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Faut-il tout définir et tout prouver ?

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« Introduction.

On a défini la science «l'union des travailleurs de la preuve» (G.

BACHELARD).

Mais qu'est-ce exactement qu'une preuve ? Dans quels cas doit-on prouver ? Doit-on toujours prouver ? Et comment doit-on le faire ? I.

Nature de la preuve. A.

— E.

GOBLOT (Traité de Logique, p.

21) a fort bien défini la preuve en disant que c'est "un fait purement intellectuel, ou un ensemble de faits purement intellectuels, qui est la condition suffisante d'un autre fait intellectuel".

Expliquons cette définition.

Nos jugements et nos croyances sont souvent déterminés par des facteurs tout autres qu'intellectuels : préjugés sociaux, tendances diverses, sentiments, passions, etc.

Mais, si fortes que puissent être parfois ces influences extra-intellectuelles, elles ne sont pas des preuves, elles ne constituent pas des raisons logiques d'adhérer à une proposition. B.

— La preuve est en effet ce qui établit la vérité de cette proposition.

Or, réserve faite des vérités morales qui pourraient seules ici faire question, « la vérité, comme le dit encore GOBLOT, est indépendante du caractère, de la volonté, du sentiment et des passions : toutes les conditions de l'idée vraie se trouvent dans les seules idées ».

A utrement dit, la vérité est de l'ordre de l'intelligible ; elle consiste à reconstruire sur le plan des idées ou des concepts ce qui est d'abord aperçu sous forme sensible ou intuitive.

La preuve doit donc se situer, elle aussi, sur ce plan de l'intellectuel pur. II.

Où doit-on prouver ? Ces considérations nous fournissent la réponse à la deuxième question : où, dans quels cas doit-on prouver ? D'après ce qui vient d'être dit, la preuve n'est à sa place que dans le domaine proprement intellectuel, lorsqu'il s'agit d'établir la vérité.

Par suite : A.

— La preuve n'a rien à voir dans le domaine extra-intellectuel, c'est-à-dire dans le domaine sentimental, ou dans le domaine esthétique où il s'agit de beauté et non de vérité ; au sens propre, une oeuvre d'art ne prouve rien et on ne peut non plus prouver qu'elle a une valeur esthétique ; B.

— Il existe en outre un domaine supra-intellectuel, celui des vérités religieuses et de la foi ; à proprement parler, on ne prouve pas un dogme, nous disent les théologiens, on peut seulement apporter à son appui des «motifs de crédibilité » qui sont extérieurs à son contenu intellectuel ; C.

— Enfin, dans le domaine intellectuel lui-même, il faut distinguer le travail de la recherche et de la découverte et celui de la preuve ; en général, la vérité se découvre par intuition; la preuve n'intervient qu'après coup pour la confirmer. III.

Comment on doit prouver. Mais, si la preuve est toujours de l'ordre intellectuel, elle se présente cependant sous des formes différentes dans les différents domaines du savoir. A.

— Dans le domaine rationnel pur, comme en Mathématiques, la preuve est, elle aussi, non seulement d'ordre intellectuel, mais rationnel, c'est-à-dire qu'elle part de principes abstraits à partir desquels elle construit déductivement la proposition à prouver : tel est le cas de la démonstration mathématique. B.

— Dans le domaine expérimental, comme dans les Sciences physiques, biologiques, etc., la preuve se fait par induction.

Le point de départ n'est plus un principe abstrait : ce sont les faits.

Mais, dans ces faits, on isole par analyse certains éléments abstraits avec lesquels on construit une hypothèse qui, une fois confirmée par l'expérience, devient une loi.

La preuve semble donc se ramener ici à la vérification expérimentale.

Mais, en réalité, l'induction s'accompagne de toute une analyse conceptuelle qui, à la différence de ce qui se passe en Mathématiques, est soumise au contrôle de l'expérience.

Au fond, la preuve s'effectue donc, ici encore, sur le plan de l'intelligible substitué au sensible. C.

— Il y a un domaine où la preuve prend une forme toute spéciale : c'est l'histoire.

Le point de départ, le donné, ce sont ici les documents, et il s'agit de prouver les faits à l'aide des documents.

Mais, au fond, la preuve est beaucoup moins dans les documents eux-mêmes que dans leur concordance, c'est-àdire encore dans un fait d'ordre intellectuel. D.

— Peut-on parler de preuve en Morale ? Si les vérités morales ne peuvent être, à proprement parler, ni démontrées ni vérifiées, puisqu'elles sont faites de jugements de valeur, elles ne sont pourtant pas gratuites, subjectives, variables au gré de l'arbitraire individuel.

Les valeurs sont, comme a dit A. LA LANDE, synonymiques ; elles présentent, selon l'expression d'E.

DUPRéEL, une certaine consistance.

Dès lors, elles sont bien susceptibles d'une certaine justification, sinon d'une preuve au, sens rigoureux du terme.

C ette justification consistera à les montrer impliquées dans notre vie morale effectivement vécue, à les intégrer dans une conception de l'existence de l'être humain pris dans sa totalité, compte tenu de la hiérarchie des divers éléments qui constituent sa nature. IV.

Doit-on tout prouver ? Ces remarques nous permettent de répondre à la dernière question : doit-on tout prouver ? A.

— Nous avons déjà posé une double limite au travail de la preuve : on ne prouve ni ce qui est extra-intellectuel, ni ce qui est supra-intellectuel. B.

— Dans le domaine intellectuel même : 1° la preuve par déduction suppose des principes premiers qui sont indémontrables, soit parce que, comme les axiomes proprement dits, ils sont évidents par eux-mêmes, soit parce que, comme les postulats, ils sont conventionnels; — 2° la preuve par induction suppose, à sa base comme à son terme, des données empiriques, celles des faits, qui sont objet de constatation, mais non de preuve ; ces données doivent être toutefois analysées, interprétées et, le plus souvent, mesurées ; — 3° la preuve historique suppose de même des documents qui sont des données, mais dont on doit contrôler l'authenticité et, si ce sont des témoignages, la véracité; — 4° la preuve morale implique certains «jugements de valeur primitifs» sans lesquels on ne peut rien prouver, et ce serait une « fausse exigence de la raison » que de vouloir que ces jugements fondamentaux fussent eux-mêmes appuyés de preuve : « Si quelqu'un n'admet aucune affirmation de la forme : " Mieux vaut ceci " ou " Il faut faire cela ", la demande » d'une preuve en matière normative est de sa part un pur non-sens (A.

LALANDE, La Raison et les normes, p.

124-127).

C'est pourquoi nous avons dit ci-dessus que ces jugements de valeur fondamentaux devaient être dégagés, par explicitation réflexive, de notre vie morale effectivement vécue. Conclusion.

De ce qui précède, il résulte que la preuve consiste toujours à établir un système d'ordre intellectuel auquel on intègre la proposition, le fait, la croyance à prouver.

Mais, bien entendu, ce système ne peut être construit, en quelque sorte, ex nihilo : il suppose toujours, soit des principes premiers, soit des données empiriques, soit des prises de position en présence des problèmes moraux.. »

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