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La tolérance suppose-t-elle le scepticisme ?

Extrait du document

« Position de la question.

On peut, avec GOBLOT, définir la tolérance, l'attitude qui consiste « non à renoncer à ses convictions ou à s'abstenir de les manifester, mais à s'interdire tous moyens violents, injurieux ou dolosifs, en un mot à proposer ses opinions sans jamais chercher à les imposer ».

Cette attitude a parfois été inspirée par le scepticisme : on conçoit que celui qui ne croit pas à la possibilité d'atteindre le vrai, ne s'irrite pas d'opinions qui diffèrent des siennes, puisqu'il n'en a pas d'assurées.

Mais le problème est de savoir s'il y a là une liaison nécessaire, si, pour être tolérant, il faut obligatoirement être sceptique. I.

La tolérance à l'égard des personnes. A.

— Le mot même le dit assez : telle qu'on l'a conçue à l'origine (c'est-à-dire, en fait, à l'époque des controverses entre catholiques et protestants), la tolérance constituait une sorte de pis-aller, une attitude qui consistait à « tolérer », à supporter sans réagir une façon de penser que l'on estimait gravement erronée, mais à laquelle on accordait l'impunité.

Cette attitude était d'ailleurs sévèrement condamnée aussi bien par un JURIEU que par un BOSSUET. B.

— Mais il vint un moment (qu'on peut dater de la Lettre sur la tolérance de J.

LOCKE, 1689) où l'on admit que la charité envers les personnes exigeait que l'on s'abstînt de sévir contre celles qui professaient avec sincérité des croyances erronées.

Non seulement la tolérance n'était, sous cette forme, nullement liée au scepticisme, mais elle pouvait se concilier avec une attitude très dogmatique, reconnaissant la vérité (notamment en matière religieuse) comme une et immuable.

D'ailleurs, il est bien remarquable que LOCKE luimême, dans la Lettre sur la tolérance, déclare que « ceux qui nient l'existence d'un Dieu ne doivent pas être tolérés » parce que les promesses, contrats ou serments n'ont plus de valeur pour un athée.

On peut cependant se tromper de bonne foi et, en tous cas, la personne humaine est toujours digne de respect.

« Leur vie est abominable, écrit MALEBRANCHE (Tr.

de Morale, IIe Partie, chap.

VII) à propos des pécheurs, mais leur personne mérite toujours de l'estime.

» La même formule pouvait être appliquée aux hérétiques, incroyants et autres hétérodoxes.

La tolérance ainsi entendue n'est pas complaisance ni même indulgence pour ce qu'on estime être l'erreur.

Elle est sympathie : « La tolérance, écrivait É.

BOUTROUX (W.

James, p.

125), est mal nommée : c'est sympathie qu'il faut dire; c'est dessillement des yeux de la conscience; c'est reconnaissance de la valeur qui appartient à la personnalité d'autrui, en cela même par où elle diffère de la nôtre.

» Il n'y a là nul scepticisme. II.

La tolérance à l'égard des idées. Mais la tolérance peut aller plus loin.

Elle peut s'adresser, non plus aux personnes qui professent certaines idées, mais à ces idées elles-mêmes.

Elle semble se rapprocher davantage du scepticisme.

Il n'en est rien cependant.

Mais, sous l'influence du développement de la science, de la connaissance aussi des autres civilisations, la conception absolue et, pour ainsi dire, monolithique de la vérité a cédé la place à une conception plus nuancée, plus complexe et, en définitive, plus riche du vrai.

« Songeons, écrivait encore BOUTROUX, que la vérité, que le bien sont des objets trop grands, trop riches d'éléments divers, pour pouvoir être embrassés par un seul individu; et qu'ainsi il peut se trouver une valeur réelle dans des sentiments et dans des conceptions qui s'écartent des nôtres » (Ouv.

cité, p.

124).

En ce sens, la tolérance que nous devons à nos semblables, n'est pas une condescendance, un délai indulgemment accordé à ceux qui ne pensent pas comme nous, pour qu'ils se corrigent : c'est un devoir strict.

RENOUVIER l'avait déjà dit : « ce devoir est très mal appelé tolérance, car il est stricte justice et obligation entière ».

— Ajoutons qu'ainsi compris il a une portée sociale d'ordre général : « Un peuple civilisé ne progresse qu'à condition d'accorder à ses membres la plus large liberté intellectuelle, ...

il est utile à la société que les citoyens cherchent la vérité dans les voies les plus diverses, par les méthodes les plus indépendantes, chacun avec son caractère et ses facultés » (JACOB, Devoirs, p.

312).

Ici encore, nous sommes très loin du scepticisme. Conclusion.

Sous sa forme complète, c'est-à-dire comme respect des idées d'autrui en même temps que de sa personne, la tolérance n'implique pas le scepticisme, mais au contraire une conception plus riche de la vérité que ne le fait l'intolérance, qui s'en tient à une conception étroite, rigide et, somme toute, appauvrie.. »

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