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« La vérité de demain se nourrit de l'erreur d'hier... Les contradictions à surmonter sont le terreau de notre croissance. » Expliquez et commentez ce jugement de Saint-Exupéry, extrait de son livre : « Lettre à un Otage » ?

Extrait du document

« I — INTRODUCTION. Après avoir exprimé maintes idées, dans Vol de Nuit, Terre des Hommes, Citadelle, le Petit Prince, ses Carnets et, particulièrement Lettre à un Otage, Saint-Exupéry a constaté.

que ce que l'on croit vrai à un moment donné peut devenir faux quand les circonstances ont changé.

Aussi, ne s'étonne-t-on point qu'il écrive : « La vérité de demain se nourrit...

le terreau de notre croissance.

» II.

— EXPLICATION COMMENTÉE. Le propos de Saint-Exupéry pose le problème du cheminement de la vérité. L'auteur ne croit pas que celle-ci progresse de façon rectiligne et constante.

On retrouve dans son jugement deux termes qui, d'ordinaire, s'opposent : vérité et erreur.

La vérité de demain est celle de tout ordre que découvrira la postérité. L'expression : « L'erreur d'hier » fait penser aux théories multiples d'un genre ou d'un autre, adoptées par les générations passées et, aujourd'hui, désuètes. Pour Saint-Exupéry, c'est sur ces vérités abandonnées que doivent s'édifier les idées futures.

Le progrès ne peut résulter que du choc des oppositions.

Sous une forme plus courante on dit : « De la discussion jaillit la lumière.

» C'est à peu près la même idée que Saint-Exupéry exprime dans Citadelle.

« Il est toujours possible de jeter bas le temple et d'en prélever les pierres pour un autre temple.

Et l'autre n'est ni plus vrai, ni plus faux, ni plus juste, ni plus injuste.

» Il laisse entendre même par ailleurs, qu'il est bon que les civilisations s'opposent...

» Le mot de Saint-Exupéry peut prendre différentes significations selon les domaines auxquels on l'applique.

Il rappelle en particulier que la vérité ne s'attend pas passivement.

Elle se conquiert péniblement par des efforts répétés et suivis, par des attaques constantes qui laissent toujours des ruines sur lesquelles se bâtissent les vérités nouvelles.

La vérité apparaît comme une terre promise dont on se rapproche sans cesse, sans pouvoir jamais la toucher.

Mais, il ne faut point que l'homme se laisse décourager par ses échecs successifs, car c'est sur ces derniers que se fonde le progrès. a) En est-il ainsi dans le domaine scientifique ? La vérité, selon le propos de Saint-Exupéry se prouve aisément dans ce domaine. On a cru jadis que la terre était plate.

La nature a horreur du vide, enseignait Aristote. Que l'on médite un instant sur les diverses théories émises à propos de la nature de la lumière ! Corpuscule, a dit l'un.

Onde a déclaré l'autre.

Corpuscule et onde, à la fois, découvre notre éminent savant moderne L.

de Broglie. Déjà, une première constatation se dégage : une vérité scientifique ne surgit pas spontanément.

Elle utilise l'acquis antérieur, « l'erreur d'hier », et s'en sert comme d'un ferment. C.

Bernard a insisté sur le processus du développement du savoir humain.

Une hypothèse solidement étayée est adoptée comme loi. Mais, si des faits nouvellement observés ne peuvent plus justifier cette loi, alors une hypothèse nouvelle, plus large que la précédente, est établie pour expliquer, de façon plus rationnelle, les faits déjà connus, ainsi que les phénomènes nouveaux. Deux notions importantes sont à retenir dans le domaine scientifique : la science demeure une lente et paisible accumulation dans laquelle l'acquis joue un rôle déterminant; le progrès scientifique est fait de bonds, de reculs, de conquêtes et de défaites.

Ses théories ne sont autres que des « hypothèses provisoires », dit Poincaré.

Aussi, importe-t-il de les considérer comme plus mobiles et renouvelées qu'immuables et immortelles. La réalité scientifique se construit à partir des données de l'expérience et de la connaissance des faits déjà établis.

Le progrès des sciences se manifeste plutôt par une suite de soubresauts que par une patiente addition des faits. La véritable attitude scientifique exige « une rupture avec les habitudes de pensées antérieures, avec le système des concepts d'une époque ».

G.

Bachelard dénonce l'inertie du savant.

« Les grands savants sont utiles à la science dans la première moitié de leur vie, nuisibles dans la deuxième.

» Ainsi les théories scientifiques sont toujours susceptibles d'être remises en cause par la découverte de nouveaux faits.

C'est en ce sens que l'on peut parler d'erreurs, de contradictions, de brièveté, de précarité de la science.

Les théories même nouvelles sont condamnées à être rectifiées un jour.

Aussi, le savant reste-t-il un « perpétuel inquiet ! » b) Et, dans le domaine de l'art ? Dans ce domaine, on peut plutôt parler de tendances successives d'écoles ou d'artistes que de vérités.

Le Parthénon n'est pas plus vrai que la cathédrale de Chartres, l'Iliade d'Homère que la Légende des Siècles de V.

Hugo. La notion d'art s'appuie davantage sur la beauté que sur la vérité.

L'artiste qui crée, se trouve seul devant son inspiration que l'on ne connaît que lorsqu'elle s'est cristallisée dans son oeuvre d'art.

Chaque artiste cherche l'originalité.

C'est pourquoi souvent, il prend le contre-pied de ceux qui l'ont précédé, parce qu'il considère comme « erreur d'hier » la conception de ses prédécesseurs. Ainsi, toute l'histoire de la littérature peut se définir par les oppositions, les contradictions entre les différentes écoles qui se sont succédé (conceptions diverses de la tragédie au XVIIe siècle, querelle des Anciens et des Modernes, choc entre drames classique et romantique, divergences sur la plasticité du vers entre Parnassiens et Symbolistes...). On peut dire qu'en art, les contradictions demeurent davantage le terreau de l'évolution du genre que celui de sa croissance. c) Dans les autres domaines ? C'est particulièrement le domaine moral qui a retenu Saint-Exupéry.

Dans Lettre à un Otage, on le voit en s'embarquant de Lisbonne, en 1940, lancer un dernier regard sur l'Europe obscurcie, livrée aux bombes et à la barbarie.

Sur le bateau, il retrouve la même sensation de désastre.

Au milieu de cette détresse universelle, la voix de Saint-Exupéry rappelle les vérités les plus élémentaires, les plus dénuées d'ambition.

L'homme devient plus fréquentable et, sa main, réconciliatrice; l'auteur tend désespérément la sienne à ceux qui sont restés dans la fournaise et il s'exclame.

« Il n'est pas de commune mesure entre le métier de soldat et le métier d'otage.

Vous êtes les saints ! » III.

— CONCLUSION. Le jugement de Saint-Exupéry enseigne que les vérités vieillissent vite dans le domaine scientifique et surtout, que les erreurs du passé sont fécondes au progrès des vérités de demain. Il nous apprend que c'est en se confrontant, en se heurtant même que les hommes parviennent à dissoudre leurs malentendus et leurs contradictions.

Il nous apporte en définitive, une belle leçon de réconfort moral et nous assigne une ligne de vie idéale, afin d'essayer de nous perfectionner sans cesse. C'est ce que traduisent ces lignes extraites du même ouvrage : « Respect de l'homme !...

La vie crée l'ordre mais, l'ordre ne crée pas la vie...

Notre ascension n'est pas achevée...

Nous sommes, l'un pour l'autre des pèlerins qui, le long des chemins divers, peinons vers le même rendez-vous ! ». »

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