père ou d e notre mère).

Pas plus qu'OEdipe, nous ne serions libres de décider de nos choix: nous croyons être libres car nous sommes conscients de ces choix, mais nous n'en connaissons pas la raison.. »

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