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La parole suffit-elle à faire échec à la violence ?

Extrait du document

« Définition des termes du sujet: Violence: Mal physique ou moral infligé délibérément à autrui.

Violent: Qui s'impose à un être contrairement à sa nature.

Qui s'exerce avec une grande force (une passion violente). Parole La parole est nécessairement individuelle, et suppose un sujet actif.

Par elle on s'approprie une langue.

La parole est ce par quoi le sujet exerce sa fonction linguistique. [Introduction] Pour lutter contre la violence à l'école, il devient habituel de recourir à quelques moyens mettant en jeu diverses formes de parole : on peut demander aux combattants d'exprimer, chacun de son côté, ses griefs et sa version de la situation par écrit, ou les inviter, après les avoir séparés, à discuter en présence d'un tiers qui essaie de faire en sorte que chacun ait la parole à son tour, sans trop impétueusement couper celle de l'autre.

On remarque toutefois que la parole n'intervient alors qu'après une explosion de violence (y compris, parfois, de violence verbale) ; elle fera peut-être échec au retour de la violence, et on doit souhaiter que sa leçon soit retenue par tous : que désormais, on pense à parler avant de se taper dessus...

À ce rythme, on pourrait penser que la violence ne devrait jamais apparaître plus d'une fois entre deux communautés – ce dont l'histoire humaine, même vue de loin, est loin de témoigner.

Si la parole suffit à faire échec à la violence, il semble qu'elle connaisse aussi de nombreux échecs dans cette tâche. [I.

Opposition théorique entre violence et discours] Dans Gorgias, Calliclès fait sans doute l'éloge de la force et de la violence ; il n'en reste pas moins qu'il continue à dialoguer de manière pacifique.

Il est de tradition, dans la philosophie, d'affirmer que le recours au discours, sous quelque forme que ce soit, interdit à la violence de se déchaîner.

Cet espoir peut trouver à s'illustrer très quotidiennement.

Tout d'abord parce que le comportement violent paraît en effet incompatible avec, non seulement la parole ou le discours, mais bien le langage en général : je peux avertir mon voisin que je vais le frapper, mais, au moment où je lui porte un coup, je ne dis plus rien.

Tout au plus suis-je capable de pousser un cri pour accompagner mon geste.

La violence saisit le corps entier, elle supprime toute distance parce qu'elle établit un contact physique, alors que le langage implique au contraire un écart entre celui qui parle et les choses mêmes qu'il désigne. L'homme violent n'a droit qu'au cri, au hurlement, qui est moins manifestation de ce qu'il pense que transposition sonore de son effort physique : on hurle pour s'encourager au combat, le boxeur double son crochet d'un rugissement ; il ne s'agit dans tous les cas que d'une expression strictement corporelle.

À l'inverse, parler instaure une communication entre deux esprits ou deux consciences, en même temps qu'un contrôle sur ce que l'on formule : il y faut, sinon une véritable lenteur, du moins un rythme qui ne soit plus celui des muscles et des influx nerveux.

Et pour que l'autre réponde, il doit à son tour obéir aux exigences de la parole : que les mots soient prononcés l'un après l'autre, dans l'ordre requis, qu'une linéarité s'installe.

Celle-ci contredit le caractère immédiat de la violence. Toute parole est médiation, et de multiples manières : entre les personnes, entre les choses évoquées et les consciences, entre le monde et sa représentation possible.

Il n'y a pas de médiation dans la violence, elle en est par principe la suppression.

C'est pourquoi, lorsque le langage lui-même cherche à faire violence à l'autre, cette violence n'est que symbolique : l'injure, l'éclat de voix, la crise de colère peuvent «blesser» l'interlocuteur dans son orgueil, sa conscience ou ses valeurs, mais il n'est pas atteint dans sa chair.

Les paroles ne sont que métaphoriquement « blessantes » ; on peut en tenir rigueur à celui qui les a prononcées, mais il est rare qu'on en meure. [II.

La parole peut différer la violence] Cette opposition est sans doute réelle.

Il n'en reste pas moins qu'elle ne suffit pas pour faire durablement échec à la violence.

En fait, la parole peut différer le déclenchement de la violence, mais cela ne signifie pas qu'elle la supprime. Rien ne le montre mieux, même si on doit le déplorer, que l'histoire.

S'il suffisait que des États puissent se parler pour qu'il n'y ait plus de conflits, on peut espérer que l'humanité y aurait eu recours depuis quelques millénaires.

Lorsque von Clausewitz définit la guerre comme «la continuation de la politique par d'autres moyens », sa formule indique aussi l'échec du discours politique, et que le débat, la discussion entre diplomates ne parviennent pas à régler pacifiquement tous les problèmes.

Bien sûr, tant que les discussions ont lieu, la guerre n'est pas en cours – mais cela n'interdit nullement de la préparer activement.

Il est même facile de citer ici Hitler, très habile pour recourir à la parole ou au traité (par exemple au pacte de non-agression germano-soviétique) pour se donner le temps de mieux préparer ses opérations militaires. Rousseau affirme dans son Contrat social qu'il n'y a de guerre véritable qu'entre États.

Cela lui permet, à son époque, de faire valoir que les personnes privées ne sont pas ennemies et qu'il n'y a pas à écraser la population civile (ce que les conflits « modernes » contredisent violemment, au moins depuis la Première Guerre mondiale).

Mais cela peut par ailleurs nous rappeler que, par définition, l'État se réserve toujours l'usage exclusif d'une violence légitime, aussi bien sur son territoire qu'en dehors de ce territoire, c'est-à-dire par la police et par l'armée.

Instauré légalement, par des textes inscrits dans une constitution et dans des lois, l'État bénéficie de la seule violence autorisée.

Il apparaît alors que la parole, si elle peut différer le recours à la violence ouverte, prépare aussi ce recours, en définit les conditions et les possibilités. Les relations entre parole et violence sont donc plus complexes que le laisse entrevoir leur opposition première ; il reste vrai qu'elles ne peuvent intervenir simultanément, mais on constate que leur alternance même est légalement organisée.

Nous ne sommes plus dans une de ces cultures où combattre un ennemi signifiait proférer à son égard les injures les plus monstrueuses, jusqu'à ce qu'il batte en repli, ne trouvant plus à répliquer.

Les États modernes ne se livrent plus bataille en effet pour conquérir un insigne totémique, ou le droit de se proclamer « meilleurs » ou « plus courageux » que le voisin ; les guerres ont des enjeux économiques et territoriaux tels que la puissance du pouvoir doit désormais se manifester concrètement.. »

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