La beauté de l'art enrichit-elle la perception du réel ?
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La beauté désigne ce qui provoque le sentiment esthétique, et l'on peut considérer que l'objet sera jugé beau lorsqu'il correspond à un
type idéal qu'il exprime pleinement.
En ce sens un beau cheval est un cheval qui exprime pleinement l'essence du cheval, c'est-à-dire qui
possède au plus haut degré ses qualités intrinsèque (la rapidité, l'endurance, la noblesse de la course, etc.).
Mais la beauté de l'art ne se
distingue-t-elle pas de la beauté naturelle ? Il semble en effet que si le beau cheval exprime le type idéal du cheval, la beauté du cheval
peint donne ce type à voir en tant que tel, en réalisant un travail d'épuration, qui gomme tous les détails inessentiels.
En ce sens on devrait
plutôt considérer que la beauté de l'art appauvrit la perception du réel, mais que cet appauvrissement est justement la condition pour que
ce révèle les types idéaux qui structurent le réel.
Pourtant une telle conception revient à écraser le jugement esthétique sur un jugement
d'entendement, puisqu'il s'agit toujours d'évaluer la qualité d'une œuvre en la comparant au type idéal compris comme concept.
Or le
propre de l'art est sans doute de nous donner à percevoir du réel plus que le concept ne peut en extraire.
La beauté de l'art enrichirait
donc le réel en le restituant dans son foisonnement par-delà l'aridité du concept.
De plus l'œuvre d'art nous donne également à voir non
pas seulement un objet isolé, mais comment un monde vient à l'existence pour nous.
En ce sens elle enrichit le réel, car elle nous donne
à voir comment ce réel se fait monde pour nous.
I.
La beauté de l'art appauvrit le réel pour le dévoiler dans sa pureté
Dans la perception quotidienne que nous avons des choses qui nous entourent, on ne distingue généralement pas des traits plus
importants que d'autres, mais on perçoit les choses dans leur unité, en mettant toutes leurs caractéristiques sur le même plan.
Mais l'on
peut se demander si pour voir véritablement les choses qui l'entourent, l'homme n'a pas besoin d'opérer une certaine abstraction, qui
dégage les formes essentielles des choses, et les rend par là même visibles.
L'art saisirait donc l'objet dans son universalité, et pour cela
ne retiendrait pas tous les traits de l'objet, mais seulement les traits les plus importants.
Par exemple, comme le dit Hegel dans son Cours
d'esthétique, pour avoir une belle statue, peut-être ne faut-il pas trop faire ressortir les veines et les
muscles, mais seulement les suggérer.
Ainsi, la beauté d e l'art se fonderait sur une production
spirituelle, par laquelle l'esprit transforme ce qu'il y a d'extérieur et d e sensible dans toute chose
matérielle en une forme qu'il peut contempler pour elle-même, dégagée de la matérialité (à la place de
la laine, on voit une simple couleur).
La beauté de l'art consisterait donc en une expérience d e
recréation des choses extérieures, qui nous permettrait d e voir leur forme épurée.
Dans ce sens la
beauté de l'art ne consisterait pas tant à enrichir le réel qu'à l'appauvrir, pour nous le rende visible dans
ce qu'il a de plus remarquable.
Par la beauté de l'art on verrait peu des choses, mais ce qu'il y a de plus
remarquable en elles.
II.
La beauté de l'art enrichit le réel de la puissance créatrice de l'imagination
On peut se demander dans quelle mesure la conception hégélienne de la beauté de l'art, ne
manque pas la dimension sensible de la beauté de l'art, en l'écrasant sous le concept (car la forme
essentielle dont parle Hegel n'est pensable que par le concept).
Pour comprendre en quoi la beauté de
l'art ne peut être pensée seulement par un processus d'abstraction, on peut se référer à ce que Kant
appelle les idées esthétiques dans la Critique de la faculté de juger, livre II § 49 .
Les idées esthétiques
sont des attributs esthétiques d'un objet (pour Jupiter, l'aigle avec la foudre dans s e s serres) qui
contrairement aux attributs logiques ne représentent pas ce qui est contenu dans les concepts d e
sublimité et d e majesté (mais permettent à l'esprit de tourner son regard sur un champ infinis d e
représentations apparentées).
Cela signifie que voir une statue d e Jupiter, ce n'est pas penser au
concept de roi des Dieux, mais c'est imaginer tout un ensemble d'images qui sont liées à Jupiter (la rapidité de l'aigle, la vitesse et la
puissance de la foudre, etc.).
Les idées esthétiques sont donc des images qui débordent le concept par excès, et par là donnent beaucoup
à penser sans qu'aucune pensée déterminée (un concept), ne puisse leur être adéquate.
Or puisque l'idée esthétique de l'imagination
élargit le concept de manière illimitée, on voit que la beauté de l'art enrichit le réel de toute la richesse de l'imagination.
III.
La beauté de l'art enrichit la perception du réel en nous donnant à voir l'apparaître du monde en
tant que monde
Kant montre que la beauté de l'œuvre d'art enrichit la perception du réel, parce qu'elle permet à
l'imagination d e penser ce réel en y associant toutes sortes d'images qui le font voir sous un jour
nouveau.
Mais on peut se demander dans quelle mesure la beauté d'une œuvre ne va pas jusqu'à nous
faire percevoir le monde entier sous un jour nouveau.
Dans, L'origine de l'œuvre d'art, Heidegger explique
que dans l'expérience quotidienne que nous avons des choses, un objet vaut essentiellement par son
utilité (par exemple un couteau sert à couper, ou une paire d e souliers à marcher).
Or lorsque l'on
contemple une œuvre d'art cette dimension d'utilité d e l'objet est suspendue.
Heidegger prend
l'exemple d'un tableau de Van Gogh qui montre une paire de souliers.
Ce que ce tableau nous montre
dit Heidegger, ce n'est pas l'utilité du soulier, mais la place qu'il tenait dans le monde de celui qui les
portait (comment cet homme a travaillé avec, etc.).
Et de même, toute œuvre nous montre comment un
monde s'organise pour nous humain.
Ainsi un temple Grec est beau parce qu'il prend place dans un site
où il donne du sens à la montagne ou à la vallée où il se trouve, et révèle donc ce site comme un
monde qui a du sens pour l'homme.
Si la beauté de l'art enrichit notre perception du réel, c'est donc
aussi parce qu'elle nous montre que ce réel n'est pas une addition d'objets inertes, mais que ces objets
s'insèrent dans un tout qui fait sens pour nous.
Conclusion
Si la beauté de l'art peut sembler ne pas enrichir le réel, c'est parce que pour rendre visibles les
traits les plus remarquables des choses, l'art opère par abstraction, en éliminant tous les détails secondaires, pour mieux faire voir
l'essentiel.
Mais on ne peut s'en tenir à cette conception.
En effet la beauté de l'art permet une appréhension du réel qui fasse une large
part à l'imagination.
Dans ce sens la beauté de l'art enrichit la perception du réel de toute la richesse de l'imagination.
Mais les œuvres
d'art mettent également entre parenthèses la dimension utile des choses.
Ce que l'on voit alors ce ne sont plus des objets réduits à la
dimension d'outils, mais des objets qui existent en tant qu'ils prennent place dans un monde.
Si la beauté de l'art enrichit la perception
du réel, c'est qu'elle rend visible ce que la perception quotidienne du monde ne peut donner à voir : l'apparaître du monde en tant que
monde..
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