La passion est-elle toujours un esclavage ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet:
Toujours : à tout moment, à toute époque ; éternellement, perpétuellement.
PASSION:
* Ce que l'âme subit, ce qu'elle reçoit passivement.
Chez Descartes, le mot désigne tout état affectif, tout ce que
le corps fait subir à l'âme.
Son origine n'est pas rationnelle ni volontaire.
* Inclination irrésistible et exclusive qui finit par dominer la volonté et la raison du sujet (la passion amoureuse).
Introduction
Dans son Anthropologie du point de vue pragmatique, Kant, analysant la passion,, observe que « l'émotion porte un
préjudice momentané à la liberté et à la maîtrise de soi-même » tandis que « la passion en fait fi et trouve plaisir et
satisfaction dans l'esclavage » ; et comme « pendant ce temps, la raison ne se relâche pas dans son appel à la
liberté intérieure, le malheureux soupire dans ses chaînes dont il ne peut pourtant pas se délivrer; désormais elles
sont en quelque sorte greffées sur ses membres» (III,
§ 81).
Mais doit-on admettre ce jugement de Kant ? Et qu'entendre par « esclavage » ?
La passion comme esclavage.
Mécanisme de la passion.
Le jugement que porte Kant sur la passion s'inscrit dans une longue tradition philosophique, remontant à Platon.
Cette tradition, illustrée par Descartes et, plus près de nous, par Alain, pose l'homme comme dualité : l'homme est
un corps et une âme, qui sont réellement distincts.
L'âme ou l'esprit est raison
et volonté et le corps est son instrument.
Ce dualisme place la source de la passion dans le corps : c'est un mécanisme
corporel qui déborde l'esprit et le domine : « les vraies causes de nos
passions, note Alain, ne sont jamais dans nos opinions, mais bien dans les
mouvements involontaires qui agitent et secouent le corps humain d'après sa
structure et les fluides qui y circulent ».
Ce qui reprend la définition
cartésienne des passions (cf..
Traité des passions, art.
27) comme « des
perceptions, ou des sentiments, ou des émotions de l'âme qu'on rapporte
particulièrement à elle et qui sont causées, entretenues et fortifiées par
quelques mouvements des esprits », c'est-à-dire des « esprits animaux », qui
correspondent à ces fluides dont parlait Alain.
Ainsi dans les passions, l'âme subit l'agitation du corps, elle en pâtit.
Il n'y a
pas, de ce point de vue, de différence de nature entre les passions au sens
classique, cartésien, et la passion au sens moderne, celui de Kant.
Celle-ci
n'est que l'état paroxystique de celles-là, au point que l'âme y devient
totalement esclave du corps : le rapport hiérarchique normal est ainsi inversé,
l'âme se mettant au service du corps, alors que c'est lui qui devrait la servir.
Dans ces conditions, l'âme, se révélant incapable d'exercer le légitime
contrôle de la raison sur le corps, peut être considérée comme malade : «
Être soumis aux émotions et aux passions, observe Kant, est toujours une
maladie de l'âme puisque toutes deux excluent la maîtrise de la raison »
(Anthropologie, § 73).
Mais dans la passion, l'âme n'est pas complètement passive : elle va « penser » la passion, la
rationaliser, la justifier.
« La passion, présuppose toujours chez le sujet la maxime d'agir selon un but prédéterminé
par l'inclination.
Elle est donc toujours associée à la raison: et on ne peut pas plus prêter des passions aux simples
animaux qu'aux purs êtres de raison » (ibid., § 80).
Seulement l'âme pense mal la passion, la rationalise de manière
aberrante: la passion sera une pensée erronée, un jugement faux.
C'est pourquoi, comme le dit Kant, « la passion
est à considérer comme un délire couvant une représentation qui s'implante toujours plus profondément » (ibid., §
74), et par là affermit son esclavage.
En cela la passion se distingue de l'émotion, plus soudaine et momentanée.
« Dans l'émotion, l'esprit surpris par
l'impression perd l'empire de soi-même.
Elle se déroule dans la précipitation [...].
La passion au contraire se donne le
temps et.
aussi puissante qu'elle soit, elle réfléchit pour atteindre son but.
L'émotion agit comme une eau qui rompt
la digue : la passion comme un courant qui creuse toujours plus profondément son lit.
L'émotion agit sur la santé
comme une attaque d'apoplexie, la passion comme une phtisie ou une consomption.
L'émotion est comme une
ivresse qu'on dissipe en dormant, au prix d'une migraine le lendemain, la passion comme un poison avalé ou une
infirmité contractée » (ibid.).
La passion comme conflit
Un drame intérieur
La passion est donc une disharmonie à l'intérieur de l'homme.
Le renversement des rapports hiérarchiques
qu'entretiennent l'âme et le corps introduit «le tumulte, la lutte, les sueurs» dont parlait Platon dans sa description
de l'âme, à travers le mythe de l'attelage ailé, quand par son impéritie le cocher ne peut plus maîtriser ses chevaux.
»
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