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La formation de l'idée d'objet.

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INTRODUCTION. - Le propre du penseur et du philosophe est de s'étonner de choses que le vulgaire juge des plus naturelles et des plus simples, de se poser des questions qui ne viennent à l'esprit de personne. Ainsi, dites à l'homme de la rue qu'il y a bien des raisons de se demander si le monde extérieur existe et si tout ne se réduit pas à notre propre pensée; qu'on éprouve beaucoup de difficulté à expliquer comment nous parvenons à concevoir l'existence d'une réalité indépendante de l'idée que nous nous faisons des choses, ou, pour parler comme les philosophes, comment se forme en nous l'idée d'objet : cet homme vous gardera avec étonnement et inquiétude, se demandant quel accès de ivre maligne trouble votre cerveau. Et cependant la formation de l'idée d'objet pose un vrai problème qui a occupé tous les grands philosophes depuis DESCARTES. C'est ce problème que nous allons tâcher de résoudre.

« La formation de l'idée d'objet. INTRODUCTION.

- Le propre du penseur et du philosophe est de s'étonner de choses que le vulgaire juge des plus naturelles et des plus simples, de se poser des questions qui ne viennent à l'esprit de personne. A insi, dites à l'homme de la rue qu'il y a bien des raisons de se demander si le monde extérieur existe et si tout ne se réduit pas à notre propre pensée; qu'on éprouve beaucoup de difficulté à expliquer comment nous parvenons à concevoir l'existence d'une réalité indépendante de l'idée que nous nous faisons des choses, ou, pour parler comme les philosophes, comment se forme en nous l'idée d'objet : cet homme vous gardera avec étonnement et inquiétude, se demandant quel accès de ivre maligne trouble votre cerveau. Et cependant la formation de l'idée d'objet pose un vrai problème qui a occupé tous les grands philosophes depuis DESCA RT ES.

C'est ce problème que nous allons tâcher de résoudre. I.

— SOUS LE SIGNE DE DESCARTES. Le problème de la formation de l'idée d'objet, tel qu'il s'est posé dans es temps modernes, remonte à DESC A RTES, et, pour le bien comprendre, il faut le placer dans son cadre. A.

L'origine du problème.

— C onscient de l'incertitude de la philosophie classique de son temps, DESC ARTES décide de se faire un système cohérent dans lequel il n'entrerait que des propositions certaines.

P our cela, il commence par décider de rejeter comme faux tous les jugements qu'il avait jusqu'alors tenus pour vrais, s'il trouve quelque prétexte de les mettre en doute : il rejette ainsi les données qu'il tient de ses sens, les conclusions obtenues par raisonnement, il imagine même qu'il est fou, qu'il rêve ou qu'un esprit malin le trompe.

Il reste cependant une proposition sur laquelle aucun effort pour douter ne peut mordre, et qui sera le fondement inébranlable du nouveau système : je pense, donc je suis.

M ais qu'est-ce que je suis ? Étant donné que je puis douter de tout, sauf de ma pensée, je suis « une substance dont toute l'essence n'est que de penser ».

V oilà l'affirmation qui va poser le problème de la formation de l'idée d'objet. Le problème peut se formuler en ces termes : si je suis essentiellement pensée et si « l'âme, par laquelle je suis ce que je suis (c'est-à-dire par laquelle je pense), est entièrement distincte du corps » (ibid.), comment puis-je connaître autre chose que moi-même, c'est-à-dire autre chose que ma pensée ? B.

Les solutions.

— Dans l'hypothèse cartésienne, l'esprit reste enfermé en lui-même; il ne saurait atteindre directement l'objet.

Mais l'objet agit sur l'âme et produit en elle des impressions.

C 'est grâce à ces impressions que l'esprit pourra échapper à la subjectivité et former l'idée d'un objet distinct de lui. Pour DESC ARTES et la majorité des philosophes modernes, le passage de l'impression subjective à l'objet se fait par un raisonnement devenu inconscient, et qu'on peut formuler ainsi: Tout ce qui est en moi a sa raison suffisante en moi ou hors de moi; Or, il est en moi des impressions dont la raison suffisante n'est pas en moi; Donc, ces impressions ont leur raison suffisante hors de moi. Thomas R E I D et son école, l'École écossaise, se fonde sur l'introspection, et, n'observant dans le phénomène de l'objectivation aucune trace de raisonnement, l'explique par une faculté spéciale, par une propriété de notre constitution première. C.

Discussion.

— La théorie des Écossais est une de ces explications paresseuses ou plutôt un de ces refus d'explication dont ils sont coutumiers : nous ne la discuterons pas.

