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KANT: les beaux-arts et la connaissance scientifique

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Dans le domaine scientifique ainsi, le plus remarquable auteur de découvertes ne se distingue que par le degré de l'imitateur et de l'écolier le plus laborieux, tandis qu'il est spécifiquement différent de celui que la nature a doué pour les beaux-arts. Il ne faut cependant pas voir en ceci une quelconque dépréciation de ces grands hommes auxquels l'espèce humaine doit tant, par rapport à ceux qui par leur talent pour les beaux-arts sont les favoris de la nature. Le grand privilège des premiers par rapport à ceux qui méritent l'honneur d'être appelé des génies, c'est que leur talent consiste à contribuer à la perfection toujours croissante des connaissances et de l'utilité qui en dépend, comme à instruire les autres dans ces mêmes connaissances. Mais pour le génie l'art s'arrête quelque part, puisqu'une limite lui est imposée au-delà de laquelle il ne peut aller, limite qu'il a d'ailleurs vraisemblablement déjà atteinte depuis longtemps et qui ne peut être reculée ; en outre, l'aptitude propre au génie ne peut être communiquée et elle est donnée immédiatement à chacun en partage de la main de la nature ; elle disparaît donc avec lui, jusqu'à ce que la nature confère à un autre les mêmes dons. KANT

« Articulation des idées 1.

Kant établit une distinction entre science et art : Il n'existe entre le plus grand savant qui fait une importante découverte et le plus « laborieux écolier » qu'une différence de degré. En revanche, il existe entre le grand artiste et le simple imitateur une différence de nature. 2.

Il en donne l'explication : L'invention scientifique s'inscrit dans un progrès graduel, continu, méthodique et sans limite.

C'est pourquoi une découverte scientifique peut toujours être découverte ou redécouverte par un autre esprit : chacun, pourvu qu'il apprenne, qu'il accroisse ses connaissances et se plie à la méthode scientifique est susceptible, du moins théoriquement, de refaire, de redécouvrir ce que les grands savants ont fait. L'invention géniale de l'artiste est, au contraire, une capacité de produire telle ou telle œuvre d'art absolument originale et exemplaire, capacité qui ne peut être acquise par aucun autre créateur : elle a pour cause un don naturel de créer, don spécifique qui disparaît avec celui qui l'a reçu.

La manifestation d'un tel don chez un autre ne peut donc pas résulter d'un apprentissage méthodique. Intérêt philosophique du texte L'intérêt philosophique de ce texte est d'apporter une réponse originale et profonde au problème de la spécificité de l'art (des beaux-arts) en y voyant une production du génie. Kant définit en effet les beaux-arts comme les arts du génie (cf.

Critique du jugement, § 46). Le génie est « la disposition innée de l'esprit par laquelle la nature donne ses règles à l'art ».

Il se caractérise par : 1.

L'originalité : «le génie est le talent de produire ce dont on ne saurait donner de règle déterminée, ce n'est pas l'aptitude à ce qui peut être appris d'après une règle quel¬conque». 2.

L'exemplarité : «ses productions, car l'absurde aussi peut être original, doivent en même temps être des modèles».

Elles «doivent être proposées à l'imitation des autres». 3.

L'incapacité à « indiquer scientifiquement comme il réalise son œuvre » ; et pourtant « il donne, en tant que nature, la règle.

Donc l'auteur d'une œuvre qu'il doit à son génie ne sait pas lui-même d'où viennent les idées et il ne dépend pas de lui d'en concevoir à volonté ou d'après un plan, ni de les communiquer à d'autres dans des prescriptions qui les mettraient à même de produire de semblables ouvrages ». C'est cette définition du génie qu'explicite et illustre Kant dans notre texte. Un esprit aussi puissant que Newton n'est pas un « génie » en ce sens que son œuvre ne lui appartient pas en propre : la gravitation universelle, si elle n'avait pas été découverte par lui, aurait été découverte par quelqu'un d'autre. En revanche si Homère n'avait pas écrit l'Iliade ni l'Odyssée, personne n'aurait pu les écrire à sa place.

L'originalité de l'artiste est irréductible, non celle du savant.

Par ailleurs les découvertes de Newton peuvent être « redécouvertes » en ce sens que l'on peut reproduire sa démarche : « on peut apprendre tout ce qu'il a exposé ». Mais on ne peut apprendre à composer des poèmes comme ceux que composait Homère : si nous ne possédons pas son génie (et comment le posséderions-nous ?), ce génie manquera toujours à nos compositions.

Certes, le génie engendrera une école, mais ses imitateurs ne feront que des pastiches, à moins qu'ils ne possèdent euxmêmes du génie.

Or si l'on ne peut apprendre à composer des œuvres comme celles que produit l'artiste de génie, c'est que celui-ci ignore lui-même, contraire ment au savant, selon quelles règles il les produit.

Newton peut rendre compte, dans le moindre détail, de l'enchaînement de ses idées, tandis que Homère « ne peut montrer comment ses idées surgissent et s'assemblent dans son cerveau ». (Hegel s'opposera ici à Kant, en affirmant : « Il est ridicule de s'imaginer que le véritable artiste ne sait pas ce qu'il fait», Esthétique, coll.

Champs, I, p.

355). Mais si l'on ne peut apprendre à produire une œuvre de génie, comment peut-on alors proposer de telles œuvres à l'imitation ? C'est que les œuvres d'un génie données comme modèles pourront exciter, révéler d'autres génies : « Les idées de l'artiste éveillent dans l'élève de semblables idées, si la nature a doué celui-ci de facultés équivalentes » (Critique du jugement, § 47).. »

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