Faut-il brûler les musées ?
Publié le 19/10/2022
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«
Colle de Philosophie : « Faut-il brûler les musées
?»
Faut-il brûler les musées ? La question apparaît en premier lieu étonnante.
Étant donné que le
musée est un lieu édifié par l’homme et consacré à la culture, on ne penserait pas à le brûler au sens
de le détruire ou de le réduire en cendre.
On se demande s’il faut s’en séparer, il semble plutôt
préférable de les conserver parce que le musée est un lieu où sont conservés tout type d’objets (des
oeuvres d’arts, historiques, propres à une culture, à une époque…) et où ceux-ci sont exposés afin
d’être contemplés et observés par un public.
Le musée est ainsi le lieu de la mémoire, il entretient
un patrimoine qui est partagé et retranscris aux générations.
Brûler les musées consisterait en un
acte sacrilège, ce serait perdre cet accès à une culture diverse et vaste.
Aller au musée relève aussi
du simple plaisir qui se manifeste par la contemplation d’oeuvres reconnues ou atypiques : il
remplit une double fonction de loisir et d’éducation en permettant aux citoyens une instruction qui
passe par le plaisir de la découverte d’oeuvres qui, sans l’existence des musées, auraient été
inaccessibles.
Ainsi, faire disparaître les musées n’aurait à priori aucun sens.
Pourtant, cela ne va pas de soi.
Si les musées exposent des oeuvres diverses, cela implique que ce
qui n’est pas montré n’aurait pas d’intérêt, que ce qui est exclu n’aurait pas d’importance.
Ils
entretiendraient donc une conception unique de ce qui est beau, captivant, se rapprochant d’un
fanatisme des grandes oeuvres exposées conduisant en une sacralisation du bâtiment et des oeuvres
contenues, nuisant à l’instruction du public.
Les artefacts exposés restent inaccessibles et
intouchables car adorés comme des oeuvres divines (les tableaux sont enfermés dans des cadres, les
objets dans des cages en verre, il est interdit de s’en saisir…), transformant le musée en un temple
sacré, une prison pour oeuvres.
Qu’apprend-on en ce sens ? Où est la part de réflexion ? Servant de
lieu de mémoire, les musées accordent une grande importance au passé et aux traditions qu’ils
entretiennent, pouvant conduire le visiteur à fuir le présent.
Peut-on donc parler de véritable
éducation du citoyen ? On peut aussi se poser la question de la légitimité du musée à regrouper de
manière arbitraire toutes ces oeuvres dont les liens sont postulés, désacralisant ainsi le statut de
l’artiste dont l’oeuvre est noyée dans la masse.
Cette accumulation ne serait-elle pas un frein à la
contemplation ? On arrive alors au paradoxe suivant : alors que le musée devrait être un lieu de
plaisir et d’instruction, il enfermerait le public dans une opinion unique et ne permettrait pas de
rendre à l’oeuvre toute son essence.
Brûler les musées pourrait apparaître en acte libérateur et
purificateur, afin que l’oeuvre d’art et son artiste retrouvent leur valeur initiale et qu’une
contemplation véritable soit rendue possible.
Le sujet nous amène donc à questionner la légitimité accordée aux musées dans leur capacité à
instruire le public et à être un plaisir désirable.
On déclinera la réflexion sous trois raisonnements : Qu’est-ce qui fait que nous apprécions nous
rendre au musée ? Cependant, est-ce que le musée est réellement en capacité d’incarner toutes les
fonctions qu’on lui attribue ? Comment alors considérer les musées ?
Le musée apparaît en premier lieu comme l’espace du plaisir et de l’instruction, garantissant au
visiteur un placere autant qu’un docere.
Il nous paraît alors essentiel de les conserver.
Ce qu’on apprécie tout particulièrement avec le musée est le plaisir que permet la contemplation
d’oeuvres.
En effet, il donne accès aux créations de différents artistes, à différents types d'objets qui
s’offrent aux yeux du visiteur : on admire les oeuvres que l’on trouve belles et on apprécie la
découverte de nouvelles choses dont l’existence pouvait être insoupçonnée.
Le musée permet
l’accès à une culture, il apparaît ainsi en lieu d’instruction et de savoir, autant qu’en espace de
loisir.
