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KANT: L'art est distingué de la nature comme le «faire»

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L'art est distingué de la nature comme le «faire» (facere) l'est de l'« agir» ou du « causer » en général (agere), et le produit ou la conséquence de l'art se distingue en tant qu'oeuvre (opus) du produit de la nature en tant qu'effet (effectus). En droit, on ne devrait appeler art que la production par liberté, c'est-à-dire par un libre arbitre, qui met la raison au fondement de ses actions. On se plaît à nommer une oeuvre d'art (Kunstwerk) le produit des abeilles (les gâteaux de cire régulièrement construits), mais ce n'est qu'une analogie avec l'art; en effet, dès que l'on songe que les abeilles ne fondent leur travail sur aucune réflexion proprement rationnelle, on déclare aussitôt qu'il s'agit d'un produit de leur nature (de l'instinct), et c'est seulement à leur créateur qu'on l'attribue en tant qu'art. Lorsqu'en fouillant un marécage on découvre, comme il est arrivé parfois, un morceau de bois taillé, on ne dit pas que c'est un produit de la nature, mais de l'art ; la cause productrice de celui-ci a pensé à une fin, à laquelle l'objet doit sa forme. On discerne d'ailleurs un art en toute chose qui est ainsi constituée qu'une représentation de ce qu'elle est a dû, dans sa cause, précéder sa réalité (même chez les abeilles), sans que toutefois cette cause ait pu penser l'effet (ohne dass doch die Wirkung von ihr eben gedacht sein dürfe) ; mais quand on nomme simplement une chose une oeuvre d'art pour la distinguer d'un effet naturel, on entend toujours par là une oeuvre de l'homme. KANT

« "L'art est distingué de la nature comme le «faire» (facere) l'est de l'« agir» ou du « causer » en général (agere), et le produit ou la conséquence de l'art se distingue en tant qu'oeuvre (opus) du produit de la nature en tant qu'effet (effectus). En droit, on ne devrait appeler art que la production par liberté, c'est-à-dire par un libre arbitre, qui met la raison au fondement de ses actions.

On se plaît à nommer une oeuvre d'art (Kunstwerk) le produit des abeilles (les gâteaux de cire régulièrement construits), mais ce n'est qu'une analogie avec l'art; en effet, dès que l'on songe que les abeilles ne fondent leur travail sur aucune réflexion proprement rationnelle, on déclare aussitôt qu'il s'agit d'un produit de leur nature (de l'instinct), et c'est seulement à leur créateur qu'on l'attribue en tant qu'art. Lorsqu'en fouillant un marécage on découvre, comme il est arrivé parfois, un morceau de bois taillé, on ne dit pas que c'est un produit de la nature, mais de l'art ; la cause productrice de celui-ci a pensé à une fin, à laquelle l'objet doit sa forme.

On discerne d'ailleurs un art en toute chose qui est ainsi constituée qu'une représentation de ce qu'elle est a dû, dans sa cause, précéder sa réalité (même chez les abeilles), sans que toutefois cette cause ait pu penser l'effet (ohne dass doch die Wirkung von ihr eben gedacht sein dürfe) ; mais quand on nomme simplement une chose une oeuvre d'art pour la distinguer d'un effet naturel, on entend toujours par là une oeuvre de l'homme." KANT Parler des oeuvres de la nature est, en toute rigueur, impropre pour Kant : la nature ne produit que des effets, c'est-à-dire que la volonté, le libre choix guidé par la raison n'y interviennent pas.

Pourtant, les productions de la nature ressemblent quelquefois à des oeuvres d'art, et l'on est tenté d'utiliser les mêmes mots pour désigner des choses différentes.

La géométrie des gâteaux de miel des abeilles est l'une de ces merveilles de la nature qui font pâlir l'art humain : il faut «y songer » pour remettre les choses à leur place et y voir d'abord un produit de l'instinct. L'instinct n'est-il pas alors l'égal de l'intelligence humaine ? Du point de vue de ses réalisations, il peut même être considéré comme supérieur à celle-ci.

Mais justement, c'est extérieurement que l'art et le produit de la nature se ressemblent ; l'analogie entre les deux n'est légitime que si l'on a conscience qu'il s'agit d'une analogie seulement. Si l'on s'intéresse à la nature de l'action et non à son résultat, il apparaît que l'instinct est infaillible justement parce qu'il est automatique, que le choix n'y prend pas ou très peu de part.

Cette sûreté de l'instinct n'est pas présentée ici selon la théorie de l'évolution, comme une adaptation progressive des conduites innées de l'organisme au moyen de la sélection naturelle, mais comme explicable par la providence divine : si les êtres naturels manifestent une adaptation, une harmonie avec le monde où ils vivent, c'est qu'une intelligence les a conçus ainsi.

La nature entière peut être vue comme l'oeuvre d'un artisan suprême.

De ce point de vue seulement, il serait possible de parler d'un art chez des êtres naturels. Kant accorde cependant qu'une représentation puisse précéder la réalisation même chez l'animal.

II faut l'entendre comme une image de l'objet, sans laquelle les efforts seraient sans cohérence; mais, chez l'homme, le travail est guidé à la fois par une représentation et par la réflexion.

Ainsi, un objet très modeste et qui peut même se confondre au premier regard avec un objet naturel quelconque, sera néanmoins identifiable comme un produit de l'art humain parce qu'il manifeste une conscience de l'action, une prévision et des choix. L'exploitation des tourbières révèle fortuitement des objets de bois très anciens, que l'immersion ininterrompue a préservés de la dégradation.

Même si l'usage en est oublié, un tel objet laisse voir qu'il a été pensé avant d'être fabriqué, que l'artisan avait en vue une fin qui nous échappe et que, pour cela, il a choisi sa forme et son matériau.

L'oeuvre d'art révèle que l'homme est vraiment cause de son action, qu'il n'est pas déterminé à « faire » telle ou telle chose, mais qu'il en décide, qu'il est libre. KANT (Emmanuel).

Né et mort à Königsberg (1724-1804).

Fils d'un sellier d'origine écossaise, il fit ses études à l'Université de Königsberg, et s'intéressa davantage à la physique et à la philosophie qu'à la théologie.

En 1755, il est privat-dozent de l'Université de sa ville natale, puis il est nommé professeur extraordinaire de mathématiques et de philosophie.

En 1770, il devient titulaire de la chaire de logique et de métaphysique.

Il vécut dans une demi-retraite pendant onze ans ; puis, commença la publication de ses grands livres, les trois Critiques.

La Révolution française. »

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