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Faut-il interdire ?

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« Introduction L'interdiction consiste à poser des limites, à refuser certains comportements ou certaines paroles.

C 'est ainsi parce qu'elle limite, réduit nos possibilités d'agir que l'interdiction est parfois critiquée, elle semble renvoyer à une réduction de notre liberté.

C 'est dans une telle perspective que la revendication de libertés plus grandes à la fin des années 60 en France, a donné naissance au slogan : " Il est interdit d'interdire ".

L'interdiction apparaîtrait alors comme ce qui s'oppose à l'épanouissement de l'individu, comme ce qui lui impose un carcan.

Toutefois, sans ce système de règles morales qui constitue toute vie en société, ne reviendrait-on pas à cet état de nature, hostile, où chacun à la possibilité illimitée de piétiner autrui pour parvenir à ses fins ? O n doit se demander en quel sens l'interdiction est utile au lien social, et ainsi d'entrevoir ses limites en tant qu'elle peut être l'instrument tyrannique d'un jeu d'intérêts.

S'esquisse dès lors deux limites au sein du phénomène d'interdiction, l'une positive, qui permet au maximum d'assurer une forme de cohésion sociale, et l'autre négative, qui peut s'employer à l'encontre de la liberté réfléchie de chacun. I.

Obligation et interdiction a.

La morale est étroitement liée aux notions de bien et de mal.

A insi elle prescrit, selon les temps et les lieux, des règles de conduite permettant au sujet de vivre « en harmonie » avec ses partenaires.

Le contenu des prescriptions morales évoque des devoirs qui incombent au sujet.

Et ces devoirs se laissent saisir sur le mode injonctif de l'interdiction.

D'où le « tu ne tueras point », un des commandements divin, qui exhorte tout sujet à ne pas ôter la vie, même celle de son pire ennemi.

C e qui nous est interdit nous donne en même temps ce qui ne l'est pas, et toute règle morale doit indiquer, par l'affirmative ou par la négative, un comportement à suivre.

A insi l'obligation est de mise, et présente le caractère de l'universalité. b.

La tradition judéo-chrétienne présente bien le caractère interdisant des prescriptions morales : tu ne tueras point, tu ne voleras point, etc.

A utrement, Jésus dira de donner sa joue gauche si on nous gifle la droite, et ce afin d'expliquer de manière détournée que la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent) n'est pas de mise, et qu'on ne doit pas avoir recours à la vengeance, à la violence.

C ar c'est au regard de Dieu qu'il est nécessaire d'approuver ses interdictions.

La violence sauvage ne peut permettre de fonder une harmonie parmi les hommes, d'où ces préceptes moraux permettant de réguler les instincts de violence de chacun. II.

L'interdiction comme régulation des mauvais penchants a.

Le terme éducation, du latin « educatio », indique l'idée d'une « formation de l'esprit ».

Kant dira que seul l'homme est la créature susceptible d'être éduquée.

N'étant pas dirigé par l'instinct, il doit conquérir par la culture ce que la nature lui a refusé.

L'éducation, dont le but est de conduire l'homme à sa propre humanité, comporte toujours, selon Kant, deux aspects : la discipline et l'instruction.

La discipline est la partie négative de l'éducation.

Elle habitue l'enfant à supporter la contrainte des lois.

P ar là, elle l'aide à surmonter sa sauvagerie originaire.

L'instruction est la partie positive de l'éducation.

Elle est l'action de former et d'enrichir l'esprit par la transmission du savoir et par l'étude.

A insi le but de l'éducation est de conduire l'enfant vers la liberté et l'autonomie, lesquels ne sauraient se concevoir en dehors du cadre de la citoyenneté (cf.

Kant, Traité de pédagogie, trad.

Barni et A bout, pp.

35-38). b.

Il se pose aussi un conflit à travers la notion de « Surmoi » posée par Freud.

En effet, le surmoi est cette instance psychique contenant les règles de conduites morales i s s u e s de l'éducation.

A insi la « voix de la conscience » est la voix de l'interdiction de se comporter à l'encontre des normes sociales et parentales établies.

