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La science découvre-t-elle son objet ou construit-elle son objet ?

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« Corrigé posté par: [email protected] [Introduction] On désigne la connaissance scientifique par le terme de «recherche».

Si la science est ainsi l'affaire de chercheurs, c'est qu'elle n'invente pas les vérités qu'elle énonce.

Celles-ci préexistent à leur découverte, elles sont inscrites dans la nature elle-même et le scientifique ne fait que dévoiler ce qui est depuis toujours.

Inversement, le mot de «recherche» souligne le rôle actif joué par le sujet.

Celui-ci n'attend pas que la nature lui découvre ses secrets, il se met en quête, il questionne, conscient que, s'il ne lui appartient pas de décider des réponses, il lui incombe d'interroger puis d'interpréter.

Il piège le réel à travers des dispositifs expérimentaux, l'organise dans des constructions théoriques.

Ainsi le savant ne découvre la nature que parce qu'il a construit lui-même les conditions - théoriques et matérielles - de cette découverte.

Les différents objets de toute science - les faits, les lois, les théories - ne sont ni totalement produits par le sujet, ni simplement lus dans le réel.

La science apparaît comme un composé de passivité et d'activité, de découverte e t d e construction.

C'est la part de chacun de ces éléments ainsi que leur dépendance mutuelle qu'il conviendra de mettre en évidence.

Nous nous demanderons en quel sens l'objet de la science peut préexister à sa découverte.

Est-ce au titre d'un fait que l'esprit se contenterait d'enregistrer ? Est-ce sous la forme d'une connexion universelle et nécessaire entre phénomènes, d'une structure intelligible du réel que la science découvrirait sans les produire ? Nous discuterons ces deux hypothèses en dénonçant le mythe du fait brut, et en montrant que la théorie scientifique ne peut révéler aucun «en soi» des choses. [I.

La science comme découverte.] [1.

La thèse du sens commun et ses difficultés.] On parle des progrès de la science comme d'autant de «découvertes».

À la différence de l'invention où le sujet crée un objet qui n'existait pas avant lui, la découverte implique la préexistence de l'objet par rapport à l'acte par lequel nous en prenons connaissance.

L'homme de science ne ferait ainsi que dévoiler, rendre manifestes des lois qui, depuis toujours, gouvernent le monde.

La force de gravitation précéderait Newton comme l'Amérique, Christophe Colomb.

L'objet de la science serait comme préformé dans la nature et n'attendrait plus que de tomber sous le regard d'une conscience pour devenir connaissance.

Si cette idée a un sens s'agissant d'un objet matériel - il est bien vrai qu'un gisement de pétrole n'existe pas moins parce qu'il n'est pas découvert - en a-t-elle cependant encore dans le cas de la science? Y a-t-il dans une réalité en soi quelque chose qui ressemble aux équations de Maxwell ? Que voulons-nous dire alors en prétendant que l'objet préexiste au discours que la science tient sur lui ? Une première difficulté ébranle donc la certitude du sens commun : en affirmant que la science découvre la réalité, on introduirait entre la nature et la science un problématique rapport de modèle à copie.

Naïvement, on se figure que le scientifique ne fait que dire ce qui est. Ce point sera confirmé par l'analyse de l'objectivité.

Les relations énoncées par la science entendent décrire adéquatement l'objet auquel elles se rapportent, en retracer fidèlement les contours, proscrivant tout ce qui proviendrait du sujet.

Encore une fois, l'objet préexiste à la science qui doit s'incliner devant lui.

Le moi, loin de jouer un rôle actif, doit, en entrant dans le laboratoire, se dépouiller de toutes ses particularités pour ne pas altérer la pureté de l'objet par des croyances personnelles, des représentations fausses suggérées par l'imagination ou le langage, des préjugés liés à l'époque.

Devenir rationnel pour le sujet signifie se déprendre de sa subjectivité, s'effacer devant la structure objective de la réalité.

Rien ne serait donc plus inconcevable que la perspective selon laquelle la science pourrait dépendre des initiatives, des choix, des jugements de l'expérimentateur ou du théoricien.

Bref, l'objet ne saurait être construit.

On répétera notre première question en demandant quelle est cette intuition de l'objet qui guiderait le scientifique dans ses recherches et servirait de caution à ses affirmations.

