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Faut-il craindre les lois ?

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« [Introduction] Le sentiment le plus communément suscité par la loi, c'est-à-dire par la règle morale ou politique à laquelle il s'agit d'obéir, est un sentiment de crainte.

Plus exactement, on respecte la loi ou on répugne à l'enfreindre parce que l'on appréhende les sanctions.

La « peur du gendarme » est sensée faire ralentir les automobilistes et décourager les délinquants, et l'angoisse d'une éventuelle punition postmortem, aider les croyants à bien se conduire.

Il semblerait ainsi que la loi ne soit efficace que lorsqu'elle est crainte : ôtez les radars sur les routes et proclamez la mort de Dieu, les automobilistes rouleront à tombeau ouvert et les hommes se déferont de la moralité. Peut-on cependant fonder le respect de la loi par la seule crainte ? La peur du châtiment est-elle le meilleur moyen d'inciter les hommes à vouer à la loi un respect authentique, et non seulement contraint et extérieur ? Faut-il même craindre la loi pour que celle-ci en sorte légitimée et renforcée ? On comprend tout l'enjeu du questionnement : la loi est-elle seulement une nécessité pratique pour la paix civile et une moralité au moins apparente et extérieure entre les h o m m e s ? Ou bien doit-elle être fondée par un vrai respect, qui suppose qu'elle remplisse certaines conditions ? [I.

Il est nécessaire que les hommes craignent la loi] Glaucon l'explique parfaitement à Thrasymaque et à Socrate au tout début du livre II de La République : un berger nommé Gygès déroba un jour, sur le cadavre d'un homme, un anneau d'or dont il apprit progressivement qu'il avait le pouvoir de le rendre invisible à ses congénères.

Doté de cette force nouvelle et inattendue, Gygès séduisit alors la reine, tua le roi, et s'empara du trône.

La morale de Glaucon est la suivante : « [...] nous ne trouverons aucun homme d'une trempe assez forte pour rester fidèle à la justice et résister à la tentation de s'emparer du bien d'autrui, alors qu'il pourrait impunément prendre au marché ce qu'il voudrait, entrer dans les maisons pour s'accoupler à qui lui plairait, tuer les uns, briser les fers des autres, en un mot être maître de tout faire, comme un dieu parmi les hommes ».

Autrement dit, personne n'est juste par choix, mais par contrainte, par la peur d e se faire prendre et d'être châtié (emprisonné, etc.).

La loi brise les envies profondes des hommes.

Et si elle ne suscitait pas en chacun ce sentiment de crainte, elle serait bien vite enfreinte. Mais pourquoi la nature humaine est-elle ainsi faite qu'elle a besoin d e ces limites, d e ces barrières sans lesquelles elle ne pourrait s'émanciper de l'animalité ? Hobbes nous aide à le comprendre.

Selon lui, l'homme est profondément calculateur et égoïste.

Il fait passer son propre intérêt avant celui des autres.

À l'état de nature (condition des hommes indépendamment de toute forme d'État politique), les hommes vivent ainsi en une guerre perpétuelle.

Chacun pousse son droit jusqu'aux limites d e sa force et de s a ruse mais, par contrecoup, chacun risque en permanence la mort violente.

Un rapide calcul d'intérêts amène alors les hommes à s'unir sous un pouvoir commun qui ait la charge de faire respecter les lois.

Or le sentiment que le souverain doit inspirer est la terreur (« awe »).

Car le moindre petit manquement à la loi commune risque de mettre en péril tout le pacte social : comment, en effet, renoncer à se défendre lorsque l'autre attaque ? La terreur est donc la condition du maintien le plus absolu de l'ordre et de la paix civile. Ainsi, il s'avère absolument nécessaire de craindre la loi pour que celle-ci puisse se maintenir et assurer la paix, au moins extérieure, entre les hommes. Cette première conception présente pourtant deux limites.

D'une part, il n'est pas certain que la nature humaine soit en elle-même incapable d'être vertueuse et, d'autre part, il est tout à fait douteux que la crainte permette de renforcer la loi.

La loi la moins susceptible d'être enfreinte n'est-elle pas en effet la loi légitime ? L'origine de la justice est une convention. Dans ce passage de La République, Glaucon, ami de Socrate prend la parole pour tenter de définir la justice.

Contre Thrasymaque qui vient de soutenir que la justice est naturelle et se confond avec la loi du plus fort, Glaucon pense, au contraire, que la justice résulte d'une convention. « Glaucon : - Ecoute ce que je me suis chargé d'exposer d'abord, c'est-à-dire quelle est la nature et l'origine de la justice. On dit que, suivant la nature, commettre l'injustice est un bien, la subir un mal, mais qu'il y a plus de mal à la subir que de bien à la commettre.

Aussi quand les hommes se font et subissent mutuellement des injustices et qu'ils en ressentent le plaisir ou le dommage, ceux qui ne peuvent éviter l'un et obtenir l'autre, jugent qu'il est utile de s'entendre les uns les autres pour ne plus commettre ni subir l'injustice.

De là prirent naissance les lois et les conventions des hommes entre eux, et les prescriptions de la loi furent appelées légalité et justice.

Telle est l'origine et l'essence de la justice.

Elle tient le milieu entre le plus grand bien, c'est-à-dire l'impunité dans l'injustice, et le plus grand mal, c'est-à-dire l'impuissance à se venger de l'injustice.

Placée entre ces deux extrêmes, la justice n'est pas aimée comme un bien, mais honorée à cause d e l'impuissance où l'on est d e commettre l'injustice.

Car celui qui peut la commettre et qui est véritablement homme se garderait bien de faire une convention aux fins de supprimer l'injustice ou commise ou subie : ce serait folie de sa part.

Voilà donc, Socrate, quelle est la nature de la justice, et l'origine qu'on lui donne.

» Platon, La République, livre 2, 358d/359b.

Traduction Chambry. Vaut-il mieux subir l'injustice que la commettre ? Pour Socrate, la justice est une valeur absolue.

Elle est pour lui le bien et la vertu par excellence.

Glaucon propose ici de définir la justice non comme une fin, mais comme un moyen.

Elle n'a donc qu'une valeur relative.

Il oppose la nature et la loi.

Par nature, l'injustice est préférable.

Par la loi, la justice est préférable.

Ce changement s'explique par le fait que les hommes ont fait un calcul.

Avant l'établissement de toute loi, le risque de subir l'injustice étant supérieur à l'occasion de pouvoir la commettre dans la majorité des cas, les hommes s'entendent entre eux et établissent une convention par laquelle ils se protègent de l'injustice subie et renoncent à l'injustice commise. La justice n'est donc pas naturelle.

Elle résulte d'une institution, d'un contrat.

C'est sur la loi qu'il faut s'appuyer pour la faire exister, et non sur la nature.. »

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