Le sujet, toujours poussé par la détermination dynamique d e s e s pulsions (inconscientes), doit ainsi faire l'effort de les retenir, les maintenir fermement en dehors de la conscience.

A insi certains de ses désirs seront réprimés par la redoutable loi du surmoi qui désigne cette « bonne conscience » tournée vers le bien. III.

Compréhensions sociologique et anthropologique de l'interdiction a.

A u niveau sociologique, la morale être ajustée selon certaines actions.

A v e c E. Durkheim, le social (ou moral) est supérieur à l'individu et le contraint à agir selon les institutions mises en place.

Dans ses Règles de la méthode sociologique, Durkheim montre que celui qui commet un crime sera puni par la société.

En fait, chaque individu se sentira affecté par le crime, et la somme de t o u s c e s individus affectés, qui constitue la société, engendrera une révision du code pénal afin d'attribuer une punition proportionnelle au crime commis.

A insi c'est la société qui élabore la morale à partir d'actions (non morales) individuelles, et ajuste son système d'interdictions (cf.

partie sur le pathologique). b.

Nature et culture constituent deux règnes distincts, mais non pas séparés.

Il existe en effet une règle, comme l'établit ici l'anthropologue français Claude Lévi-Strauss, autrement dit une convention, qui est universelle.

Il s'agit de la prohibition de l'inceste, c'est-à-dire de l'interdiction des rapports sexuels à l'intérieur d'un champ de parenté déterminé. « Pour fixer les termes, écrit Freud dans L'Avenir d'une illusion, nous appellerons refus le fait qu'une pulsion ne puisse être satisfaite, interdit la disposition qui établit ce refus, et privation l'état qui en découle.

» Il faut distinguer, ajoute-t-il, entre les interdits culturellement variables, locaux ou particuliers, qui ne touchent qu'une catégorie sociale, et les interdits fondamentaux, universels, qui coïncident avec les conditions d'existence de la culture elle-même, et qui sont au nombre de trois : ceux de l'inceste, du cannibalisme et du meurtre.

C e triple interdit, depuis l'orée de l'histoire, sépare l'état de culture de l'état animal.

O r il forme, à présent encore, le noyau d'une haine jamais éteinte à l'endroit de la culture, haine dont nous voyons les effets de révolte et d'inhibition dans la névrose.

C omme si chacun, venant au monde, devait à nouveau payer le prix de son entrée dans la culture, le prix de chair de son droit au langage. c.

Devant cette nature destructrice (thanatos) propre à l'homme, il est nécessaire d'établir une raison commune, et d'empêcher tout type de « psychopathe » d'être une menace pour la vie dans son ensemble.

A u regard de cela, des mesures intergouvernementales peuvent être adoptées pour la sécurité mondiale ; ainsi, du 13 au 15 janvier 1993, à P aris, cent trente pays ont participé à une conférence d'ouverture à la signature d'une “C onvention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction”.

Fruit de vingt-cinq années de discussions, ce document est capital par son ambition d'une interdiction universelle, permanente, globale et vérifiable.

Il est aussi très important par son ampleur : cent cinquante-trois pages pour la C onvention et ses trois annexes, de même statut juridique, à comparer à l'unique page du P rotocole de Genève de 1925 et aux cinq pages de la C onvention d'interdiction des armes biologiques de 1972. Conclusion O n comprend que l'interdiction, loin de n'être qu'une manière d'assoupir la voix de l'homme, peut bien plutôt être la condition de possibilité de tout échange, de toute liberté, de toute communication.

Si elle régule les comportements individuels, si elle n'est jamais à l'abri de ceux qui la transgressent, elle a au moins cette fonction de garantir une paix sociale.

L'interdiction peut ainsi s'imposer par les individus eux-mêmes qui tissent le lien social et aspirent au bonheur.

Il semble que l'interdiction dépasse ses limites sociales légitimes (au regard des régimes démocratiques) quand le peuple fait entendre qu'il n'a pas à subir telle ou telle restriction.

C hacun doit interdire avec en vue le respect de l'autre et des droits qui constituent son appartenance au genre humain.. »

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