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KANT

Extrait du document

La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère, restent cependant volontiers leur vie durant, mineurs, et qu'il soit si facile à d'autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est si aisé d'être mineur ! Si j'ai un livre qui me tient lieu d'entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c'est une chose pénible, c'est ce à quoi s'emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction de l'humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n'aient pas la permission d'oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s'aventurer seules au dehors. Or ce danger n'est vraiment pas si grand ; car, elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte détourne ordinairement d'en refaire l'essai. Il est donc difficile pour chaque individu de sortir de la minorité, qui est presque devenue pour lui nature. KANT

« "La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les a depuis longtemps affranchis d'une direction étrangère (naturaliter maiorennes) (1), demeurent pourtant leur vie durant volontiers mineurs ; et qu'il soit si facile à d'autres de se poser comme leurs tuteurs.

Il est si confortable d'être mineur.

Si j'ai un livre qui a de l'entendement à ma place, un pasteur qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime alimentaire, etc., je n'ai alors bien sûr nul besoin de m'en donner moi-même la peine.

Il ne m'est pas nécessaire de penser, du moment que je peux payer; d'autres se chargeront bien pour moi de ce travail fastidieux.

Que de loin la plus grande part des hommes (et parmi elle, la totalité du beau sexe) tienne, outre le fait qu'il est pénible à franchir, pour également très dangereux le dernier pas vers la majorité, c'est ce dont s'avisent ces tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer leur haute bienveillance sur ces hommes.

Après avoir, d'abord, rendu stupide leur bétail domestique, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures ne puissent oser faire un seul pas hors du parc (2) où ils les ont enfermés, ils leur montrent ensuite le danger qui les menace si elles essaient de marcher seules.

Or ce danger n'est pas si grand qu'il paraît, car, moyennant quelques chutes, elles finiraient bien par apprendre à marcher ; mais le moindre exemple d'une telle chute les rend cependant timides et les dissuade de faire une nouvelle tentative.

" KANT POURQUOI LA MINORITÉ ? Au cours de ce second aliéna, la pensée de Kant se fait à la fois plus précise et surtout plus cynique et plus polémique.

En effet, si dans le premier mouvement du texte, le philosophe allemand définissait de façon générale les " Lumières " et incriminait la " lâcheté " des hommes abdiquant leur conscience à des directeurs de conscience, dans ce passage, il met au jour l'affairement de ces derniers à abêtir leurs ouailles et dénonce les mécanismes pervers d'un tel processus à travers l'image d'un jeune enfant apprenant la marche. Pour tenter de comprendre les mécanismes de l'aliénation, de la sclérose intellectuelles du " grand nombre ", du peuple, Kant commence cet extrait par en repérer la double structure, la bipolarité. D'abord, nous l'avons brièvement souligné déjà, c'est la " paresse " c'est-à-dire la propension au repos sans travail préalable et la " lâcheté " c'est-à-dire la pusillanimité sans honneur qui sont causes efficientes de l'obscurantisme dans lequel se complaît et duquel se repaît la majorité voire la quasi-totalité des hommes.

État de fait d'autant plus scandaleux et en un sens désespérant que les hommes sont depuis longtemps en capacité d'utiliser leur propre entendement à leur " propre compte ".

Effectivement, ces hommes ne sont ni affligés des tares de l'idiotie pas plus qu'ils ne souffrent de débilité congénitale.

Ils sont capables en droit de faire usage de leur raison propre.

Mais, en fait, se laissent asservir par quelqu'uns qui n'ont sur eux nulle supériorité naturelle sinon un ascendant social et factuel qu'ils consentent bien de quelque manière à leur accorder. Telle est donc la première cause de l'état de minorité : paresse pusillanime. Or, une seconde cause explicative vient affermir et compléter ce processus d'aliénation de tous par quelqu'uns.

On l'aura compris, la minorité appelle et facilite l'emprise des maîtres sur leurs esclaves, des tuteurs sur leurs élèves, des rois sur leurs sujets comme le troupeau bêlant et apeuré appelle la protection du berger. Soulignons que dans cette première phrase, Kant impute la responsabilité principale de cet état de fait à la première cause et la seconde vient comme finaliser, compléter le processus. En effet, si les hommes avaient le courage de penser par eux-mêmes, nul ne viendrait le faire à leur place ! Mais, " il est si confortable d'être mineur " ajoute plaisamment Kant.

Effectivement quoi de plus sécurisant que l'infantilisme prolongé.

Nous ne résistons pas à joindre ici deux textes de Freud montrant lui aussi à sa manière comment l'illusion religieuse est la réactivation du désir d'être aimé et protégé propre à l'enfant : " Représentons-nous la vie psychique du petit enfant.

[] La libido suit la voie des besoins narcissiques et s'attache aux objets qui assurent leur satisfaction.

Ainsi la mère, qui satisfait la faim, devient le premier objet d'amour et certes de plus la première protection contre tous les dangers indéterminés qui menacent l'enfant dans le monde extérieur ; elle devient, peut-on dire, la première protection contre l'angoisse. La mère est bientôt remplacée dans ce rôle par le père plus fort, et ce rôle reste dévolu au père durant tout le cours de l'enfance.

Cependant la relation au père est affectée d'une ambivalence particulière.

Le père constituait lui-même. »

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