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La science est-elle issue de la technique ?

Extrait du document

« Introduction.

— L'animal manifeste des savoir-faire — parfois admirables — qui lui permettent de subvenir à ses besoins vitaux, mais il ne fonde point d'établissements analogues à nos usines et encore moins des écoles et des laboratoires.

Si l'homme est parvenu à dérober à la matière ses secrets et à transformer la face du monde, c'est qu'il est intelligent ou, si on préfère, qu'il est doué d'une intelligence essentiellement différente de l'intelligence animale.

On ne saurait guère contester cette affirmation. Mais comment et dans quel ordre s'est réalisé le progrès humain : la science est-elle née de la technique ou la technique de la science ? I.

— PRECISONS LE PROBLÈME Dans nombre de ses acceptions, l'adjectif « technique » est aujourd'hui à peu près synonyme de « scientifique » : notre plus haute école d e Sciences se dénomme École Polytechnique et on appelle « techniques » les ouvrages qui ne peuvent être compris que par les spécialistes d'une discipline particulière.

Aussi convient-il de rappeler d'abord le sens premier et fondamental d e ces termes, afin d e pouvoir poser exactement le problème. A.

Notions.

— La science a une fonction théorique : faire connaître et faire comprendre.

Elle cherche à déterminer par l'analyse la nature des choses et à établir les lois qui régissent tant leur formation que leur activité. La technique, au contraire, a une fonction pratique : obtenir un résultat déterminé, produire des choses utiles.

Elle cherche à découvrir les procédés de production les plus avantageux. B.

Rapports.

— La science est donc utile à la technique, car la connaissance approfondie de la nature des choses et de leurs lois permet une action plus facile et plus efficace. Inversement, les réalisations de la technique contribuent au progrès des sciences, car elles constituent de vastes expériences qui ont fait parler du « banc d'épreuve industriel ». C.

Le problème.

— Si la technique, telle que nous la concevons aujourd'hui, se fonde sur la science, il faut bien reconnaître qu'une certaine technique consistant essentiellement en savoir-faire a précédé la science.

La vie, en effet, ne pouvait pas attendre la constitution du savoir.

Pour satisfaire ses besoins immédiats.

l'homme a tâtonné, et est parvenu ainsi à la découverte de procédés permettant d'obtenir le résultat désiré sans connaître le comment de ce résultat. La question qui se pose peut se formuler ainsi : la science est-elle apparue comme un complément de la technique empirique et exigée par elle, ou bien répond-elle à un besoin différent de ceux qui ont donné naissance aux techniques ? II.

— LA RÉPONSE A.

Thèse : la science née de la technique.

— L e sens commun considère la science comme le résultat des progrès d e la technique. L'homme primitif, en effet, a trop d e besoins, pense-t-on, pour pouvoir s'intéresser au savoir pour lui-même.

C'est le désir d e perfectionner les techniques par lesquelles il cherche à satisfaire ces besoins qui l'amène à approfondir ses connaissances empiriques et à s'orienter vers la science. Discussion.

— Il est bien vrai q u e l e besoin constitue le ressort essentiel de l'activité humaine, sans faire exception pour l'activité intellectuelle.

Cependant : — historiquement, nous observons dans les temps anciens un magnifique développement de sciences (astronomie et mathématiques) qui n'avaient pour lors aucune application pratique ; — méthodologiquement, la technique empirique dispose d e procédés éprouvés ; l'un d'eux ne réussit-il pas, on le modifie par tâtonnements jusqu'à ce qu'il obtienne le résultat cherché, démarches qui sont aux antipodes de l'esprit scientifique ; — psychologiquement, il est un besoin de comprendre et de savoir indépendant des besoins vitaux dont les techniques assurent la satisfaction ; sans doute, ce besoin ne se manifeste qu'une fois ces besoins vitaux satisfaits, mais par là même on voit qu'il n'est pas suscité par les exigences de la technique. B.

Antithèse : la science née indépendamment de la technique.

— Les philosophes seraient plutôt portés à faire du désir de savoir le ressort qui fit apparaître la science : « Tous les hommes ont, par nature, le désir de connaître », dit Aristote au commencement de sa « Métaphysique » ; et un peu plus loin : « Le commencement de toutes les sciences, c'est l'étonnement d e ce que les choses sont ce qu'elles sont.

» Ainsi, la science serait née lorsque l'homme, se désintéressant du résultat utilitaire de son action, aurait cherché à la comprendre. Discussion.

— Sans doute, la science n'est pleinement constituée qu'une fois détachée des soucis de la production ; mais il semble bien que sa naissance remonte beaucoup plus haut : — le désir de savoir o u d e comprendre et plus encore l'étonnement supposent la connaissance du déterminisme universel, ressort essentiel de la recherche scientifique comme de l'activité technique ; — en fait, la science est apparue comme intimement associée à la solution de problèmes pratiques : l'observation des astres avait pour but de trouver une mesure du temps ou de prévoir l'avenir (les astronomes étaient en même ,temps des astrologues) ; on sait que les premiers géomètres étaient des arpenteurs ; lorsque, en 1795, les membres de l'Académie des sciences furent distribués en diverses sections, « on ne connut la science de la vie que sous le nom de médecine ». C.

La synthèse : la science implicite dans la technique.

— Aussi empirique qu'elle soit, la technique humaine diffère essentiellement de la technique animale : l'animal sait bien que tel acte est suivi de tel changement, mais il ignore le rapport de causalité nécessaire qui les lie, aussi ne se montre-t-il pas étonné quand l'effet attendu ne se produit pas ; l'homme, au contraire, s'étonne parce qu'il sait que les choses sont régies par le déterminisme ; c'est la conviction de ce déterminisme qui le stimule dans la recherche de techniques de plus en plus perfectionnées.

Ainsi : — la technique humaine implique une science embryonnaire ainsi que la connaissance du ressort de toute science, le principe du déterminisme ; — mais la science ne se constitue comme telle que lorsque l'homme s'élève au-dessus du souci de la production et cherche uniquement à comprendre. Conclusion.

— « Toute technique, aussi bien celle de la pierre éclatée que celles qui l'ont suivie, implique au fond quelque chose de ce qui deviendra un savoir et, de fil en aiguille, de la science...

Peut-être a-t-on exagéré la priorité de l' « homo faber » sur l' « homo sapiens ». Ils sont contemporains, ils s'impliquent.

Dans les- éclairs de conscience qui sont nécessaires à l'utilisation, nous voulons dire à l'outil et à sa fabrication, c'est l' « homo sapiens » qui éveille l' « homo faber » et le crée » .

La science ne naît pas de la technique, mais celle-ci met en jeu l'intelligence qui éprouve la curiosité scientifique le jour où sont satisfaits les besoins essentiels auxquels fait face la technique.. »

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