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l'amour que l'on a pour les autres est-il, selon vous, une manière plus subtile de s'aimer soi-même

Extrait du document

« INTRODUCTION.

— Les philosophes ont souvent nourri de la défiance à l'endroit des réalités affectives.

Seule la clarté des idées devrait retenir le penseur.

Mais comment accepter une vision du monde qui négligerait systématiquement une valeur pressentie par tons, sur le plan moral et métaphysique aussi bien que psychologique : nous voulons parler de l'amour ? La philosophie moderne se penche de plus en plus sur ce problème - qu'à vrai dire elle redécouvre seulement, car les siècles de saint BERNARD et de saint THOMAS avaient abondamment disserté sur le thème cher à PLATON.

Une des questions les plus débattues était de savoir si l'Amour désintéressé (le pur Amour, allait dire le XVIIe siècle) était chose possible à l'homme.

Question toujours actuelle et qui jaillit du plus profond de notre conscience, mettant en cause nos aspirations les plus grandes et nos convictions les plus chères.

J'aime quelqu'un, et non point comme j'aime une chose.

L'élan qui me porte vers lui m'aide à promouvoir son bien.

Mais ne suis-je pas dans l'illusion ? Au fond de cet amour n'y a-t-il pas un intérêt caché, une recherche plus subtile de moi-même à travers les avantages et le plaisir qu'effectivement je trouverai ? Drame écrit par André GIDE et porté à l'écran dans La symphonie pastorale; condition impitoyablement condamnée par Jean-Paul SARTRE dans L'être et le néant où tout amour apparaît comme voué au sadomasochisme ! Nous voudrions faire un peu de lumière dans ce difficile débat.

Nous écouterons d'abord la réponse des honnêtes gens : elle s'inscrira naturellement en faux contre les outrances des pessimistes comme LA ROCHEFOUCAULD.

Mais il faudra entendre ensuite des attaques fondées sur des considérations plus lucides et plus graves venues de la Psychologie des profondeurs ou même de la Métaphysique.

Nous nous efforcerons, alors, de dégager des conclusions qui ne soient pas basées uniquement sur de bons sentiments, mais qui fassent la synthèse d'un état de fait souvent peu brillant et d'une possibilité de droit beaucoup plus réconfortante : la difficulté de donner une solution venant souvent d'une confusion regrettable entre le constituant et le constitué. I.

— LA RÉPONSE NÉGATIVE L'amour que l'on a pour les autres est-il une manière plus subtile de s'aimer soi-même ? Certainement pas, diront aussitôt les âmes bien nées.

Quand j'aime quelqu'un, en effet, mon but n'est pas de rechercher ma propre satisfaction. a) Il faut bien distinguer les deux sens principaux du mot aimer.

Quand: j'affirme que j'aime les voyages ou les pâtisseries, je veux indiquer par là l'avantage et la délectation que j'éprouve en usant de ces réalités matérielles.

Mais quand j'aime quelqu'un, il n'est plus question de mon avantage, mais au contraire de celui de mon ami.

Dans le premier cas la Ln de l'amour se trouve être Moi; voyages, pâtisseries ne sont que mes moyens.

Dans mon amour d'autrui, c'est presque le contraire qui a lieu: je me considère comme chargé de réaliser le bien de mon ami; je ne suis que le moyen de cet amour; la fin, en tout cas, c'est l'aimé.

Admettre, par conséquent, que mon amour des autres se réduise à un amour plus subtil de moi, ce serait dire qu'autrui n'est pas aimé pour lui-même, mais recherché comme un simple moyen de ma propre satisfaction.

Sans doute, un LA ROCHEFOUCAULD n'eût pas hésité à se ranger à cet avis, lui qui n'a pas craint d'écrire : « L'intérêt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé.

» (Maximes, Épigraphe de la 4° édition, 39.) Ou bien : « Ce que les hommes ont nommé l'amitié n'est...

qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner.

» (Ibid., 83.) Mais ces formules sont tellement exagérées! Et l'auteur des Maximes vise plutôt à frapper qu'à dire l'exacte vérité, ses sentences devant servir de thème à discussion dans les salons. b) Vaut-il la peine, pareillement, de réfuter un utilitarisme pour qui l'amour d'autrui se réduirait à la quête d'un voisinage certainement plus avantageux que la méfiance ou l'hostilité ? « L'état de guerre », par lequel l'individu (ou telle société) aurait débuté, aurait maintenant fait place à "l'état commercial", l'expérience des générations ayant montré à l'homme qu'il est plus profitable de s'entendre avec son semblable que de lui chercher querelle.

