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Faut-il douter de ce que nous percevons ?

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« Il faut douter des sens Si les informations fournies par la perception sont indispensables pour la vie, sans organes perceptifs comment s'orienter dans le monde ? L'expérience des nombreuses illusions ou erreurs des sens semble montrer qu'on ne peut pas toujours se fier à la perception.

Les philosophes sceptiques de l'Antiquité avaient dressé une liste de ces illusions (la tour carrée qui de loin paraît ronde ou le bâton qui paraît brisé lorsqu'on le plonge dans l'eau etc.), exemples canoniques repris par toute la tradition de la philosophie classique. Pour Platon, est sensible ce que l'on peut saisir par les sens, intelligible ce que l'on saisit par l'esprit ou l'intelligence, ce que l'on comprend.

Ainsi, la croyance est déterminée par des objets sensibles, alors que la science a pour principe des réalités intelligibles. La réalité sensible est celle des objets qui nous entourent.

Soumise aux contradictions, celle du temps notamment, dans lequel chaque chose devient une autre, elle s'oppose à la réalité des essences, ou Idées, dans laquelle chaque chose est ce qu'elle est de toute éternité. Dans le même esprit, Descartes montrera qu'il est sûr que les sens nous trompent parfois.

Les illusions d'optique en témoignent assez.

Je dois donc rejeter comme faux & illusoire tout ce que les sens me fournissent pour fonder une science certaine. L'épistémologie moderne avalise cette idée qu'il faut douter de la perception du monde Bachelard considérait l'expérience immédiate comme le premier obstacle à la connaissance scientifique.

Les informations fournies par les sens, le vécu sont source d'erreurs.

Ainsi, par exemple, de ce que cette pierre tombe plus vite que ce morceau de liège, j'en viendrai à établir une distinction entre «lord» et «léger» et à conclure que la vitesse de la chute des corps est liée à leur masse.

Or les scientifiques ont établi que, dans le vide, tous les corps tombent à la même vitesse.

La formule scientifique par Galilée de la loi de la chute des corps e= ½ gt 2 contredit les données communes de la perception. L'épistémologie de Bachelard réactualise l'idée essentielle du platonisme : la science se constitue par ce geste intellectuel qui récuse l'expérience.

Pour Bachelard (comme pour Platon) le savoir scientifique commence par une rupture avec l'expérience ; par se méfier des synthèses spontanées de la perception.

Car l'expérience première est un obstacle et non une donnée.

C'est même le premier obstacle que la science doit surmonter pour se construire.

C'est que la science est ennuyeuse : le réel auquel elle a affaire est filtré, classé, ordonné selon des relations intelligibles, quantifié, prêt à la mesure.

Au contraire, l'expérience première, spontanée, parle à l'imaginaire.

L' « observation première se présente comme un libre d'images : elle est pittoresque, concrète, vivante, facile.

Il n'y a qu'à la décrire et s'émerveiller ».

Devant elle, nous sommes au spectacle.

Entre l'expérience spontanée du feu par exemple et la connaissance des lois de la combustion, quel écart ! D'un côté un univers qualitatif et affectif : le feu qui crépite dans l'âtre, le bien-être, les couleurs, la fascination, le feu qui « chante » et qui « danse » ; de l'autre un processus physico-chimique dépouillé de toute poésie, une simple modification quantitative des éléments. La première leçon de l'épistémologie de Bachelard est donc bien platonicienne : l'anti-empirisme.

L'expérience est d'abord du domaine du préscientifique.

L'esprit scientifique doit se constituer contre elle, contre la nature et ses enseignements immédiats.

L'empirisme est la pente la plus naturelle et la plus paresseuse de l'esprit ; son axe et celui de la science sont inverses l'un de l'autre.

Cela suppose bien, chez Platon, une conversion intellectuelle, un détournement des habitudes spontanées de l'âme, une pédagogie de la rupture : « L'esprit scientifique ne se forme qu'en se réformant ».

La connaissance objective mérite une psychanalyse au cours de laquelle l'esprit scientifique pourra se constituer en inhibant et en refoulant les pulsions expansives de l'observation spontanée. Pour parvenir à l'esprit scientifique, il est donc indispensable d'éliminer de la connaissance les projections psychologiques spontanées et inconscientes, d'opérer ; comme le dit Bachelard une « psychanalyse de la connaissance ». Cette psychanalyse est bien difficile, peut-être jamais achevée.

Elle est en tout cas l'oeuvre des siècles et nous ne devons jamais oublier que la science est une aventure récente.

Il y a des ho sur terre. »

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