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La pitié est-elle morale ?

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« Introduction Ressentir de la pitié envers quelqu'un désigne un mode d'être sympathique vis-à-vis d'autrui au regard de ses souffrances, ainsi que le désir d'y mettre un terme.

La pitié semble ainsi d'abord positive puisqu'elle marque l'attention, la non indifférence d'un spectateur devant le malheur d'autrui.

Toutefois, en dépit de la tendance altruiste de la pitié, certains peuvent, sans pour autant être catégorisés d' « anormaux », présenter face à l'autre mépris et indifférence.

La pitié peut-elle en ce sens être un vecteur de moralisation chez l'homme, et éveille-t-elle en lui un sentiment de bonté altruiste, ou bien n'est-elle qu'un moyen pour soi de se détaxer d'égoïsme ? I.

De la conscience morale : Rousseau Rousseau prônera, à l'encontre du rationalisme moral, une morale fondée sur le sentiment.

De fait, la moralité selon lui ne dépend pas fondamentalement du jugement, de la réflexion, mais du sentiment, c'est-à-dire de l'intuition (ou évidence) immédiate qu'on a du bien et du mal, et qui précède le jugement.

La conscience, dont les actes ne sont point des jugements mais des sentiments, est condition du jugement moral, alors que la raison est trompeuse, quand elle est asservie aux passions, ou aux intérêts égoïstes.

Cependant, libérée des chaînes passionnelles, la raison, guidée par le sentiment intérieur, peut procurer de bons jugements moraux : « la moralité de nos actions » consiste « dans le jugement que nous en portons nous-mêmes », jugement et non intuition, mais il doit être guidé par le sentiment intérieur, car autrement il tomberait dans les erreurs qui proviennent de l'esclavage où le mettent passions et intérêts.

Ainsi se formule le fondement de la morale chez Rousseau : « Il est donc au fond de nos âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d'autrui comme bonnes ou mauvaises ; et c'est à ce principe que je donne le nom de conscience ».

Pour faire simple, tout homme a une vie sentimentale, affective, susceptible de lui communiquer ce qui est bien et ce qui est mal.

Dès lors, bien que porté par son instinct de conservation (poursuivre le plaisir et fuir la douleur), l'homme n'en est pas pour autant purement égoïste ; il a sa part d'altruisme, qui provient de ce sentiment inné qu'est la pitié : « La pitié est un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l'espèce ».

Ce sentiment altruiste qu'est la pitié a son origine en nous, mais son objet est hors de nous ; elle est identification à autrui, ou la base du développement de la conscience morale : « je me sens pour ainsi dire en lui ; c'est pour ne pas souffrir que je ne veux pas qu'il souffre ; je m'intéresse à lui pour l'amour de moi ».

La pitié, issue de cet « instinct divin » qu'est la conscience, est considération morale et source d'actions morales, en tant qu'elle peut pousser à agir de manière altruiste, c'est-à-dire, en tant qu'elle peut mener à vouloir mettre un terme aux souffrances d'autrui (voir Profession de foi du Vicaire savoyard). II.

L'altérité comme vecteur de morale a.

Dans Le fondement de la morale (§19), Schopenhauer annonce l'exemple d'un homme qui renonce à son entreprise de tuer une autre personne.

Par cet exemple l'auteur voudra rendre compte de la motivation de l'action morale.

L'homme n'a pas renoncé à tuer parce qu'il s'est finalement rendu compte que sa maxime ne pouvait être universalisé, ou parce qu'il ne considérait pas autrui comme une fin en soi (Kant), mais bien plutôt parce qu'il a été pris par un sentiment de compassion, qui l'a poussé à avorter son projet meurtrier. Schopenhauer définira ainsi la conduite morale sur le plan de l'altruisme et de l'égoïsme, en ceci que la considération de la souffrance d'autrui me ramène à moi-même en tant qu'être souffrant.

Du fait de cette identification le bien d'autrui me devient aussi essentiel que le mien propre.

Plus l'homme est conscient de la vie, plus il se rend compte que toute vie est souffrance. b.

Une perspective philosophique contemporaine, à travers la figure de Lévinas, peut nous permettre de penser un retour à une forme de naturalisme moral, en considération de la responsabilité que chacun doit prendre conscience devant le visage d'autrui.

E.

Lévinas montrera que le visage d'autrui nous invite à une considération morale hautement divine.

