La religion est-elle la négation de l'homme ?
Extrait du document
«
[L'esprit divin n'est pas supérieur à l'entendement humain.
La religion chrétienne a conduit l'homme à magnifier Dieu
et à s'appauvrir lui-même.
Elle nie en lui sa raison
et sa bonté naturelle.]
L'entendement humain n'est pas fini
Feuerbach ouvre sa réflexion sur «l'essence du christianisme» en posant cette idée: l'homme qui prend
conscience de son existence prend aussi conscience de son appartenance à l'humanité tout entière.
Il sait,
par conséquent, que son entendement est illimité.
Il possède tous les caractères que la religion chrétienne a
attribués à Dieu.
La religion chrétienne a dépossédé l'homme de sa propre essence
Si l'esprit divin n'est rien d'autre que l'entendement humain, l'homme devrait se retrouver lui-même au sein de
la religion.
Mais la religion chrétienne a opéré un renversement de perspective.
La relation de l'homme à sa
propre essence est devenue relation à un autre être; en l'occurrence Dieu.
A mesure que Dieu est devenu
l'incarnation de la toute perfection, l'homme s'est appauvri.
La religion s'enracine dans le sentiment du sacré.
Mais dans la société moderne, depuis le triomphe de la bourgeoisie, il semble
que ce sentiment du sacré se soit évanoui ou ait été perverti.
Feuerbach est l'un des premiers philosophes à avoir pris toute la mesure du
caractère profane de notre société.
Il reconnaît que les hommes se sont si bien « appropriés » « le vrai », « l'humain » et « l'antisacré » que
le « christianisme a perdu toute force de résistance ».
Le christianisme, écrit-il, « est nié », « nié dans l'esprit et le coeur, dans la science et
la vie, dans l'art et l'industrie, radicalement, sans appel ni retour » : « L'incroyance a remplacé la foi, la raison la Bible, la politique la religion
et l'Eglise, la terre a remplacé le ciel, le travail la prière, la misère matérielle l'enfer, l'homme a remplacé le chrétien ».
Et, ajoute Feuerbach,
« si dans la pratique l'homme a remplacé le chrétien, il faut alors que dans la théorie aussi l'être humain remplace l'être divin ».
Ce qui
signifie que la philosophie doit cesser d'être « théologie » pour devenir « anthropologie ».
Dans « L'essence du christianisme »,
Feuerbach montre que, dans la religion, l'homme est aliéné, cad dépossédé de lui-même, de sa propre essence.
La religion n'est jamais que
le mystère de l'homme fait Dieu.
Autrement dit, ce ne sont jamais que ses propres perfections et ses propres attributs que l'homme adore
en Dieu.
L'homme s'est ainsi dépouillé de son être pour l'attribuer à une réalité étrangère, Dieu : « Pour enrichir Dieu, l'homme doit
s'appauvrir ; pour que Dieu soit tout, l'homme doit n'être rien » (« L'essence du christianisme ») La religion est « la première conscience
de soi de l'homme, mais elle est indirecte ».
En elle, l'homme « a pour objet son propre être sous forme d'un autre être ».
La religion
chrétienne est « la relation de l'homme à lui-même, ou plus exactement à son essence, mais à son essence comme à un autre être ».
Aussi la
tâche de la philosophie est-elle de faire reconnaître à l'homme sa propre essence au lieu qu'il adore en un autre être, nommé Dieu.
Pour
Feuerbach, il y a du divin, car le savoir ou l'amour sont choses divines mais il n'y a pas de Dieu.
Il peut donc exister une religion sans
Dieu.
Le véritable athée est seulement « celui pour lequel les prédicats de l'être divin, comme par exemple l'amour, la sagesse, la justice,
ne sont rien, et non pas celui pour lequel seul le sujet de ces prédicats n'est rien ».
Il ne suffit donc pas de nier l'existence de Dieu ou « le
sujet de ces prédicats » pou être athée, il se propose seulement de renverser la théologie en intervertissant le sujet et le prédicat : au lieu
de dire « Dieu est sage et bon », il dit « l'homme est sage et bon ».
Feuerbach substitue donc à la religion de Dieu celle de l'homme.
Autrement dit, l'homme doit adorer en lui-même les qualités qu'aucun individu ne peut sans doute réaliser entièrement, mais qui sont
cependant celles de l'espèce humaine.
Réaliser l'essence humaine est l'affaire de la politique.
Cette finalité est en son fond religieuse,
puisqu'il s'agit d'actualiser tout ce qu'il y a de possibilité divine en l'homme : « Il nous faut redevenir religieux, il faut que la politique
devienne notre religion.
».
»
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