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KANT

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En fait, nous remarquons que, plus une raison cultivée s'occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plus l'homme s'éloigne du vrai contentement. Voilà pourquoi, chez beaucoup, et chez ceux-là mêmes qui ont été le plus versés dans l'usage de la raison, il se produit, pourvu qu'ils soient assez sincères pour l'avouer, un certain degré de misologie, c'est-à-dire de haine de la raison. En effet, après avoir fait le compte de tous les avantages qu'ils retirent, je ne dis pas de la découverte de tous les arts qui constituent le luxe ordinaire, mais même des sciences (qui finissent par leur apparaître aussi comme un luxe de l'entendement), toujours est-il qu'ils trouvent qu'en réalité ils se sont imposé plus de peine qu'ils n'ont recueilli de bonheur ; aussi, à l'égard de cette catégorie plus commune d'hommes, qui se laissent conduire de plus près par le simple instinct naturel et n'accordent à leur raison que peu d'influence sur leur conduite, éprouvent-ils finalement plus d'envie que de dédain. Et, en ce sens, il faut reconnaître que le jugement de ceux qui limitent fort, et même réduisent à rien, les pompeuses glorifications des avantages que la raison devrait nous procurer relativement au bonheur et au contentement de la vie n'est en aucune façon le fait d'une humeur chagrine ou d'un manque de reconnaissance envers la bonté du gouvernement du monde, mais qu'au fond de ces jugements gît secrètement l'idée que la fin de notre existence est toute différente et beaucoup plus noble, que c'est à cette fin, non au bonheur, que la raison est spécialement destinée, que c'est à elle en conséquence, comme à la condition suprême, que les vues particulières de l'homme doivent le plus souvent se subordonner. KANT

« En fait, nous remarquons que, plus une raison cultivée s'occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plus l'homme s'éloigne du vrai contentement. Voilà pourquoi, chez beaucoup, et chez ceux-là mêmes qui ont été le plus versés dans l'usage de la raison, il se produit, pourvu qu'ils soient assez sincères pour l'avouer, un certain degré de misologie, c'est-à-dire de haine de la raison.

En effet, après avoir fait le compte de tous les avantages qu'ils retirent, je ne dis pas de la découverte de tous les arts qui constituent le luxe ordinaire, mais même des sciences (qui finissent par leur apparaître aussi comme un luxe de l'entendement), toujours est-il qu'ils trouvent qu'en réalité ils se sont imposé plus de peine qu'ils n'ont recueilli de bonheur ; aussi, à l'égard de cette catégorie plus commune d'hommes, qui se laissent conduire de plus près par le simple instinct naturel et n'accordent à leur raison que peu d'influence sur leur conduite, éprouvent-ils finalement plus d'envie que de dédain.

Et, en ce sens, il faut reconnaître que le jugement de ceux qui limitent fort, et même réduisent à rien, les pompeuses glorifications des avantages que la raison devrait nous procurer relativement au bonheur et au contentement de la vie n'est en aucune façon le fait d'une humeur chagrine ou d'un manque de reconnaissance envers la bonté du gouvernement du monde, mais qu'au fond de ces jugements gît secrètement l'idée que la fin de notre existence est toute différente et beaucoup plus noble, que c'est à cette fin, non au bonheur, que la raison est spécialement destinée, que c'est à elle en conséquence, comme à la condition suprême, que les vues particulières de l'homme doivent le plus souvent se subordonner. Il y a une culture de la raison, qui consiste dans l'acquisition des arts et des sciences : elle exige un travail et ne va pas sans peine.

La raison cultivée n'est pas la raison immédiate, elle est la faculté naturelle augmentée par son exercice. Or la raison est une faculté « pratique » : elle détermine la conduite.

Kant examine ici une raison à laquelle l'homme ferait appel pour guider sa conduite en vue d'obtenir le bonheur, fin que lui donne la sensibilité.

La raison aurait pour fonction d'indiquer les voies et les moyens du bonheur.

La culture de la raison reviendrait à perfectionner un instrument, à médiatiser la médiation, mais toujours pour qu'en fin de compte la raison (cultivée) mène au bonheur. Mais la culture de la raison n'est pas le perfectionnement d'un instrument, et ne laisse pas le bonheur inchangé. L'homme cultivé se fait du bonheur une autre représentation que le sauvage il peut connaître d'autres satisfactions, y compris la moins « sensuelle » : celle de la connaissance. La fin de la raison ne serait-elle pas le raffinement ? L'homme développerait sa raison pour le besoin immédiat, puis la raison développée lui révélerait d'autres satisfactions.

Il y aurait une ruse de la nature, la raison permettant non d'atteindre plus facilement un bonheur dont la figure est naturelle, mais de former l'idée du bonheur civilisé.

L'instinct conviendrait mieux si le bonheur devait rester animal : mais la raison, en guidant la conduite, se justifie en échappant à sa fonction instrumentale pour fonder un bonheur plus humain.

L'infériorité de la raison par rapport à l'instinct (relativement au bonheur animal) manifeste que l'homme est fait pour un bonheur autre qu'animal.

Or Kant démontre le contraire.

L'homme cultivé ne se trouve pas plus proche du bonheur.

Composer la figure du bonheur de satisfactions plus civilisées ne signifie pas que le bonheur soit effectivement atteint, et que la peine de la culture soit compensée par plus de jouissances. D'où la misologie : la raison nous a entraînés vers un autre bonheur dont sa culture a formé l'image, mais nous regrettons la perte de la figure primitive d'un bonheur dont le soin incombait à l'instinct.

Les arts encombrent la vie d'un luxe inutile, et même les sciences semblent être « un luxe de l'entendement ».

Or la misologie révèle une autre téléologie : l'infériorité de la raison par rapport à l'instinct relativement à tout bonheur montre que l'homme et la raison en lui ont une destination autre que le bonheur : une destination suprasensible. KANT (Emmanuel).

Né et mort à Königsberg (1724-1804).

Fils d'un sellier d'origine écossaise, il fit ses études à l'Université de Königsberg, et s'intéressa davantage à la physique et à la philosophie qu'à la théologie.

En 1755, il est privat-dozent de l'Université de sa ville natale, puis il est nommé professeur extraordinaire de mathématiques et de. »

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