La servitude engendre-t-elle la révolte ?

« Discussion : "Là où il y a oppression, il y a révolte" dit un vieux dicton chinois.

On aurait donc tendance à considérer l'énoncé comme une évidence de la raison.

Il y a en effet une contradiction apparente entre l'homme représenté c o m m e un individu exigeant la liberté et l'homme acceptant placidement d'être tenu "dans les fers", comme le dit Rousseau ("L'homme est né libre et partout il est dans les fers").

Qu'en est-il donc des mécanismes qui expliquent que la servitude puisse être consentie ? Suggestion de plan : Première partie : De l'esclave et du maître Cf: la dialectique du maître et de l'esclave : le maître a besoin de l'esclave pour garder sa place de maître.

Chez Hegel est analysée l'interdépendance nécessaire entre les représentants d e la puissance et ceux qui y sont soumis ; on y saisit que l'esclave n'est pas seulement une victime impuissante mais aussi celui qui accepte partiellement son aliénation pour obtenir en échange la sécurité ou le gain : "Puisqu'il est nécessaire que chacune des deux consciences de soi, qui s'oppose l'une à l'autre, s'efforce de se manifester et de s'affirmer, devant l'autre et pour l'autre, comme un être-pour-soi absolu, par là même celle qui a préféré la vie à la liberté et qui se révèle impuissante à faire, par e l l e m ê m e e t pour assurer son indépendance, abstraction de sa réalité sensible présente, entre ainsi dans le rapport de servitude." Hegel, Phénoménologie de l'esprit. Sénèque écrit ainsi au maître : « Veux-tu bien réfléchir à ceci : celui que tu appelles ton esclave est né de la même semence, jouit du même ciel que toi, respire comme toi, vit comme toi, meurt comme toi.

Tu peux le voir libre comme lui peut te voir esclave.

», Lettres à Lucilius.

L'interpellation insiste sur la notion d e contingence et vise à signifier q u e les places ne remettent pas en cause l'essence commune, le fait de participer de la condition d'homme. Deuxième partie : La liberté Platon prétend que : "L'excès de liberté ne peut tourner qu'en un excès de servitude, pour un particulier aussi bien que pour un État." L'idée de la liberté sans frein, sans limite est présentée comme un excès dommageable qui n'a d'autre conséquence que la destruction de l'individu.

La règle et l'obéissance à celle-ci apparaissent alors comme nécessaires.

En ce sens, le pacte social construirait de la servitude, mais une servitude consentie car éprouvée comme la condition sine qua non de la préservation de soi : « Là où il n'y a pas de puissance clairement reconnue pour prédominante et où u n e lutte n'amènerait que des d o m m a g e s réciproques s a n s résultat, naît l'idée d e s'entendre e t d e négocier sur les prétentions de part et d'autre : le caractère de troc est le caractère initial d e l a justice.

» Nietzsche, Humain, trop humain, 1878. L'équilibre est entendu c o m m e l'aménagement subtil d'une condition qui fait que l'on est à la fois dans la revendication et dans l'abstention.

André Gide applique l'idée à l'oeuvre d'art et son propos peut illustrer métaphoriquement le nôtre : « L'oeuvre d'art classique raconte le triomphe de l'ordre et de la mesure sur le romantisme intérieur.

L'oeuvre est d'autant plus belle que la chose soumise était d'abord plus révoltée.

» Incidences. Troisième partie : L'existence "Tout esclave a en main le pouvoir d e briser s a servitude." William Shakespeare, Jules César.

La servitude ne peut par ailleurs être entendue que comme un abus de la domination et un enfermement inacceptable, donc, la preuve que je ne suis pas un être écrasé et définitivement a l i é n é n e peut q u e s e manifester à travers ma revendication à la reconnaissance.

" J e m e révolte, donc je suis." Albert C a m u s , L'Été.

L'individu témoigne ainsi de son existence et revendique sa situation d'être humain.

« Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face.

Il marchait sous le fouet du maître.

Le voilà qui fait face.

II oppose ce qui est préférable à ce qui ne l'est pas.

» Camus, L'Homme révolté. Cependant, les sociétés cherchent à aveugler les citoyens quant à leur rôle et masquent la vérité politique et sociale afin d'empêcher que là où il y a oppression il y ait révolte.

L'appareil de domination se fait habile afin d'empêcher que les individus prennent la mesure de leur réel asservissement.

C'est ce qui a été analysé à travers les biens de consommation, la massification des moyens de communication et autre formes "d'opium du peuple" qui contribuent à cacher la profondeur de la servitude.

Donc, pour qu'il y ait révolte il faut aussi que la servitude soit reconnue comme telle, dans sa force et dans sa gravité. "L'homme n'est pas enfermé en lui-même, mais présent toujours dans un univers humain, et c'est ce que nous appelons l'humanisme existentialiste...

Nous montrons que ça n'est pas en se retournant vers lui, mais toujours en cherchant hors de lui un but qui est telle libération, telle réalisation particulière, que l'homme se réalisera précisément comme humain." Sartre, L'existentialisme est un humanisme . Justement, la plupart des régimes s'efforcent d'obtenir du peuple qu'il se fixe sur des préoccupations individuelles et égoïstes afin qu'il n'entreprenne pas ce décentrement libérateur. Conclusion : "L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classes..." Marx On pourrait donc regarder l'histoire comme une série de luttes de libération successives, mais la marche n'est ni linéaire ni progressive, car les sociétés ont souvent organisé le triomphe de formes coercitives ou totalitaires de pouvoir.

Le seul mouvement dont on pourrait dire qu'il dans l'ordre de cet affranchissement serait donc celui de la pensée : « Toute philosophie est à la fois l'exposition d'un système et l'indication d'une méthode d e salut, la description d e l'univers considéré à la fois dans s a profondeur et dans son e n s e m b l e et la recherche des chemins q u e l'homme doit suivre pour p a s s e r d e l'angoisse et d e la servitude à la béatitude et à la liberté.

» Gaston BERGER.

Philosophie de l'Éducation.. »