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La punition peut-elle ne rien devoir à la vengeance ?

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« « Nul n'a le droit de se faire justice soi-même.

» Comprendre un tel précepte, c'est se délivrer des représentations non réfléchies qui peuvent résulter des impressions et des impulsions premières.

Il peut sembler paradoxal en effet d'interdire à la victime de l'agression toute riposte qui ne relève pas de la légitime défense.

Pourtant, la fondation d'un état de droit est incompatible avec l'acceptation de la possibilité d'une telle riposte, qui conduirait à transformer l'ensemble de la société en un champ clos de luttes incessantes, en un règne de la vendetta.

Pour que la punition soit normée par la seule loi, il faut qu'elle soit affranchie de toute passion.

La punition peut-elle ne rien devoir à la vengeance ? La volonté de dissocier punition et vengeance relève d'une conception générale des rapports entre les hommes dans une société civilisée.

Pour faire échapper ces rapports au règne de la violence et à la loi du plus fort, il faut les placer sous la juridiction d'un état de droit, où doit prévaloir la norme de ce qui doit être, conformément à une exigence de justice.

Dans un tel cadre, toute infraction, après avoir été dûment établie et caractérisée, doit être sanctionnée conformément à la loi, et non selon l'appréciation personnelle de tel ou tel individu, ou le désir de vengeance de la victime.

Placer toute punition sur le plan de la loi commune et des dispositions générales qui la concrétisent, c'est lui assurer sa force et sa légitimité : nul n'en peut contester le principe ou l'application dès lors qu'elle s'impose à tous de la même façon, et se présente explicitement comme la condition de possibilité de la vie du groupe : la fonction du droit, comme le montrait Kant, est d'organiser la coexistence des libertés individuelles (cf.

le paragraphe C de l'Introduction à la doctrine du droit, où le principe universel du droit est énoncé de la façon suivante : « Est juste toute action qui permet ou dont la maxime permet à la liberté de l'arbitre (faculté de choix) de tout un chacun de coexister avec la liberté de tout autre suivant une loi universelle »). Dans une telle perspective, la punition légale ne peut plus relever d'une logique de la vengeance : les fonctions de réparation et de sanction, légitimement requises par toute victime, sont du seul ressort de la légalité ; instituées dans l'état de droit, elles n'ont rien à voir avec l'exigence aveugle de la vengeance, de l'impulsion non maîtrisée, du désordre passionnel.

Pour que la punition ne doive rien à la vengeance, deux conditions simultanées doivent être remplies : il faut que les « attentes » légitimes de toute victime à l'égard de la loi soient prises en charge par celle-ci ; mais il faut aussi que la victime admette la nécessité d'un « traitement juridique » de la faute commise.

La réaction affective ne peut être niée magiquement, mais elle doit se transcender et se médiatiser dans une appréhension rationnelle des exigences du droit : si l'impulsion de la volonté particulière incite à la vengeance, la conviction rationnelle du citoyen responsable doit faire advenir le point de vue de la volonté générale, en tant qu'elle légifère pour rendre possible la vie du groupe, et de tout homme.

La punition au sens juridique doit répondre à une exigence impersonnelle en son principe, donc dépourvue de toute dimension subjective ou particulière ; de surcroît, elle fait dépendre la réparation accordée à la victime non d'un ressentiment, trop porté à une réaction disproportionnée, mais d'un principe d'évaluation des dommages aussi objectif que possible. Une telle conception se heurte bien sûr à l'approche passionnelle et spontanée qui bien souvent est celle de la victime.

Le désir de vengeance reflète, dans une certaine mesure, la souffrance, et la difficulté, pour la victime, de prendre ses distances.

Comme le dit Platon, métaphoriquement, « l'âme est clouée au corps », et la distanciation nécessaire pour faire advenir une appréhension du vécu permettant de faire prévaloir la raison n'existe pas d'emblée.

C'est pourquoi la punition, même si, en droit, elle ne doit rien devoir à la vengeance, ne semble pouvoir être perçue, dans un premier temps, que comme vengeance.

Mais ce qui est compréhensible (sans être acceptable) lorsqu'il s'agit de victimes sous l'emprise de la souffrance et de la passion immédiate, ne peut l'être pour des personnes qui sont en mesure de « prendre leurs distances » et de faire droit aux exigences de la raison.

Il est ainsi tout à fait abusif d'étendre la clause, très précise et rigoureusement délimitée, de la légitime défense, jusqu'à un prétendu droit de se faire justice soi-même La vengeance est la meilleure justice. q La vengeance directe satisfait le plus souvent mieux la personne lésée que la punition de son agresseur par une tierce personne : du point de vue personnel de celui qui se venge, il semble toujours juste qu'il rende luimême immédiatement, bien qu'avec équité et proportion, le coup qu'on lui porte, puisque c'est lui qu'on a lésé. Ainsi en est-il encore de la justice dans certains pays. q La justice fonctionne ainsi selon une logique de compensation.

Telle peine correspondant au plaisir de l'infliger à son tour, la vengeance, « plat qui se mange froid », rééquilibre l'état d'injustice.

De fait, après la punition du coupable par la justice, les victimes ont souvent un sentiment de frustration de ne pas l'avoir exécutée ellesmêmes. q D'autre part cependant, pour que la vengeance paraisse juste, il faut qu'elle ne déborde pas le dommage subi : cette juste proportion est appelée « loi du talion » : oeil pour oeil, dent pour dent.

Si elle la dépassait, la vengeance serait une injustice, et appellerait à son tour une vengeance.

Tant qu'elle observe ces limites, la justice est respectée.

Kafka imagine, dans sa « Colonie pénitentiaire », une machine à rendre justice, qui grave sur le dos des coupables la loi qu'ils ont enfreinte : si la machine s'emballe, personne n'est responsable de ses débordements.

Celui qui se venge au contraire porterait la responsabilité de ses excès, et s'attirerait à son tour une juste vengeance. 1) La vengeance, réaction spontanée à une affaire personnelle et n'a rien à voir avec le droit. »

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