L'anarchisme
Extrait du document
«
A.
L'État, cimetière des libertés
Les anarchistes – les russes Bakounine et Kropotkine, les français Élisée Reclus et Jean Grave – voient tout au
contraire dans l'État le mal radical et dans l'Individu la valeur suprême.
Pour eux, l'obéissance du citoyen est une
abdication, une destruction de sa personnalité.
La révolte est permise contre toute autorité : « Ni Dieu ni Maître ! »,
s'écrie Jean Grave (1854-1939).
L'État est condamné parce qu'il est le fossoyeur des libertés ou, comme le dit
Bakounine (1814-1876), « un immense cimetière où viennent s'enterrer toutes les manifestations de la vie
individuelle ».
Non seulement l'État détruit la liberté des individus vivants, mais l'État, parce qu'il rompt la solidarité
universelle, parce qu'il ne se pose qu'en s'opposant à d'autres États – ce qui engendre la guerre et ses souffrances
–, apparaît comme le plus grand obstacle à l'épanouissement de valeurs réellement universelles.
Bakounine: Qu'est-ce que l'État ? C'est, nous répondent les métaphysiciens et les docteurs en droit, c'est la chose
publique ; les intérêts, le bien collectif et le droit de tout le monde, opposés à l'action dissolvante des intérêts et
des passions égoïstes de chacun.
C'est la justice et la réalisation de la morale et de la vertu sur terre.
Par
conséquent, il n'est point d'acte plus sublime ni de plus grand devoir pour les individus que de se dévouer, de se
sacrifier, et au besoin de mourir pour le triomphe, pour la puissance de l'État [...].
Voyons maintenant si cette
théologie politique, de même que la théologie religieuse, ne cache pas, sous de très belles et de très poétiques
apparences, des réalités très communes et très sales.
Analysons d'abord l'idée même de l'État, telle que nous la présentent ses prôneurs.
C'est le sacrifice de la liberté
naturelle et des intérêts de chacun - individus aussi bien qu'unités collectives comparativement petites :
associations, communes et provinces - aux intérêts et à la liberté de tout le monde, à la prospérité du grand
ensemble.
Mais ce tout le monde, ce grand ensemble, qu'est-il en réalité ? C'est l'agglomération de tous les individus
et de toutes les collectivités humaines plus restreintes qui le composent.
Mais, du moment que pour le composer et
pour s'y coordonner tous les intérêts individuels et locaux doivent être sacrifiés, le tout, qui est censé les
représenter, qu'est-il en effet ? Ce n'est pas l'ensemble vivant, laissant respirer chacun à son aise et devenant
d'autant plus fécond, plus puissant et plus libre que plus largement se développent en son sein la pleine liberté et la
prospérité de chacun ; ce n'est point la société humaine naturelle, qui confirme et augmente la vie de chacun par la
vie de tous ; c'est, au contraire, l'immolation de chaque individu comme de toutes les associations locales,
l'abstraction destructive de la société vivante, la limitation ou, pour mieux dire, la complète négation de la vie et du
droit de toutes les parties qui composent tout le monde, pour le soi-disant bien de tout le monde : c'est l'État, c'est
l'autel de la religion politique sur lequel la société naturelle est toujours immolée : une universalité dévorante, vivant
de sacrifices humains [...].
Avez-vous compris l'essentiel ?
1 Qu'est-ce que l'État exige de l'individu ?
2 L'État peut-il remplir sa fonction d'unificateur ?
3 Les individus trouvent-ils l'égalité et la fraternité dans l'État ?
Réponses:
1 - Qu'il se sacrifie, qu'il renonce à son individualité au profit du tout.
2 - Non, il n'est rien d'autre que la pure négation de la liberté individuelle.
De sorte que ce qu'on présente comme
l'intérêt de tous n'est en fait l'intérêt de personne.
Il n'est que l'incarnation du renoncement, la servitude même.
3 - Non, car il n'est qu'un moyen pour les asservir ensemble.
Dans une société régie par l'État, les individus
s'empêchent réciproquement d'agir, au lieu d'agir ensemble.
Aussi aboutit-on nécessairement à des rapports de
domination.
B.
Un optimisme naïf
Comprenons bien que les anarchistes ne sont pas pour autant des immoralistes antisociaux.
Ils sont au contraire
persuadés que l'individu ne peut s'épanouir que dans les relations de la vie communautaire.
Mais il s'agit pour eux de
liens sociaux librement consentis.
L'État, avec ses contraintes artificielles, n'est qu'une caricature de la société
naturelle.
Les anarchistes réclament donc une révolution qui abattra l'État, ses juges, ses policiers, ses armées.
Sur
les ruines de l'État pourront alors s'établir de libres associations.
La doctrine anarchiste implique un postulat tout à fait opposé à celui des absolutistes, ou des partisans de l'État
totalitaire.
Pour ces derniers en effet, les hommes sont bêtes et méchants ; il faut donc les soumettre à une
discipline sévère.
A ce pessimisme foncier, les anarchistes opposent un optimisme naïf ; pour eux, l'homme est bon
par nature, il ne demande qu'à aider son semblable, il n'a pas besoin de l'organisation artificielle, contraignante et
répressive de l'État..
»
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