Faut-il rejeter la morale ?
Extrait du document
«
[La morale nie les instincts fondamentaux de l'homme.
L'homme est par nature cruel.
Il veut la
puissance.
Plus l'homme, au nom de la morale, renonce à ses instincts, plus il s'affaiblit, plus il se montre
cruel envers lui-même.]
La nature ignore le mal
CALLICLÈS.
— Veux-tu savoir ce que sont le beau et le juste selon la nature ? Hé
bien, je vais te le dire franchement ! Voici, si on veut vivre comme il faut, on
doit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les
réprimer.
Au contraire, il faut être capable de mettre son courage et son
intelligence au service de si grandes passions et de les assouvir avec tout ce
qu'elles peuvent désirer.
Seulement, tout le monde n'est pas capable, j'imagine,
de vivre comme cela.
C'est pourquoi la masse des gens blâme les hommes qui
vivent ainsi, gênée qu'elle est de devoir dissimuler sa propre incapacité à le faire.
La masse déclare donc bien haut que le dérèglement [...] est une vilaine chose.
C'est ainsi qu'elle réduit à l'état d'esclaves les hommes dotés d'une plus forte
nature que celle des hommes de la masse ; et ces derniers, qui sont eux-mêmes
incapables de se procurer les plaisirs qui les combleraient, font la louange de la
tempérance et de la justice à cause du manque de courage de leur âme.
[...]
Écoute, Socrate, tu prétends que tu poursuis la vérité, eh bien, voici la vérité : si
la facilité de la vie, le dérèglement, la liberté de faire ce qu'on veut, demeurent
dans l'impunité, ils font la vertu et le bonheur ! Tout le reste, ce ne sont que des manières, des conventions,
faites par les hommes, à l'encontre de la nature.
Rien que des paroles en l'air, qui ne valent rien ! [...]
SOCRATE.
— Il est donc inexact de dire que les hommes qui n'ont besoin de rien sont heureux.
CALLICLÈS.
— Oui, parce que, si c'était le cas, les pierres et même les cadavres seraient tout à fait heureux
!
Pour Calliclès, la vertu n'est pas la tempérance, l'obéissance passive à la loi, mais le dérèglement, l'excellence
dans l'action d'assouvir le plus possible nos désirs quels qu'en soient les moyens.
Elle est identifiée à la
capacité de satisfaire jusqu'à ses plus fortes passions.
Aussi faut-il renverser la hiérarchie platonicienne de
l'âme: ce n'est pas le courage qu'il faut mettre au service de l'intelligence pour brider les désirs, ce sont les
désirs qu'il faut « laisser aller » et poursuivre en y mettant tout son courage et toute son intelligence.
C'est « franchement » que veut parler Calliclès, car cette thèse est réprouvée par la morale commune.
Mais la
morale commune n'est, selon Calliclès, que celle de la « masse des gens », elle est fabriquée pour tenir en
respect les hommes les meilleurs, c'est-à-dire ceux qui sont « dotés d'une plus forte nature », pour se
prémunir de leur domination et les réduire en esclavage.
Les faibles, grâce à l'avantage du nombre,
transforment pour chacun, y compris les meilleurs, une incapacité à vivre selon ses désirs en une vertu morale
qui apparaît d'autant plus méritoire qu'elle est sévère.
Il faut donc, selon Calliclès, s'opposer à ces conventions sans valeur, qui sont le fait d'une vie qui se nie ellemême, et assurer le triomphe de ce qui est beau et juste selon la nature : la puissance d'agir et de vivre selon
ce qu'on désire, y compris au moyen de la violence « si grandes soient-elles »).
La tempérance de l'âme
présentée comme un idéal par Socrate n'est que la paix des cimetières, car la répression des désirs empêche
la vie de s'affirmer comme telle.
Elle nie donc la nature de l'homme et le réduit à un objet inanimé (« pierres »)
en prenant pour modèle la mort (« cadavres »).
Selon la nature, le pire malheur qui puisse arriver à un homme
serait de ne plus rien désirer.
C'est pour cette raison que Calliclès conteste la définition du bonheur présentée par Socrate, de même qu'il
rejette sa conception de la vertu.
Calliclès exhorte ainsi Socrate à se reconnaître de la même veine que lui, et
à renoncer à ses balivernes (« paroles en l'air ») pour admettre que lui-même, par la philosophie, ne recherche
rien moins que la domination sur les autres.
Dans ce texte, Platon condamne implicitement Calliclès tout en le laissant déployer son discours : comme
Socrate l'a déjà montré, celui qui désire manque toujours de quelque chose : il éprouve une douleur et ne
peut donc être heureux.
D'autre part, Calliclès demande l'absence de limites, « l'impunité » comme gage de
vertu.
Mais il est clair que l'idée même de vertu se trouve ruinée par ces propos : l'homme qui fait un tel choix
de vie se met en contradiction avec la loi qu'il reconnaît pourtant.
Le bien moral est le mal par excellence
La règle de conduite commune aux individus est la réciprocité, à la condition qu'ils appartiennent au même
corps social, avec les mêmes valeurs et les mêmes critères.
Chacun considère ainsi la volonté d'autrui comme.
»
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