On en ajoutera une seconde que nous retrouverons plus tard : la dépréciation de l'idée de construction est motivée par une critique du subjectivisme mais subjectif signifie-t-il nécessairement particulier, partial voire partisan ? Contre ce point de vue, on pourra faire valoir que la raison, loin de suivre passivement les contours d'un objet qui lui serait donné on ne sait comment, suppose au contraire une activité par laquelle le sujet structure le réel. [2.

La science est découverte car elle repose sur l'expérience.] Quelle est cette réalité extérieure dont la science ne serait que la découverte ? S'il y a un sens à parler de découverte, c'est que le monde nous précède.

Nous le rencontrons sans le produire.

Les théologiens diraient que nous ne l'avons pas créé.

Cette passivité fondamentale est celle de l'expérience: ce terme désigne l'épreuve première par laquelle quelque chose nous est donné.

C'est donc parce que les sciences, à l'exclusion des mathématiques, sont empiriques, parce qu'elles reposent sur un contenu positif, qu'elles découvrent leur objet: à la base de tout échafaudage théorique se trouvent des faits que l'on constate.

Il y a toujours, en science, un moment de vérité durant lequel, renonçant à toute interprétation, le scientifique va simplement enregistrer un résultat, par exemple en lisant une mesure sur un appareil.

Toute élaboration théorique doit retourner à l'expérience qui prononcera sur elle une sentence de vie ou de mort.

La science est donc découverte en raison de la finitude de notre esprit qui est ouvert sur un élément étranger à lui.

Cette réceptivité est avant tout celle de la perception.

Le réel auquel le discours scientifique doit correspondre est celui qui s'offre à nos sens.

Parce qu'elle nous met en présence d'un élément d'altérité irréductible, la science ne peut qu'être périodiquement déconcertée par la nature qu'elle cherche à comprendre.

L'ordre par lequel elle entend capter le flux de l'expérience est toujours trop étriqué pour annexer et a fortiori anticiper la nouveauté qui intarissablement alimente la connaissance scientifique.

Et c'est en quoi aussi la science est découverte.

Il n'y a pas de découverte sans surprise et sans nouveauté.

Si je peux planifier par avance ma rencontre avec l'inconnu, est-ce encore l'inconnu que je rencontre? La découverte implique le surgissement d'un imprévu qui déjoue mes attentes et remet en cause mes anciens cadres de pensée.

C'est ainsi que l'histoire des sciences, à côté de périodes qui exploitent paisiblement les ressources d'une théorie établie, est aussi faite de révolutions, de sauts, de crises.

Quelle n'a pas dû être la stupeur des premiers physiciens mis en présence de résultats incompatibles avec les principes de la si certaine mécanique newtonienne! Or cela serait-il si la science n'était qu'une simple construction humaine ? À la manière des ouvrages dont l'édification suit un plan tracé d'avance, le progrès de la science serait alors une marche continue et non une série de remises en question. [3.

Insuffisance de l'idée de découverte.] Les sciences, toutefois, ne sauraient se satisfaire de découvertes hasardeuses; elles ne peuvent compter sur les faveurs de la nature.

La science entend, au contraire, maîtriser sa propre évolution et reconquérir, au niveau de la méthode, l'initiative qu'elle perd sur le plan des résultats, programmer les questions faute de planifier les réponses.

Le scientifique n'attend pas tel le Newton de la légende qu'une pomme lui tombe sur la tête et que la nature se révèle à lui! S'il est question de découverte, ce n'est pas que le réel se découvre à nous, c'est plutôt le sujet de la connaissance qui tire le voile, l'arrache même en mettant la nature à la question, en la sommant de répondre à ses interrogations.

Comme le note Kant, dans la préface de la Critique de la raison pure, la raison ne s'instruit pas auprès de la nature comme un écolier auprès d'un maître, mais comme un juge qui interroge des témoins.

Une réponse sans question préalable, ou du moins une réponse - dans le cas rare d'une découverte faite par hasard - à propos de laquelle on ne pourrait formuler après coup la question dont elle est la réponse, ne serait source d'aucune instruction.

L'esprit ne découvre jamais que ce qu'il cherche.

Or, s'il ne décide pas du succès de sa recherche, c'est en revanche lui qui en fixe le tracé et même en construit la route.. »

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