Aristote, dans l’Étique à Nicomaque, précise bien que le bonheur réside dans la
contemplation, la plus haute activité qui permet à l’intellect d’atteindre la connaissance (qui permet
de jouir des plaisir les plus désirables), on peut ainsi affirmer que le musée est bénéfique en soi
puisqu’il permet cette contemplation si importante.
Elle est même nécessaire selon Schopenhauer
qui, dans le Monde comme volonté et comme représentation, affirme qu’elle permet à l’homme
d’échapper à sa triste existence.
Contempler est un plaisir désirable car sans désir préalable et ne
conduisant pas à la destruction de l’objet vu : on ne détruit pas l’oeuvre exposée par le musée en la
contemplant.
Il apparaît ainsi que le musée garantit à l’homme un plaisir purement intellectuel et
enrichissant son existence.
La contemplation des oeuvres met l’homme face à ce qu’il fait de plus impressionnant : le musée
montre ce qu’il y a de plus beau, de plus génial.
Le mot « musée » est lui-même dérivé des Muses
grecques, montrant donc le lien du lieu avec ce qu’il y a de plus divin, de plus incroyable, au point
de donner l’illusion de dépasser la possibilité humaine inhérente.
Le musée montre le génie humain
mis à profit et offert à la vue de tous, impressionnant ainsi le public.
Par exemple, la Collection
Morozov exposée à la Fondation Louis Vuitton à Paris donne accès à l’une des plus importante
collection du monde de l’art, regroupant des tableaux de grands artistes reconnus.
Ce qui plaît est
l’assemblage de toutes ces grandes oeuvres, cette association impressionnante de créations de
grands artistes considérés au rang de génie.
L’homme se voit représenté en ce qu’il est de plus
talentueux à travers ces créations : on voit l’homme dépasser ses limites humaines, d’où le plaisir
ressenti en allant au musée.
Dans Ion, Platon montre que l’artiste est inspiré pour créer mais que
l’état de transe qu’il atteint est transmis en quelque sorte au public qui contemple sa création, de
sorte à engendrer une « chaîne d’inspirés ».
Le public serait transporté par les oeuvres de ces
différents artistes en les regardant, il atteindrait par procuration cet état délirant.
Le musée rendrait
ainsi compte du génie des oeuvres d’art qui captivent les visiteurs.
Parce que les musées offrent au visiteur un plaisir par la contemplation et un accès à une culture,
il apparaît en ce sens nécessaire de les conserver.
S’en séparer, les brûler, reviendrait à faire
disparaître toute cette richesse culturelle, et notamment la mémoire des faits et créations passés.
Hannah Arendt, dans La Condition de l’Homme moderne, définit « le monde », composé d’oeuvres
crées des mains de l’homme, comme « la patrie non-mortelle d’êtres mortels ».
La capacité du
musée réside aussi dans sa possibilité à transcender l’humanité, à perpétuer « ce monde » qui, au
lieu de disparaître avec le temps, est transmis aux générations futures, afin de créer une
accumulation de souvenirs, de créations, perdurant après la mort.
En effet, le musée remplit
également une fonction mémorielle car celui-ci expose des oeuvres du passé, des artefacts qui ont
marqué l’humanité et qui transcendent le temps pour être offerte à la vue du public et permettre de
se souvenir.
Le Mémorial de la Shoah à Paris est un musée fondé sur cet enjeu mémoriel, il s’agit
de voir pour ne pas oublier l’extermination entreprise contre le peuple juif.
En ce sens, faire
disparaître le musée serait nier le passé, l’existence de musées mémoires permet de ne pas oublier
afin que les drames ne se reproduisent plus.
La perte des objets exposés sera problématique, on
n’aurait ainsi plus accès au savoir passé.
Dans Le Nom de la Rose d’Umberto Eco, l’incendie de la
bibliothèque par le moine Jorge est considéré comme une catastrophe pour Guillaume de
Baskerville qui cherche désespérément à récupérer les livres non-brûlés.
La perte de la bibliothèque
conduirait à perdre toute la culture disponible, tout le savoir transmis depuis des générations.
Ainsi,
on pourrait voir dans la destruction des musées un véritable drame pour l’humanité.
Le musée, c’est la mémoire, c’est l’instruction, c’est l’accès à un savoir et un plaisir est rendu
possible par la contemplation.
