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L'art consiste-t-il à s'affranchir de la répétition?

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« L'art consiste-t-il à s'affranchir de la répétition ? L'art est synonyme de création, nous avons la vive impression que l'artiste, tel un démiurge, est capable de produire une oeuvre ex nihilo , mais toute création est-elle réellement entièrement nouvelle, créer est-ce innover ? Si le génie en art consiste à se départir d'une tradition pour suivre sa propre voie encore faut-il se demander comment un tel dépassement peut avoir lieu : est-ce en tournant le dos à la tradition ou bien au contraire en se nourrissant d'elle que l'artiste parvient à créer ? Répéter n'est-ce pas toujours rester prisonnier d'un courant ou de modèles idéaux, n'est-ce pas un frein à la création artistique ? Ou peut être verrons nous que la répétition est parfois fertile, voire essentielle à la vie de l'art. I- La création artistique s'oppose à la monotonie de la répétition. Certes nous savons que les étudiants des beaux-arts apprennent à peindre ou à sculpter en s'inspirant des tableaux de maître, mais copier pour apprendre une technique ce n'est pas encore créer.

L'oeuvre artistique est toujours inédite, en cela elle s'oppose à la répétition liée au montage en série, la répétition est inhérente à la vie des objets du quotidien, qui existent en une multiplicité d'exemplaires.

En tant que pièce unique l'oeuvre d'art ne peut être répétée, les copies qui en seront faite n'auront de valeur que décorative, intrinsèquement elles ne valent rien. La figure de la répétition c'est le cercle, la rengaine monotone : la répétition est du côté du travail, de l'effort, du mérite, de l'entraînement, on répète pour s'améliorer, parce qu'on ne maîtrise pas encore tel aspect d'une exécution.

En cela la répétition s'oppose au génie fulgurant de l'artiste, à son aisance, le génie n'est jamais heurté, la figure de l'art ce n'est pas le cercle mais le jet, ce qui d'un seul élan se lance en avant. L'art rompt avec la logique de la répétition, c'est pour cette raison que l'art n'est possible qu'en bordure des institutions, l'artiste doit s'affranchir des carcans de la tradition.

Cela explique également l'idée de l'artiste incompris, en avance sur son temps, c'est parce qu'il rompt le rythme établi qu'il n'est pas reconnu.

L'artiste quelque part est toujours hors de son temps parce qu'il ne répète pas. II- L'oeuvre d'art ne naît pas ex nihilo. Mais une telle conception de l'art nous fait penser que l'oeuvre naît dans la rupture, ex nihilo, et en cela l'artiste devient comparable à Dieu au pouvoir créateur infini.

Or cette vision est certainement imparfaite et inexacte.

Dans l'Evolution créatrice Bergson oppose à cette vision commune celle d'une création ancrée dans le devenir, la création est processus, le nouveau ne naît pas de rien, ou alors on en reste à une conception magique de l'art, le nouveau naît d'une maturation.

Aussi il est vain selon Bergson de vouloir repérer des étapes fixes et certaines dans l'évolution d'un artiste, car il n'y a pas un moment où il est devenu ce qu'il est, c'est un processus continu, diffus, un progrès qui rend raison de l'identité de l'artiste ou de la genèse d'une oeuvre. Il ne faut pas comprendre la création à partir du couple conceptuel possible/réel mais virtuel/actuel.

L'oeuvre d'art n'est pas la réalisation d'un possible mais l'actualisation d'une virtualité, dans le premier cas le résultat correspond au projet de départ (vision finaliste et artisanale), le second cas est différent, le processus d'actualisation diffère des virtualités dont il se nourrit.

Autrement dit l'artiste n'est pas comparable à l'artisan qui sait d'emblée où il va, l'artiste s'appuie non sur un projet mais un sur un élan, il « voit » mais cette vision n'est pas un outil pratique, un guide, elle est l'oeuvre d'art elle-même. Dès lors il paraît possible d'affiner notre compréhension de la notion de répétition, si celle-ci n'est pas conçue sur un modèle artisanal (comme la notion du génie démiurge), et qu'elle se lie au devenir, alors peut-être pourrions nous l'articuler à la vie de l'art. III- L'oeuvre d'art se nourrit de la répétition. Répéter ce n'est pas en art refaire exactement mais autrement, la répétition peut inclure la différence.

La répétition n'est pas le copiage, mais l'appropriation.

Le concept de répétition vu avec le prisme du devenir c'est la maturation, en répétant le déjà-fait les futurs grands peintres nourrissent leur propre style.

L'influence que les peintres ont les uns sur les autres doit être comprise à travers cette forme de répétition.

Dans Regard sur le passé Kandinsky écrit que c'est grâce à la peinture de Rembrandt qu'il a ressenti la nécessité d'une temporalité interne au tableau (les clairs obscurs sont temporels en cela que leur lecture prend du temps, on ne voit pas tout tout de suite), et c'est l'oeuvre de Monet qui lui a fait ressentir la possibilité de supprimer l'objet du tableau.

Un peintre aussi novateur que Cézanne a passé un temps précieux à croquer au Louvre les peintres institutionnalisés. Dans une note de travail de son oeuvre inachevée Le visible et l'invisible Merleau-Ponty écrit qu'un peintre « apprend d'un autre à être lui-même », en se fondant sur l'idée selon laquelle les styles communiquent et ne sont pas refermés sur eux-mêmes.

Il y a une porosité entre les styles, commencer par imiter l'un c'est commencer de former son propre style.

L'art est donc lié au langage, il faut commencer par apprendre la langue avant de la maîtriser et de la réinventer. Cette répétition dont l'art se nourrit pour croître et se renouveler c'est aussi l'histoire de l'art à travers les influences qu'ont eu les artistes les uns sur les autres.

Mais s'il y a en art un apprentissage lié à la répétition ce n'est pas un apprentissage semblable à celui d'une règle de grammaire, ce n'est pas un apprentissage intellectuel mais gestuel, sensuel, il ne s'agit pas d'être capable de refaire ce qu'à fait un grand peintre (c'est le but du faussaire), mais de s'imprégner d'un style, d'en retenir la profondeur afin, à son tour, de pouvoir redéployer autrement l'acte créateur. Conclusion : Sauf exception (Mozart, Rimbaud) l'art intègre la répétition au sens où les artistes participant d'un même Logos (c'est par l'hypothèse de ce logos commun que Merleau-Ponty comprend la faculté pour un peintre de passer à la sculpture et vice-versa) se parlent les uns les autres.

Il y a du dialogue entre les artistes comme il y en a entre les philosophes, et, comme en philosophie, rares sont les grands artistes à avoir ignorer la tradition. Créer ce n'est donc pas une opération magique mais la capacité de reprendre et de mûrir le déjà-là, la véritable répétition en art c'est la maturation du devenir à partir de la tradition.. »

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