Faire ce que l'on veut, est-ce faire ce qui plaît ?
Extrait du document
«
[Ce que je veux, c'est ce que la nature veut.
Si je suis
en accord avec moi-même, tout ce que je veux ne peut
que plaire.
J'agis en effet en me respectant, mais aussi
en me conformant à la vertu.]
Nul n'est méchant volontairement
Pour Socrate, la méchanceté découle de l'ignorance.
C'est dans le « Gorgias » de Platon que l'on trouve exposé le paradoxe socratique : « Nul n'est méchant
volontairement ».
Cette thèse surprenante de prime abord doit être reliée aux deux autres : « Commettre
l'injustice est pire que la subir » ; « Quand on est coupable il est pire de n'être pas puni que de l'être ».
L'injustice est un vice, une maladie de l'âme, c'est pourquoi, nul ne peut vraiment la vouloir (on ne peut
vouloir être malade), et la punition, qui est comparable à la médecine, est bénéfique à celui qui la subit.
L'attitude commune face à la justice est résumée par Polos dans « Gorgias » et Glaucon au livre 2 de la
« République ».
Les hommes souhaiteraient être tout-puissants et pouvoir commettre n'importe quelle
injustice pour satisfaire leurs désirs.
Il vaut donc mieux, selon eux, commettre l'injustice que la subir.
Cependant, comme subir l'injustice cause plus de dommage que la commettre de bien, les hommes se sont mis
d'accord pour faire des lois en vue de leur commune conservation.
Nous ne sommes donc justes, en vérité,
que par peur du châtiment.
Si nous pouvions être injustes en toute impunité, comme Gygès qui possède un
anneau le rendant invisible, nous agirions comme lui : nous ne reculerions devant aucune infamie pour nous
emparer du pouvoir, devenir tyran.
Bref, nous serions injustes pour satisfaire nos désirs.
Platon réfute inlassablement cette thèse, cette hypocrisie qui consiste à ne vouloir que l'apparence de la
justice, l'impunité, pour pouvoir accomplir n'importe quelle injustice.
Le nerf de l'argument consiste à montrer que, en réalité, « Commettre l'injustice est pire que la subir ».
C'est
par une ignorance du bien réel que les hommes souhaitent pouvoir être injustes.
Parce que nous confondons
le bien apparent (le plaisir, la satisfaction immédiate des désirs les plus déréglés) avec le bien réel, la santé de
l'âme.
Nous croyons vouloir commettre l'injustice, alors que c'est impossible, que « nul n'est méchant
volontairement », parce que nous voulons.
Etre injuste est faire son malheur en croyant se faire plaisir.
L'antagonisme entre le point de vue habituel et la position de Socrate est magnifiquement exposé par le
débat entre Calliclès et Socrate, dans le « Gorgias ».
Calliclès prétend : « Voici, si l'on veut vivre comme il
faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer .
» Socrate
pense, lui, que l'accès au bonheur, au Bien, « cela veut dire être raisonnable, se dominer, commander aux
plaisirs et aux passions qui résident en soi-même ».
Pour tenter de réfuter Calliclès, Socrate lui montrera que son idéal de mode de vie ressemble bien à une
« passoire ».
L'intempérance consiste à accumuler des plaisirs qui n'ont aucune consistance, à ne pas savoir
se mesurer, se satisfaire, mais au contraire à être habité par des désirs tels que pour les combler il faut
« s'infliger les plus dures peines ».
L'erreur fondamentale de Calliclès est de confondre l'agréable et le bon, de
confondre la démesure des désirs déréglés et irrationnels avec l'équilibre de la satisfaction véritable.
C'est que l'injustice est une maladie de l'âme, et plus précisément encore la subversion d'un ordre.
Le
magnifique mythe de l'attelage ailé dans le « Phèdre » décrit d'une façon imagée ce qu'est l'âme.
Elle est
comparée à un attelage composé d'un cocher et de deux chevaux.
L'un est blanc, docile, l'autre est noir, à
les oreilles poilues et se montre sourd aux injonctions du cocher ; il menace ainsi l'équilibre de l'attelage.
Il y a
donnc trois instance dans l'âme.
Le cocher figure la raison, qui a pour tâche de diriger.
Le « cheval blanc »
représente le siège de l'honneur, de la colère.
Le « cheval noir » symbolise l'âme concupiscible, siège des
désirs, et plus précisément des désirs liés au corps.
Or ces désirs ont pour caractéristiques d'être multiples,
tyranniques, de ne rien respecter (Platon anticipe dans certaines descriptions sur tous les cas cliniques
décrits par Freud).
Or, la justice consiste d'abord dans le respect de la hiérarchie naturelle des trois instances, qui doivent
s'ordonner sous la conduite de la raison.
Se dominer, être maître de soi, tenir en bride le « cheval noir », c'est
faire régner l'ordre.
L'injustice consiste au contraire dans la subversion de cet ordre, dans la prédominance
que l'on accorde à l'âme concupiscible.
C'est une maladie, une perversion, qui remet en cause la totalité de.
»
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