En effet, le visage nu est l'indice pour moi de l'Autre infini, absolu, et me commande de ne pas lui faire de mal.

Ainsi le visage d'autrui porte en lui ces prescriptions inconditionnées, que sont le « tu ne tueras point » etc.

Chacun est donc infiniment responsable par rapport à l'autre, à sa fragilité. III.

La pitié comme sentiment des faibles ou comme pathologie altruiste a.

Nietzsche se plaît à déclarer « Je suis le premier immoraliste ».

L'immoralisme est cette attitude qui consiste à récuser les valeurs morales, à douter de la légitimité de l'autorité que la conscience morale possède comme juge de la conduite, à rejeter la distinction sacrée du bien et du mal ; Nietzsche écrira Par-delà le bien et le mal.

La morale se trouverait être pour cet auteur contraire à la liberté, à la nature, à la vie.

La morale traditionnelle d'inspiration chrétienne est la morale ennemie de la vie aux yeux de Nietzsche, car elle prêche des vertus et des valeurs qui affaiblissent l'homme : le sacrifice, la résignation, la pitié, le renoncement, le mépris de soi, le repentir, la mortification. Cette morale condamne la joie de vivre et le bonheur, puisqu'elle est d'abord fondée sur la notion de péché.

De plus, du fait de devoir être en perpétuelle (et paradoxale) considération d'autrui (l'amour du prochain), l'individu voit décroître sa volonté de puissance, et se range au rang des faibles.

L'homme doit se fortifier en bannissant la morale altruiste et apprendre à dominer (et accepter) par lui-même la multitude instinctive qui guident son existence.

Seuls les forts « sont assez honnêtes pour ne croire à rien de plus qu'à leur moi ». Nietzsche tente ainsi de démasquer la morale dans toutes les apparences qu'elle se donne, et la pitié, soi-disant sympathique en tant que des êtres reconnaissent et éprouvent avec compassion les souffrances d'autrui, n'est pour Nietzsche que le fait de prendre plaisir à soi-même en faisant mal, en inspirant la pitié.

L'homme se ment à lui-même dans la pitié, en ceci qu'il y trouve un moyen de rester égal à ce que la société attend de lui, un secours contre les instincts contradictoires qui animent son esprit. b.

La « charité paroxystique » est une expression qui désigne l'état pathologique de celui qui, à vouloir impérativement se tourner vers le bonheur d'autrui, le liquide de toute initiative propre, et nuit à son autonomie.

André berge montre en quoi, dans Les maladies de la vertu, la charité paroxystique est le chemin que peut prendre celui « qui ne sent pas les autres » (expression de Daniel Lagache) : celui-ci en effet vit « dans un désert dont il ne peut supporter l'aridité ».

Cette charité pathologique, qu'on retrouve même chez d'excellentes personnes, « toujours prêtes à se dévouer corps et âmes, mais qui précisément parce qu'elles ne sentent pas les autres ne savent pas arrêter leur élan sur la ligne au-delà de laquelle les autres ont l'irritante impression qu'on viole leur intimité ».

Au XXe siècle la charité a perdu de sa lettre de noblesse, quand on s'aperçoit en quoi elle peut être un moyen de dominer l'autre, ou de se rassurer soi-même à travers un engagement trop irréfléchi face aux souffrances d'autrui. Conclusion Le sentiment de pitié, on le voit, a inspiré nombreuses interprétation : du pur égoïsme au pur altruisme, en passant par quelque suspicion quant à sa signification réelle, il ne cesse encore d'être problématique.

Sans pour autant sombrer dans un altruisme démesuré et pathologique, peut-être vaudrait-il de suivre l'ordonnance de Montaigne : se donner à autrui sans s'ôter à soi.

Par ailleurs, et contre Nietzsche, on pourrait penser que les vertus chrétiennes sont des vertus de force et non de faiblesse, quand on considère son œuvre active, sa pitié active.

Car entre ressentir de la pitié devant les douleurs de l'autre, et y mettre concrètement un terme sans pour autant le rendre incapable d'agir par soi, il y a bien un fossé.

La pitié semble ainsi pleinement morale, non simplement en ce qu'elle éveille la conscience morale de l'individu, mais surtout dans la mesure où elle agit concrètement en diminuant les souffrances qui s'imposent à nous.. »

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