La science implique-t-elle la sagesse ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION.
— Il est facile d'opposer, comme on le fait si souvent aux époques troublées, le sage au
savant.
Mais il est simpliste, et vain de surcroît, d'opposer GANDHI à EINSTEIN.
Il vaut mieux remonter d'abord
au sens premier du terme « sagesse » avant de faire quelques réflexions sur les rapports de la sagesse et de la
science contemporaines.
I.
— LES NOTIONS DE SCIENCE ET DE SAGESSE
De la synonymie...
— Encore en France au XVIIe siècle, mais plus spécialement dans l'antiquité gréco-latine et
sémitique, sagesse et science se confondent avec le savoir.
L'adepte de la sagesse, le sage ou le philosophe,
est alors celui qui recherche toute vérité, dans le monde et dans l'homme.
Toute science, et même toute
connaissance technique, est alors une sagesse.
Ainsi l'Écriture mentionne-t-elle la sagesse du bronzier de
SALOMON, HIRAM de Tyr, expert en son métier.
Cependant, la plus haute sagesse, qui vise les connaissances
désintéressées, n'est pas accessible au simple artisan.
« Comment deviendrait-il sage celui qui tient la charrue
? », demande le Siracide (38, 25) (I).
Les plus hautes connaissances sont réservées au philosophe ou au scribe
qui, en même temps qu'ils savent, sont capables de communiquer leur savoir par la parole ou le stylet.
...
à la distinction de sens.
— Mais à mesure que s'élargit le domaine des connaissances, il faut bien se
spécialiser.
Le terme de science qui, au début, était synonyme de sagesse, de connaissance, de savoir en
général, acquiert un sens restreint : au sens usuel du terme, il ne s'applique guère qu'aux sciences exactes
dont l'étude permet de découvrir les lois des phénomènes, et qui deviennent florissantes à partir de la
Renaissance.
De son côté, le terme de sagesse subit une évolution.
L'accent passe de l'aspect cognitif à l'aspect moral.
Etre
sage, c'est d'abord, au sens faible le plus usuel, être prudent, éclairé, circonspect.
Mais cette intelligence
clairvoyante se met au service de l'action morale.
Et, par un juste retour, la moralité donne plus de pénétration
à l'esprit, non certes dans le domaine de la pure spéculation, mais dans celui de « la connaissance
contemplative et infuse, concrète et synthétique, amoureuse et savoureuse (sapit), dont ni l'entendement
abstrait ni la pensée discursive ne peuvent jamais atteindre la plénitude, ni égaler la lumière, l'unité, l'efficacité
».
(Vocabulaire de LALANDE, article « Sagesse »; note de M.
BLONDEL.)
La sagesse ainsi définie est sans doute bien éloignée par sa nature de la science moderne.
Le savant
s'intéresse au monde et pénètre dans la nature par effraction.
Le sage vit d'une vérité qui lui est donnée et
qu'il chérit respectueusement.
Cela veut-il dire qu'il y ait nécessairement de nos jours un abîme infranchissable
entre la sagesse et la science ?
II.
— LES RAPPORTS MUTUELS
En aucune manière.
Si la sagesse et la science sont de nature différente, elles se rejoignent par leur sommet,
c'est-à-dire que le bien et le vrai, qui sont leurs buts respectifs, ne sauraient s'opposer l'un à l'autre.
1.
Le sage ne méprise pas la science.
- On peut affirmer qu'une sagesse ignorante est impensable : ce
serait une contradiction dans les termes.
Les connaissances du sage ne sont pas, il est vrai, du même ordre
que celles du savant, mais il ne saurait mépriser aucune des acquisitions de l'esprit humain sous peine de
mépriser l'homme lui-même.
La première attitude du sage envers la science est donc faite de déférence.
Mais, à pénétrer plus avant, on trouvera chez lui de la reconnaissance envers la science, cette science qui
permet, si la mauvaise volonté n'y met pas d'opposition, de soulager l'homme.
Enfin, si le progrès des sciences et des techniques n'a aucune incidence sur la moralité de l'humanité, il permet
toutefois de mieux connaître l'homme, objet des méditations du sage.
Connaissance de la puissance et de la
faiblesse de l'homme.
De sa puissance, car il est devenu un titan, maîtrisant les forces de la nature dont il
perce les mystères.
De sa faiblesse, en même temps, car jamais peut-être autant qu'à l'ère moderne on n'aura
entendu les gémissements de l'homme, qui, malgré ses élans prométhéens, ou plutôt à cause d'eux, se trouve
rivé à sa souffrance.
Malgré les promesses fallacieuses d'une mystique scientiste qui l'ont quelque temps
abusé, l'homme sait maintenant un peu mieux qu'il n'est qu'homme.
Alors que les humanismes précédents
étaient des humanismes de, la sérénité, d'une sérénité recherchée à tout prix, dût-on fermer les yeux sur la
souffrance, l'humanisme contemporain fait l'expérience de l'incertitude et du risque.
Il y a donc du nouveau
sous le soleil, il y a encore quelque chose à dire de l'homme, car il ne finira de se révéler et de se connaître
que lorsque sera achevé le déroulement historique dans lequel s'inscrit le développement des sciences.
D'ici là,
toute nouveauté scientifique et technique, par les réactions qu'elle provoque, éclaire la vie morale et
psychique des hommes.
Le sage et le philosophe en sauront gré au savant..
»
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