A ces raisons, l'homme sensé répond qu'il ne désire pas du bien à son ami pour être payé de retour : certains dévouements, excluant toute chance de bénéfice, tel le sacrifice de la vie qu'un homme peut être amené à consentir pour sauver sa patrie.

Au reste, si l'utilitarisme évolutionniste avait raison, l'état de guerre serait actuellement révolu : ce qui n'est malheureusement pas plus 'vrai sur le plan individuel que sur le plan international. Il faut donc maintenir la conclusion de tout à l'heure : aimer autrui n'est pas une façon plus subtile de s'aimer soi-même; on ne se recherche pas dans autrui, mais on s'applique à promouvoir son bien, sans égard aux avantages que le désintéressement ignore p a r définition. II.

LA RÉPONSE AFFIRMATIVE a) Si sublimes qu'apparaissent ces convictions, si claires que semblent ces critiques, résisteront-elles aux arguments d'une « psychologie des profondeurs » comme celle que préconise la psychanalyse, ou aux distinctions qu'on pourrait emprunter à la métaphysique elle-même ? Car il est certain que les raisons qui nous ont occupé jusqu'ici se situaient an grand jour de la conscience claire. Et tout d'abord un fait semble s'imposer à notre attention : l'amour que l'on a pour les autres est très souvent, à notre insu, une manière plus subtile de s'aimer soi-même.

Car si l'amour se situe, d e soi, sur le plan de la volonté consciente et morale, peut-on ignorer l'existence d'une morale inconsciente ? Certainement pas, surtout si l'on a compris l'ouvrage que le Dr Charles NoDIER a intitulé : Les deux sources consciente et inconsciente de la vie morale (Edit.

de La Baconnière, Neufchâtel).

Il existe des « motivations inconscientes », qui relèvent de ce que FREUD appelle le Surmoi (qu'il ne faut surtout pas confondre avec le Moi idéal de la conscience morale!).

Or, la motivation inconsciente vient très souvent doubler la motivation consciente. Un exemple nous éclairera : il a trait à la psychanalyse du don, et vient tout à fait à notre sujet, le don étant une manière d'exprimer et de réaliser l'amour.

Dans maint cadeau, on peut déceler ce que M.

NoDIER appelle un « bilanisme » (néologisme formé sur le mot « bilan »).

« Il consiste dans la tenue d'un compte serré du donné et du reçu, du droit et de l'avoir transposé dans le domaine psychique et surtout affectif (...).

Ainsi le but caché de donner est de recevoir en retour, le don conçu comme une perte qu'il importe de récupérer.

La réalité, hélas! ne comble pas toujours ce désir secret.

Le donneur bilanisant de recourir alors à un procédé de compensation magique : il s'identifie inconsciemment au receveur, se met à sa place » (p.

73).

Un fiancé trouve an tableau très à son goût.

Il l'achète et dit.

en partant au marchand : « C'est très agréable, n'est-ce pas, les cadeaux dont on jouit soi aussi P » « Avec une semblable conception du cadeau, remarque alors l'auteur, il pourrait très bien lui venir à l'idée de donner à sa femme, pour sa fête, un fusil de chasse! » (Ouvrage cité, p.

74.) Admettons cependant que les « motivations inconscientes » ne vicient pas toujours l'acte moral.

Notre auteur le reconnaît lui-même.

Il reste que ta conscience claire est l'expression plus parfaite, sublimée, d'un élan vital primordial.

L'homme n'échappe pas à sa loi profonde, qu'il s'agisse des instincts d'appropriation, tel que le besoin de se nourrir, ou des tendances oblatives.

La psychologie animale nous montre comment les tendances sociales s'inscrivent dans la constitution biologique aussi nettement que les tendances individuelles. (Voir Pierre DE SAINT-SEINE, Études, nov.

190.) b) Au reste, comment agir autrement que pour se parfaire ? La métaphysique nous assure que l'homme cherche toujours son bien, que rien ne saurait échapper à cette nécessité, pas plus l'homme que la pierre.

J'aime autrui.

Cet amour est mon acte; je me réalise en lui et par lui.

Je suis le premier intéressé dans cette entreprise qui est essentiellement mienne dans son principe et sa fin !. »

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