La raison du plus fort est-elle toujours la meilleure ?
Extrait du document
«
Définition et problématique :
La raison désigne la faculté de calculer, puis d'analyser, d'élaborer.
Cette faculté semble bien au premier
abord nécessiter une certaine puissance, tout du moins de l'esprit.
Mais quand on parle du plus fort, on évoque
plutôt celui qui s'exprime le plus fort, celui qui parvient à imposer ses idées.
Celui-ci a-t-il plus raison qu'un autre ?
I – La raison, une méthode
1)
Raisonner c'est appliquer une méthode
Descartes nous explique que pour avoir une raison qui soit juste et vraie, il faut appliquer une méthode.
La raison la
meilleure sera alors la plus en accord avec cette méthode.
Descartes, Discours de la méthode :
« Au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je cru que j'aurais assez des
quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les
observer.
Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ;
c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes
jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement a à mon esprit que je n'eusse aucune
occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il
serait requis pour les mieux résoudre.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus
aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés ; et
supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré
de ne rien omettre.
»
2)
La raison la meilleure n'est pas l'érudition
Descartes, Règles pour la direction de l'esprit :
« Il faut lire les ouvrages des Anciens, parce qu'il est pour nous d'un immense profit de pouvoir tirer parti
des efforts d'un si grand nombre de personnes : aussi bien pour connaître ce qu'on a déjà découvert de vrai en ces
temps-là, que pour être averti des problèmes qui restent à résoudre dans toutes les disciplines.
Il est cependant
fort à craindre que peut-être certains germes d'erreurs, contractés à partir d'une lecture trop assidue de leurs
ouvrages, ne s'accrochent à nous malgré que nous en ayons, et nonobstant toutes nos précautions.
Les auteurs en
effet sont d'habitude enclins, chaque fois qu'ils en sont venus, par un acte de foi irraisonné, à prendre parti en un
sens ou un autre sur quelque opinion controversée, à tenter sans relâche à nous amener du même côté par les
arguments les plus subtils...
La force de la connaissance encyclopédique ne conduit pas à la raison la meilleure.
II – La raison juste : savoir qu'on ne sait pas
1) Le plus fort n'est pas celui qui croit savoir
Platon, Apologie de Socrate, 20d-22b :
« Or, un jour qu'il était allé à Delphes, il osa poser à l'oracle la question que voici – je vous en prie encore
une fois, juges, n'allez pas vous récrier -, il demanda, dis-je, s'il y avait au monde un homme plus sage que moi.
Or
la pythie lui répondit qu'il n'y en avait aucun.
Et cette réponse, son frère, qui est ici, l'attestera devant vous,
puisque Khairéphon est mort.
[...] Lorsque j'eus appris cette réponse de l'oracle, je me mis à réfléchir en moimême : « que veut dire le dieu et quel sens recèlent ses paroles ? Car moi, j'ai conscience de n'être sage ni peu ni
prou.
Que veut-il donc dire, quand il affirme que je suis le plus sage ? Car il ne ment certainement pas ; cela ne lui
est pas permis.
» Pendant longtemps je me demandai quelle était son idée ; enfin je me décidai, quoique à grand
peine, à m'en éclaircir de la façon suivante : je me rendis chez un de ceux qui passent pour être des sages, pensant
que je ne pouvais mieux que là, contrôler l'oracle et lui déclarer : « cet homme-ci est plus sage que moi, et toi, tu
m'as proclamé le plus sage.
» J'examinai donc cet homme à fond.
[...] Il me parut en effet, en causant avec lui, que
cet homme semblait sage à beaucoup d'autres et surtout à lui-même, mais qu'il ne l'était point.
J'essayai alors de lui
montrer qu'il n'avait pas la sagesse qu'il croyait avoir.
Par là, je me fis des ennemis de lui et de plusieurs des
assistants.
Tout en m'en allant, je me disais en moi-même : « je suis plus sage que cet homme là.
Il se peut
qu'aucun de nous deux ne sache rien de beau ni de bon ; mais lui croit savoir quelque chose, alors qu'il ne sait rien,
tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir.
Il me semble donc que je suis un peu plus sage que.
»
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