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La sagesse est-elle l'absence de passions ?

Extrait du document

« [I.

Le sage ne peut être asservi à la passion.] [1.

Le sage.] La figure du sage, telle que toute la philosophie antique se l'est représentée, trouve une de ses expressions chez Cicéron : «Seule la sagesse est tournée tout entière vers elle-même (...).

La sagesse comprend la grandeur d'âme, la justice et ce qui permet à l'homme de juger comme au-dessous de lui les accidents qui lui arrivent, ce dont les autres arts sont incapables.

» Le sage est en ce sens un idéal de l'humanité : il est entièrement maître de lui-même, sans être soumis aux aléas de la fortune.

Sa vie est tranquillité, sérénité, rien de ce qui lui arrive ne peut le troubler.

Possédant toutes les vertus, le sage n'est attaché à rien d'extérieur à lui, il cultive sa propre sagesse pour elle-même. [2.

Le passionné.] Le tyran est, pour l'Antiquité, le modèle de l'homme passionné.

Le livre IX de La République de Platon dresse ainsi son portrait «Celui qui est effectivement un tyran est effectivement un esclave, allant jusqu'au bout des adulations et des servitudes, flatteur des hommes les plus dépravés ; ne réussissant d'aucune manière au monde à assouvir ses désirs, il se révèle bien plutôt le plus indigent des hommes à l'égard du plus grand nombre de choses (...); chargé de peur dans tout le cours de sa vie, plein d'agitations convulsives et d'angoisses.» Le tyran est à l'image du passionné : il n'est plus maître de lui-même malgré sa force apparente ; au fond de son être, il est esclave, il ne peut plus résister aux passions qui l'assaillent et est davantage esclave que ceux qu'il asservit. [3.

Le sage est exempt de passions.] Diogène Laërce, dans son exposé de la philosophie des stoïciens, écrit: «Le sage, disent-ils, est sans passion parce qu'il ne se laisse pas entraîner.

» Le sage est en effet maître de soi et la passion aliène, le sage vit en ce sens en état d'ataraxie, d'absence de trouble.

Toute passion lui serait nuisible et contradictoire avec sa sagesse.

Cicéron, dans les Tusculanes, précise, après avoir dressé le portrait de l'homme en proie au chagrin : «Et ce sont là les passions qui minent l'âme, je veux dire le chagrin et la peine; mais celles qui sont moins sombres, le désir qui recherche avidement son objet, la gaieté absurde avec ses mouvements désordonnés, diffèrent peu de la folie.

» Autrement dit, il n'y a pas de bonnes passions et de mauvaises passions.

Les effets de la joie ou du désir sont aussi dangereux pour l'équilibre spirituel et la maîtrise de soi-même du sage que le sont la haine et la tristesse.

Le sentiment intérieur de plaisir ou de peine qui accompagne la passion ne suffit pas à rendre celle-ci bonne ou mauvaise : tout ce qui peut troubler mon âme, m'arracher à moi-même est mauvais. [II.

La sagesse comme bon usage des passions.] Cependant, si le sage ne peut être esclave des passions, il leur reste néanmoins exposé.

Certes le sage ne succombe pas à la passion comme le débauché ou le tyran, mais il peut lui-même être sujet à la passion : la sagesse ne peut en ce sens être radicalement séparée de la passion.

La question qui se pose devient alors la suivante comment le sage use-t-il de ses passions? [1.

L'objet de la passion peut s'accorder avec celui de la sagesse.] Dans une lettre du 1 er février 1647 à Chanut, Descartes répond à une question que lui avait posée son correspondant : «Lequel des deux dérèglements est le pire, celui de l'amour, ou celui de la haine?» La question posée par Chanut ne fait plus de ces deux passions deux maux absolus, mais il s'agit tout au contraire d'établir au sein des passions une hiérarchie entre des passions comparativement bonnes ou mauvaises. Descartes écrit ainsi, par exemple, que «l'amour qu'on a pour un objet de peu d'importance, peut causer plus de mal, étant déréglée, que ne le fait la haine d'un autre de plus de valeur».

L'accent est mis ici sur la nature de l'objet de la passion et sur la nature de la passion elle-même.

L'amour est pire que la haine parce qu'en aimant quelque chose qui ne le mérite pas, nous nous comportons de façon injuste à l'égard de tout le reste, parce que nous négligeons le monde entier pour satisfaire une passion sans valeur; inversement, bien que ce soit un mal, notre haine ne touchera que son objet propre, et nous pourrons nous comporter avec justice dans toutes les autres circonstances. Par ailleurs, on peut déduire aussi de la phrase de Descartes qu'a contrario, l'amour que l'on a pour ce qui mérite d'être aimé (l'amour du père de famille pour ses enfants et non pas celui de l'ivrogne pour le vin) mérite d'être cultivé, parce que son objet est conforme à ce qu'attendrait la sagesse. [2.

La passion peut nous rendre joyeux.] Il faut en outre avoir à l'esprit qu'une passion comme l'amour peut nous aider à être vertueux et, par là même, sages en nous rendant joyeux.

«L'amour, tant déréglée qu'elle soit, donne du plaisir» nous dit Descartes.

La sagesse est en effet le contraire de la tristesse et de l'abattement.

À la suite d'Épicure, Kant nous le rappelle dans La Religion dans les limites de la simple raison : le sage doit avoir le coeur joyeux, sans quoi il ne sera pas disposé à faire le bien.

«De quelle nature est la disposition esthétique, pour ainsi dire le tempérament de la vertu, courageux donc joyeux ou abattu par la crainte et découragé? Eh bien, une réponse est à peine nécessaire. Cette dernière disposition de l'âme propre à un esclave ne se rencontre jamais sans une haine cachée de la Loi et le coeur joyeux (...) est un signe de l'authenticité d'une intention vertueuse.» Les passions que sont l'amour ou la joie ne nous rendent certes pas sages, mais nous disposent de telle sorte que nous puissions plus facilement devenir sages. [3.

La passion peut nous rendre vertueux.] Plus fondamentalement et plus immédiatement, certaines passions peuvent nous rendre vertueux.

Revenons à Descartes : «L'amour, quelque déréglée qu'elle soit, a toujours le bien pour objet (...).

Ceux qui s'adonnent à aimer, encore même que leur amour soit déréglée et frivole, ne laissent pas de se rendre souvent plus honnêtes gens et plus vertueux, que s'ils occupaient leur esprit à d'autres pensées.» L'objet de l'amour, comme celui de la joie ou du désir, est en effet le bien (nous n'aimons en effet que ce qui nous apparaît comme un bien) et nous sommes disposés en bien envers ce que nous aimons.

Aussi sommes-nous portés à la bienveillance et à la vertu du simple fait que nous aimons.

La passion ne nous met plus seulement dans une disposition favorable à la sagesse ou la vertu, mais elle est en elle-même porteuse de sagesse, ouvrière de vertu.

Il y a, dans la constitution même des passions, quelque chose qui renforce la sagesse et témoigne que cette dernière ne peut se concevoir repliée sur elle-même.. »

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