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La poésie est-elle plus nécessaire que la science ?

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« Introduction.

— Le prodigieux essor des sciences appliquées et des sciences proprement dites au XIXe siècle avait suscité les plus fols espoirs : grâce aux découvertes qui se multipliaient, la souffrance serait bientôt éliminée de la terre et les lumières de la science donneraient une satisfaction complète aux esprits. Le sceptique Anatole France ne partage pas cette foi naïve : « La science, dit-il ne se soucie ni de plaire ni de déplaire : elle est inhumaine.

Ce n'est pas elle, c'est la poésie qui charme et qui console.

C'est pourquoi la poésie est plus nécessaire que la science.

» Que faut-il penser de ces affirmations ? I.

LA SCIENCE La science a pour objet de faire connaître et de faire comprendre ; c'est à la technique d'utiliser ces connaissances théoriques pour l'amélioration du sort de l'homme.

La physique, par exemple, nous apprend les lois de la chaleur, mais elle ne se préoccupe pas de nous protéger contre le froid. Il est donc bien vrai que la science ne se soucie ni de plaire ni de déplaire : elle constate ce qui est, sans considération du plaisir ou du déplaisir que pourront causer les observations faites ; on ne trouve pas en elle cette disposition des bonnes âmes à fermer les yeux sur les réalités désagréables pas plus que la tentation perverse de ne pas voir ce qui pourrait faire des heureux. Cependant on ne peut pas dire qu'elle soit inhumaine.

Sans doute, si on la personnifie, on doit bien reconnaître qu'elle ne possède aucun des caractères essentiels de la personnalité humaine.

Mais, outre qu'on pourrait en dire autant de la poésie, ce n'est là que jeu de l'imagination : en réalité, la science n'est rien en dehors de l'esprit humain qui l'édifie ou qui se l'assimile.

Ainsi, la science est humaine parce qu'elle est une oeuvre de l'homme et que, par suite, son but dernier est le bien de l'homme : le savant, en effet, dans la mesure même où il est humain, l'oriente à l'amélioration du sort matériel et moral de l'humanité.

On ne peut donc pas reprocher à la science d'être indifférente au bonheur des hommes. Enfin, tout aussi bien que la poésie, à sa manière, elle charme et console.

Sans doute, celui qui s'y adonne sans goût, par exemple dans le seul but de préparer un examen ou un concours, n'y éprouvera pas grand plaisir ; pour lui, l'étude n'est guère qu'une pénible corvée.

Mais il en est tout autrement du chercheur avide de savoir et de comprendre : soutenues par l'inconsciente perspective de la trouvaille, des recherches prolongées lui paraissent plus courtes que le plus captivant des jeux.

Aussi lorsque le malheur le frappe il trouve dans ses livres ou dans son laboratoire la diversion la plus bienfaisante et une suffisante raison de vivre. Homme de lettres, Anatole France a donc parlé de la science avec trop de partialité.

Son jugement sévère n'avait pour but que d'introduire un plaidoyer « pro domo » et de faire valoir la poésie. II.

— LA POÉSIE Celle-ci a-t-elle le pouvoir magique que lui attribue France ? Est-il vrai qu'elle charme et console ? Le mot « poésie » étant employé en des sens assez divers, nous ne pouvons nous prononcer sur le charme et le pouvoir consolateur de la réalité qu'il désigne sans préciser ce qu'il faut entendre par là. Dans son acception la plus usuelle, « poésie » s'oppose à « prose » ; appartient au genre poétique tout ouvrage écrit en vers : un poème didactique, une épopée, un drame ou une comédie, aussi bien qu'une élégie ou une idylle. Inutile de le dire, ce n'est pas la poésie ainsi entendue qui peut charmer et consoler.

Il serait ridicule, par exemple, de proposer la lecture de « L'Art poétique » de Boileau à un fils effondré à la suite de la mort de sa mère.

D'autre part, il ne manque pas de prosateurs qui savent donner aux pensées un tour qui charme et dont la phrase berce tout aussi bien que les vers les plus harmonieux . Mais Anatole France ne prenait pas le mot « poésie » dans un sens aussi large ; il ne songeait qu'au genre poétique qui, de nos jours, subsiste presque seul : la poésie lyrique.

De celle-là du moins ne peut-on pas dire qu'elle charme et qu'elle console ? On ne peut le nier, bien plus facilement que la prose, un poème lyrique est capable de nous enchanter et parfois de nous envoûter.

Même lorsqu'il nous maintient dans le sentiment douloureux que nous éprouvons, en le chantant il le rend enchanteur : on s'y complaît ; on est en quelque sorte heureux de son malheur, au point d'en venir à mépriser le bonheur insolent de celui à qui tout semble réussir. Mais la poésie n'exerce son action que sur les tempéraments prédisposés et sur les esprits préparés par une longue culture littéraire.

Elle n'est pas une panacée à proposer à la masse de ceux qui souffrent.

Elle ne charme et ne console que le poète et celui qui pourrait le devenir. On peut même se demander si le merveilleux pouvoir que lui attribue Anatole France, la poésie le possède sur l'âme poétique elle-même lorsqu'un grand malheur vient de la frapper.

Les élégies sont rétrospectives : c'est après coup, et souvent longtemps après que le poète songe à chanter son infortune.

De même, je suis déjà à moitié consolé lorsque je cherche ou accepte le recueil de poésies destiné à procurer quelque soulagement à ma douleur. On pourrait, il est vrai, donner au mot poésie une extension beaucoup plus grande et entendre par là une façon poétique de voir toutes choses, la nature, les hommes, leur histoire.

Suivant l'étymologie du mot, le poète est celui qui crée ou du moins transforme par la pensée le réel que lui montrent ses sens, y voit un ordre et une signification qui échappent au vulgaire. La poésie ainsi comprise, qui implique une philosophie de la vie, si elle ne se confond pas avec la philosophie même, est plus compatible que le lyrisme avec une poignante douleur : l'échec de nos rêves nous amène à nous poser la question du sens de la vie et à échafauder une construction qui y réponde.

Mais l'homme de la rue n'est pas plus philosophe qu'il n'est poète : c'est à quelques privilégiés seulement que la philosophie ou la poésie procure charme et consolation. En somme, nous rejetons l'affirmation d'Anatole France et l'opposition qu'il prétend établir entre la poésie et la. »

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