Pourtant l’instruction des visiteurs est-elle une possibilité réelle des
musées ? Il semblerait qu’ils contiendraient tout de même des limites qui pourraient nuire par
exemple à la véritable contemplation que devrait permettre un tel lieu, au point de la transformer en
une forme de sacralisation inconsciente et opprimant tout esprit critique.
Peut-on ainsi parler de
véritable instruction ?
Si le musée est un lieu de loisir et d’instruction, on peut tout de même souligner que le placere et
le docere attribués aux musées ne se réalisent pas toujours, remettant en cause l’utilité initiale du
lieu.
Si le musée instruit le visiteur, il ne donne pas accès à une connaissance de tous les sujets
possibles et inimaginables.
En effet, dans la mise en place d’une exposition, il y a une sélection des
oeuvres qui s’opère : on choisi celles que l’on offre à la contemplation ou non, délaissant ainsi tout
un ensemble d’oeuvres.
Au sein même des musées, il y a une tendance à privilégier les « beauxarts » qui exciteraient la pupille car unanimement considérés comme beaux ou porteurs d’intérêt.
Il
semble difficile de justifier l’inintérêt de créations dans le sens où chacune permet d’accéder à une
connaissance (elle renseigne sur l’histoire d’une population, d’un lieu…).
Ainsi, le musée offrirait
une connaissance tronquée du réel.
Aussi, cette admiration consacrée aux oeuvres de grands artistes
pourrait empêcher de développer l’esprit critique des visiteurs, remettant en cause le pouvoir
instructif des musées.
Les oeuvres exposées sont dites magnifiques et le public remet difficilement
en cause le génie des grandes créations, il ne fait que tenter de valider une opinion déjà dictée et
disparaît ainsi la liberté critique.
Il semble en effet difficile de remettre en cause le génie des
oeuvres de Léonard de Vinci, oeuvres qui ont traversé les âges et considérés comme le summum du
génie humain.
Dans son essai Entre Tiens, le sculpteur Giacometti invite à remettre en cause le
privilège accordé aux grands arts, en revalorisant un art considéré par une majorité comme moins
digne d'intérêt.
Il dénonce par exemple l’exposition perpétuelle d’un art grec omniprésent et trop
intellectualisé, s’éloignant ainsi du réel de l’expérience de chaque visiteur : ce qu’ils ressentent,
voient, expérimentent, pourraient mieux s’incarner dans d’autres oeuvres que celles les plus
valorisées par les musées.
Ainsi, les musées entretiendrait une conception trop intellectualisée de
l’art qui n’inviterait pas à une véritable instruction, mais conduisant plutôt à la fanatisation et à la
sacralisation des grandes oeuvres exposées sans véritablement les contempler.
Si les musées offrent aux visiteurs un savoir qui reste tronqué, il donne tout de même accès à une
multiplicité d’oeuvres.
Pourtant, ce regroupement de créations peut porter atteinte à la
contemplation, sensée être à l’origine de l’existence des musées.
En effet, alors que les oeuvres sont
multiples, il semble difficile de s’intéresser véritablement à chacune d’elle : des concessions sont
faites par le visiteur concernant les oeuvres envers lesquelles il s’arrêtera pour pouvoir les
contempler.
Et malgré cela, cette contemplation reste limitée.
L’artiste plasticien Vassarelli exprime
par exemple « Je veux en finir avec tout ce qui fait le musée : l’oeuvre unique et irremplaçable, le
pèlerinage, la contemplation passive du public ».
En effet, la visite du musée ne reste que de courte
durée (le trajet est contraint par un temps, un parcours, un horaire…) conduisant à une
« contemplation passive » : on ne s’attarde pas véritablement sur les oeuvres mais on ne fait que les
regarder et passer à la suivante, ce qui empêche de saisir l’entièreté de son essence et de son intérêt.
La comparaison au pèlerinage est intéressante : aller au musée relève plus d’un voyage, d’un trajet.
La contemplation n’est pas la fin du trajet mais bien le trajet lui-même : on ne s’arrête pas face à ce
qui est montré.
Aussi, l’association des oeuvres exposées reste artificiel, dans le sens où cela n’est
pas le reflet de la volonté initiale des créateurs : des oeuvres sont mises en relation avec d’autres
alors que le lien n’est pas....
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