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Faut-il renoncer à connaître ce qui est changeant ?

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« Connaître consiste à produire un discours sur un objet, discours qui a deux caractéristiques principales : d'une part, l'acte de connaître est le moyen de donner une définition de l'objet que l'on s'attache à étudier.

De l'autre, connaître est le moyen d'avoir une action sur l'objet de connaissance, le moyen de le maîtriser.

Nous renonçons donc à connaître lorsque nous reculons devant un obstacle à l'activité de définition, ou lorsque nous nous déclarons incapables d'agir sur l'objet de connaissance. « Ce qui est changeant » est une expression pour le moins vague : elle désigne généralement tous les objets ou les êtres qui n'ont pas d'identité.

En effet, l'identité est le caractère d'un être ou d'une chose qui demeure identique à elle-même dans le temps.

L'identité équivaut à la permanence des caractères définitoires d'une chose ou d'un être. La notion de connaissance et celle de changement apparaissent pour le moins incompatibles : si l'acte d e connaître est l'acte de production d'un discours qui prétend à la vérité, c'est-à-dire, qui prédique une chose d'une autre, une telle activité parait impossible dans le cas des objets changeants.

Comment connaître, c'est-à-dire définir et maîtriser, une chose qui n'est jamais semblable à elle-même ? Nous nous demanderons donc si l'objet de la connaissance doit nécessairement demeurer identique à lui-même pour qu'il soit possible de le définir et de le maîtriser. I. L'identité d'une chose à elle-même est la condition nécessaire de l'activité de connaissance a. La légalité des phénomènes, condition nécessaire de la connaissance Nous commencerons en disant qu'il est impossible de connaître ce qui est changeant.

En effet, la légalité des phénomènes apparaît comme la condition nécessaire de la connaissance : il faut que les choses agissent en fonction de lois définitives, immuables, pour qu'il soit possible de les définir et de les maîtriser.

Prenons l'exemple d'un phénomène naturel, celui de l'alternance du jour et de la nuit.

Nous ne pouvons connaître cette alternance qu'à la condition de sa répétition dans le temps, de sa permanence.

De même, nous ne pouvons maîtriser cette alternance qu'à la condition d e sa légalité (de son obéissance à un fonctionnement immuable) : notre vie serait entièrement changée si l'alternance du jour de la nuit devenait contingente, donc impermanente. b. L'impossible connaissance des êtres et des choses impermanentes A contrario, nous dirons qu'il est impossible de connaître les êtres et les choses impermanentes.

En effet, aucun discours prétendant à la vérité, à une définition pertinente et à une maîtrise efficace d'un objet de connaissance, ne peut être produit, si son objet est sans cesse dissemblable à lui-même.

Le discours demeurera le même, alors que l'objet diffèrera.

Par conséquent, nous dirons qu'il faut renoncer à connaitre ce qui est changeant. II. a. L'impermanence, caractéristique des êtres et des choses, interdit la connaissance La légalité n'est qu'une régularité Cependant, nous opposerons à ce que nous venons de dire que la légalité n'existe pas, que nous la confondons entièrement avec la régularité.

En effet, David Hume montre parfaitement dans toute son œuvre que ce que nous prenons pour de la légalité n'est qu'une répétition dont il n'est pas certain qu'elle existera toujours.

L'alternance du jour et de la nuit n'est pas une loi, car nous ignorons la cause efficiente de ce phénomène : elle n'est qu'une habitude, une régularité.

Comme le dit Diderot dans « Le rêve de d'Alembert » : « De mémoire de rose, on a jamais vu mourir un jardinier ».

Cette phrase nous invite à comprendre que nous sommes pareils aux roses qui prétendent que les jardiniers sont immortels : nous jugeons des phénomènes naturels dont l'extension dans le temps nous dépasse infiniment. b. La connaissance n'existe pas : il n'y a que du savoir A la lumière de ce que nous venons d'avancer, nous dirons que l'impermanence, caractéristique de l'ensemble des êtres et des choses, est un obstacle fondamental à l'activité de connaissance.

Si tout est impermanent, nous ne pouvons rien connaître.

Nous dirons donc qu'il n'y a pas de connaissance (discours sur les choses définissant définitivement ce qu'elles sont, évaluant pour toujours le moyen d'agir sur elles) mais que du savoir, c'est-à-dire une connaissance du ponctuel, du singulatif (c'est-à-dire, de ce qui ne se produit qu'une fois). III. a. L'impermanence des êtres et des choses n'est pas un obstacle à la connaissance Un savoir ponctuel est encore une connaissance : l'analogie de la mort et de la connaissance Nous emploierons ici une analogie entre la mort et la connaissance.

Lorsqu'un homme vit et meurt, sans que son passage sur terre ait changé en rien la face de celle-ci, il n'en reste pas moins que sans lui l'ensemble du monde eut été différent.

Son passage sur terre est dépendant d'un enchainement causal qui trouve sa source dans le commencement des temps ; et il demeurera toujours vrai qu'il a existé, un monde sans lui ne serait pas le notre : chaque être laisse donc en quelque sorte une trace ineffaçable.

Il en va de même pour tous les phénomènes : même si rien ne se produisait deux fois, si tout n'avait qu'une existence singulative, il n'en resterait pas moins que telle chose a eu lieu de telle manière en tel lieu et tel moment.

Le savoir du ponctuel est encore une connaissance. b. L'impermanence des phénomènes, condition nécessaire de l'activité scientifique Nous finirons donc en disant que l'impermanence des choses n'est pas un obstacle à la connaissance des choses, mais au contraire leur condition.

En effet, l'activité scientifique s'édifie sur des savoirs incertains, sur la constatation de régularités.

Pour Karl Popper, une hypothèse scientifique n'en est une que si elle est réfutable : tant que les résultats des tests expérimentaux sont conformes aux prédictions de la théorie, on dit que celle-ci est corroborée par l'expérience.

Dans le cas inverse, elle est falsifiée par l'expérience.

Est donc scientifique tout ce qui peut être falsifié : l'impermanence des objets est donc la condition de la connaissance de type scientifique. Conclusion : A première vue il faut renoncer à connaître ce qui est changeant : il semble impossible de produire un discours prétendant définir et permettre la maitrise d'une chose, si l'objet de connaissance n'est jamais semblable à lui-même.

Dans ce cas, il semble que la connaissance en général soit impossible, qu'il n'existe qu'un savoir du ponctuel, puisque rien dans le monde ne semble permanent : les êtres et les choses sont dans une perpétuelle mutation, tout change hormis le changement.

Cependant, l'avènement d'un phénomène dans le monde, y compris d'un phénomène unique, est en soi un objet de connaissance ; et l'impermanence des phénomènes peut apparaître en elle-même comme une condition de l'activité scientifique.. »

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