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KANT: L'homme est le seul animal qui doit travailler pour vivre

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L'homme est le seul animal qui doit travailler. Il lui faut d'abord beaucoup de préparation pour en venir à jouir de ce qui est supposé par sa conservation. La question de savoir si le Ciel n'aurait pas pris soin de nous avec plus de bienveillance, en nous offrant toutes les choses déjà préparées, de telle sorte que nous ne serions pas obligés de travailler, doit assurément recevoir une réponse négative : l'homme en effet a besoin d'occupations et même de celles qui impliquent une certaine contrainte. Il est tout aussi faux de s'imaginer que si Adam et Ève étaient demeurés au paradis, ils n'auraient rien fait d'autre que d'être assis ensemble, chanter des chants pastoraux, et contempler la beauté de la nature. L'ennui les eût torturés tout aussi bien que d'autres hommes dans une situation semblable. L'homme doit être occupé de telle manière qu'il soit rempli par le but qu'il a devant les yeux, si bien qu'il ne se sente plus lui-même et que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail. KANT


« Commentaire Kant Dans ses Réflexions sur l’éducation (traduction Philonenko et édité chez Vrin p 110), Kant cherche à montrer la nécessité du travail dans l’apprentissage pédagogique : « il est de la plus grande importance d’apprendre aux enfants à travailler ».

Pourquoi le travail fait-il partie des éléments fondamentaux de l’apprentissage ? C’est que le travail est spécifique à l’homme : « l’homme est le seul animal voué au travail ».

Ainsi l’enfant en apprenant à travailler accède à l’humanité.

Pourtant cette accession à l’humanité par le travail est paradoxale : en travaillant, l’homme s’inscrit dans le cycle de la nécessité naturelle.

Aussi le fait que l’homme soit voué au travail est plutôt une nécessité vitale qui semble le ramener à son animalité que de le faire accéder à son humanité.

Dans la Grèce antique, par exemple, le travail était réservé aux esclaves, et celui qui devait travailler perdait son humanité par cette activité.

Par conséquent, le travail est le plus souvent considéré comme une malédiction qu’une bénédiction. La thèse paradoxale de Kant est que le travail, loin d’être une malédiction divine nous ramenant à la nécessité naturelle, constitue bien plutôt le moyen de note bonheur.

Cette thèse se développe en deux moments qui correspondent aux deux parties de notre texte : tout d’abord un principe d’anthropologie morale « le travail est une contrainte dont a besoin l’homme », et la mise en situation paradigmatique de ce principe dans la fiction d’Adam et Eve demeurant au paradis. I Principe d’anthropologie morale : l’homme a besoin du travail _ « L’homme est le seul animal qui doit travailler ».

Les animaux ne travaillent-ils pas ? Non le travail implique l’usage de la raison, la détermination d’une finalité et l’effort pour la rejoindre alors que les animaux ne font que satisfaire leurs besoins en répondant immédiatement à leur instinct.

N’ayant pas l’usage de la raison nécessaire au travail, les animaux jouissent immédiatement des moyens de leur conservation, c’est-à-dire de leur survie.

A l’opposé , les hommes ne peuvent jouir que par la médiation du travail : le travail est « une préparation » à la jouissance de l’homme dans la mesure où il lui faut produire les moyens de sa conservation. _ Si les animaux jouissent immédiatement, lorsque les hommes doivent en passer par le travail, ne faut-il pas alors penser que les animaux sont plus heureux que les hommes ? C’est un sentiment commun aux hommes que d’envier la paresse et l’indolence de l’animal dont l’absence de conscience semble lui assurer le bonheur.

Ainsi se pose nous le problème selon lequel « le Ciel n’aurait-il pas pris soin de nous avec plus de bienveillance en nous offrant toutes les choses déjà préparées « ? Le Ciel se réfère à la religion chrétienne dans laquelle le travail est en effet considérée comme une malédiction. _ Dans la Genèse, c’est parce que Adam et Eve ont commis le péché originel que Dieu les chasse de l’Eden avec pour châtiment respectif le travail et l’enfantement.

Si Eve enfantera désormais dans la douleur, Adam devra quand à lui « gagner son pain à la sueur de son front ».Au paradis, Adam et Eve ne devaient pas travailler car ils pouvaient immédiatement jouir de tout ce dont-ils avaient envie, mais après la chute, Adam doit expier le châtiment divin en produisant les moyens de sa propre survie.

Le rêve de tout homme, si l’on se réfère au christianisme, est le désir nostalgique de cet état édénique où nous n’étions pas obligés de travailler. Contre l’interprétation chrétienne du travail comme malédiction, Kant pense que la travail est un besoin propre à l’homme.

En quoi serait-il un besoin humain, et non une contrainte déshumanisante ? II la sanction de l’absence de travail est l’ennui _ Le travail est un besoin propre à l’homme qui en passe par la contrainte.

Pourtant il semble que les besoins spécifiquement humains ne s’imposent pas à l’homme par une contrainte extérieure, mais librement.

Ainsi si l’homme a besoin d’occupations, ces occupations sont plutôt du domaine du loisir qu’il peut choisir de faire cesser selon son bon caprice.

Or le travail est une occupation qui implique une contrainte, c’est dire une soumission à une force extérieure. En quoi le travail est-il un besoin propre à l’homme ? _ Pour répondre, Kant réinvente le mythe de la Genèse.

Dans la Genèse, Adam et Eve étaient heureux en ne travaillant pas, et ils sombraient dans le malheur après la Chute lorsque Dieu les chassait du paradis qu’il faisait garder par des séraphins pour les empêcher de revenir.

Il s’agit donc, pour établir sa thèse selon laquelle le travail n’est pas une malédiction, d’imaginer Adam et Eve demeurant au paradis.

Contre la représentation idyllique que le christianisme en présente « ils n’auraient rien fait d’autre que d’être assis ensemble, chanter des chants pastoraux, et contempler la beauté de la nature », Kant affirme que cet état édénique ne leur aurait pas procuré le bonheur mais l’ennui. _ L’ennui est le malheur de ceux qui n’on rien à faire.

Sans travail, les hommes seraient donc torturés d’ennui.

L’usage du mot torture est intéressant ici puisque l’origine étymologique du mot « travail » est « trepalium », un mot qui désignait au XIII ème siècle un appareil de torture.

Par conséquent, ce n’est plus le travail qui est une torture, mais l’ennui et le travail est à son tour le remède qui nous guérit de la torture de l’ennui.

Ainsi le travail remplit bien le besoin de l’homme d’être occupé puisque sans occupation sous la contrainte, il s’ennuie.

Dans l’ennui, l’homme contemple son vide intérieur : « il se sent lui-même », il éprouve sa propre vacuité.

Or le travail remplit cette vacuité du « but qu’il a devant les yeux ».

Le fait que le travail est une bénédiction est prouvé par la qualité du repos qui suit le travail : alors que celui qui ne fait rien se repose en s’ennuyant, la fatigue qui vient après le travail permet un véritable délaissement.. »

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