DESC ARTES, au contraire, propose une véritable explication, mais sa conception se heurte à de graves difficultés Du point de vue philosophique, si le corps et l'âme sont deux réalités complètement hétérogènes, comment expliquer que le premier produise sur la seconde c e s impressions grâce auxquelles nous formerions l'idée d'objet ? Les esprits animaux, que DESC A RTES imagine comme intermédiaires, ne sauraient combler l'abîme qui sépare le corps de l'esprit, car ce sont des réalités matérielles.

A ussi l'hypothèse cartésienne fut-elle abandonnée.

Mais celles qu'on lui substitua — l'occasionalisme de M A LEBRA N C H E , l'harmonie préétablie de L E I B N I Z - ne font que remplacer une explication contradictoire par une explication pleine de mystères et incontrôlable.

La philosophie moderne n'a pas trouvé de solution au problème posé par la conception cartésienne de l'homme, signe peut-être de la fausseté de cette conception. A u point de vue psychologique, l'hypothèse cartésienne d'une vie mentale purement subjective qui précéderait la notion d'objet n'est qu'une conception a priori de la vie de l'esprit.

Loin de la confirmer, l'observation : l'étude des petits enfants, faite en particulier par P I A GET, montre qu'à l'origine la représentation du réel est tout à fait confuse, que le moi et non-moi y sont indistincts et que, en tout cas, la connaissance du moi ou sujet ne précède point celle du non-moi ou objet. Nous ne pouvons donc pas admettre que l'idée d'objet se forme à partir d'impressions purement subjectives. II.

- SOUS LE SIGNE D 'ARISTOTE Renonçant à suivre D E S C A RTES, nous devons remonter au-delà de la révolution cartésienne, pratiquement à A RISTOTE, le principal inspirateur de la philosophie scolastique, à laquelle DESC A RTES prétend substituer son système. A.

La conception aristotélicienne de l'homme.

— Le problème de l'un et du multiple qui avait préoccupé les premiers philosophes grecs se pose d'une façon aiguë à propos de l'homme, et voici la solution d'ARISTO TE : L'homme est multiple.

Il n'est pas seulement pensée, comme le dira DESCA RT ES, il est aussi matière, il est composé d'un corps et d'une âme.

C ependant l'homme est un, car corps et âme sont, non pas deux êtres, mais deux principes d'un seul et même être : l'âme est la forme du corps; âme et corps ne constituent qu'une substance unique.

C 'est la théorie hylémorphique. B.

La formation de l'idée d'objet.

— Dans cette hypothèse, l'origine de l'idée d'objet n'est pas un problème plus difficile que celle de l'idée de sujet. La connaissance de l'objet est aussi immédiate que celle du sujet.

Étant corps en même temps qu'âme et l'âme informant le corps, l'homme n'est pas plus enfermé dans sa pensée que répandu dans l'espace occupé par son corps.

Il atteint les états de son corps aussi directement que ceux de son âme, par intuition.

Sans doute, les premières intuitions sont confuses; il est besoin d'un certain exercice pour déterminer ce qui appartient à l'objet et ce qui est propre au sujet.

M ais la connaissance des éléments subjectifs de notre être ne précède pas celle des éléments objectifs : les cieux connaissances sont contemporaines: par suite, il est inutile et même impossible de partir des impressions subjectives pour savoir qu'il existe des objets. L'idée générale d'objet se forme, comme toutes les idées, par abstraction, et cette formation est beaucoup plus facile que celle de sujet.

L'idée de sujet suppose, en effet, un développement mental élevé et elle reste obscure dans la plupart des esprits Nous conclurons donc que l'idée d'objet se forme suivant le même processus que les autres idées : le point de départ est l'intuition des objets concrets; ensuite la raison obtient par abstraction l'idée générale d'objet. CONCLUSION.

— Avec la théorie hylémorphique de la nature humaine, la formation de l'idée d'objet est relativement facile à expliquer et provoque moins d'étonnement.

Mais c'est l'idée de l'unité substantielle de l'âme et du corps qui heurte le penseur.

Elle est imposée par les faits, mais elle constitue un de ces irrationnels que l'esprit cherche vainement à réduire. Quoi que nous fassions, le mystère restera toujours au fond des choses Les spéculations des philosophes peuvent bien le déplacer ou le circonscrire : elles ne l'éliminent pas. On a dit : la science commence par l'étonnement et finit par son contraire.

De la philosophie on pourrait dire qu'elle commence par l'étonne ment et qu'elle finit par un étonnement encore plus justifié.. »

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