La sympathie permet-elle de connaître autrui ?
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«
Problématique:
Comment pourrais-je connaître une personne (ou un peuple) pour lesquels j'éprouve des sentiments de répulsion,,
voire de haine ? Il est certain que, dans ce cas, je ne pourrai porter aucun jugement objectif.
S'ensuit-il que la
sympathie est une condition de la connaissance d'autrui ? De nombreux exemples ne montrent-ils pas que la
sympathie pour une personne.
au lieu de nous rendre plus lucide à son égard.
nous aveugle au contraire ? D'ailleurs.
Gaston Bachelard a bien mis en évidence les dangers d'un point de vue affectif dans toute démarche de
connaissance.
Toute la question est de savoir quel type d'approche est le mieux adapté à la connaissance des
autres hommes.
[Introduction]
Qu'est-ce que la sympathie ? Si elle est essentiellement un état affectif partagé avec quelqu'un à qui l'on veut du
bien, puis-je affirmer pour autant que je connais celui ou celle qui m'est sympathique ? Notre quotidien est plein
d'exemples qui semblent attester le contraire: combien de fois n'avons-nous pas été déçus par la personne que l'on
prétendait connaître par coeur « Ça n'est pas toi », « Qu'est-ce qui t'as pris ? », sont autant d'expressions qui
manifestent notre désarroi face au caractère insaisissable d'autrui, même (et surtout) lorsqu'il s'agit de l'ami(e).
Connaître signifie en effet saisir un objet par la pensée, en avoir une représentation exacte, c'est-à-dire adéquate à
ce qu'est l'objet.
Le problème est de savoir si l'on peut réduire l'homme à un objet.
Car comment connaître du
dehors l'intimité de quelqu'un ? En quoi la sympathie nous permettrait-elle un accès privilégié aux ressorts cachés de
l'être humain ? On remarquera alors qu'il existe une contradiction à considérer la sympathie - qu'on ne saurait
expliquer -, comme un mode de connaissance.
Certes, la sympathie est toujours fondée de manière plus ou moins consciente sur la reconnaissance d'un quelque
chose que l'on a en commun avec la personne avec qui nous sympathisons.
Mais l'homme n'est pas transparent.
Il
semble difficile de réduire la complexité de l'être humain à une approche extérieure, c'est-à-dire à des marques
apparentes de sympathie, telles que la cordialité, le sourire ou le plaisir d'être ensemble.
L'ami ne reste-t-il pas,
envers et contre tout, un Autre que moi, avec la part d'imprévisibilité qui lui est propre ?
[I.
La sympathie est trait d'union entre autrui et moi]
La sympathie est un phénomène affectif étrange où deux ou plusieurs individus ont l'impression de se connaître déjà,
ou de s'être toujours connus.
C'est là une reconnaissance plus ou moins inconsciente de quelque chose que l'on
partage, que l'on a en commun.
Quelqu'un, un ami ou un inconnu envers qui j'ai un préjugé favorable me convient,
sans que je sache toujours pourquoi.
La communication immédiate avec autrui : la sympathie
Ne serait-ce pas plutôt l'expérience de l'amour, de l'amitié, de la sympathie qui serait susceptible de nous procurer
une communication authentique avec d'autres consciences ? Déjà, Saint-Augustin notait qu'on ne «connaît
personne sinon par l'amitié» et Max Scheler a développé la thèse selon laquelle la sympathie serait la forme
privilégiée de la communication des consciences.
Distinguons bien l'amitié de la camaraderie.
Sans doute, dans la camaraderie y a-t-il une communication, mais
l'origine de la communication est extérieure aux personnes des camarades (c'est la participation à une même classe
au lycée, ou à un même groupe de combat, ou à un même parti politique).
Comme dit très bien Jean Lacroix : « Les
camarades s'oublient...
dans leur oeuvre...
Le but de la camaraderie c'est ce que l'on fait ensemble, non ceux qui le
font ; on pourrait dire en un sens de l'univers de la camaraderie qu'il est purement public.
La vie privée n'y a aucune
part».
Au contraire, l'amitié n'est plus participation à une oeuvre extérieure au moi, mais don véritable de personne à
personne (ce qui n'exclut pas la recherche commune d'un dépassement de soi ; « ils s'aiment non pour ce qu'ils sont
mais pour ce qu'ils espèrent devenir l'un par l'autre»).
De la même façon, il convient de bien distinguer — à la suite de Max Scheler — la sympathie véritable de la simple
contagion affective (Einfuhlung).
La contagion affective est une participation passive, inconsciente et involontaire
aux sentiments d'autres personnes.
Par exemple, en entrant dans la brasserie, je sens ma tristesse disparaître, je
me mets à rire, à parler fort, à chanter comme les autres et un sentiment d'euphorie m'envahit.
Cette contagion
psychique n'est aucunement une « connaissance» de ce qui est éprouvé par autrui.
En fait, les attitudes prises, les
gestes accomplis déterminent ici presque irrésistiblement des états de conscience que j'éprouve pour mon compte
sans chercher à rejoindre la personne d'autrui.
Bien loin d'être un acte de la personne comme est la vraie sympathie,
la contagion affective est en réalité une abdication de la personne, la démission d'un moi trop suggestible qui se
laisse envahir sans contrôle par des automatismes liés à des états affectifs.
Ainsi, lorsque la panique s'empare d'une
foule et que tout le monde s'enfuit, je puis me sentir irrésistiblement entraîné à imiter ces gestes de fuite et
l'épouvante — liée à ce comportement — s'empare de moi.
Je partage la frayeur de cette foule, mais je ne puis dire
que je suis réellement entré en communion avec mes voisins.
Si Nietzsche a sévèrement condamné la pitié, c'est
précisément parce qu'il l'a confondue avec une contagion mentale de ce genre.
Dès lors, la pitié n'est plus que la
transmission en chaîne de la souffrance, une contagion de malheur, une déperdition de vitalité qui multiplie la
souffrance au lieu de la guérir.
Max Scheler a bien montré que la vraie pitié, que la sympathie authentique est tout autre chose.
Si j'ai pitié de
l'autre, c'est précisément parce que je ne suis pas malheureux moi-même, parce que je n'éprouve pas sa misère.
Si
je souffrais comme lui, je serais moi-même objet de pitié et non conscience compatissante.
En réalité, la sympathie
transcende l'affectivité.
Elle est un acte de la personne qui vise la souffrance ou la joie d'une autre personne, qui
les reconnaît plus qu'elle ne les éprouve.
Gide, par exemple, déclare à propos de sa femme « Par sympathie, je.
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