Est-on libre de ses opinions ?
Extrait du document
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Le problème de l'opinion est double : il renvoie à la fois au domaine politique et au domaine de la connaissance.
En effet,
l'opinion apparaît d'abord comme la pensée personnelle, qu'il nous est possible d'avoir et d'émettre au sujet de la vie
politique ou sociale.
En ce sens, avoir des opinions serait primordial pour l'exercice de la démocratie.
Toutefois, notre sujet
n'est pas « est-on libre d'avoir une opinion ? », mais bien « est-on libre de ses opinions ? »
Nous devons donc prêter attention à une formulation qui emploie le terme d'« opinion » au pluriel.
Les opinions
seraient alors ce qui s'impose au sujet comme l'expression d'un degré de connaissance minimal et irréfléchi : l'opinion.
La
question de la liberté n'est plus désormais celle de savoir si l'on peut, en matière de politique, nourrir des idées
personnelles, mais celle de savoir si, en matière de connaissance, l'on peut éviter l'illusion de l'opinion.
I – La liberté d'opinion
Dans un premier temps, notre sujet peut s'entendre en un sens politique.
Ce faisant nous insistons alors sur la
notion de liberté.
Être libre de ses opinions, c'est être libre de penser ce que l'on veut et libre de dire ce que l'on veut
(exprimer des critiques contre un gouvernement, par exemple) ou, du moins, ce que l'on pense.
La liberté comprise en ce
sens peut être dite, si l'on veut, liberté d'opinion ; elle permet de se dresser contre toute forme d'oppression politique.
En effet, si l'on considère que la perversion de la liberté politique passe par le régime dictatorial et le déni de la
démocratie, souvent synonymes de l'imposition d'une vision unilatérale des choses, la liberté d'opinion permet de
conserver, par-devers soi, le sentiment d'une pensée qui nous appartient.
Si dans la vie de tous les jours, je me soumets
au régime, je peux, en privé, nourrir des opinions miennes et contraires.
Cependant, cette lecture du sujet nous conduit à une vision très pauvre de la question ; elle nous contraint à
répondre que si je peux être de fait contraint à ne pas exprimer mon opinion, je suis toutefois libre de penser ce que je
veux en mon for intérieur.
Or, notre questionnement doit aller plus loin.
Pour cela, nous devons 1° fournir une analyse plus
poussée de la notion de liberté et 2° nous interroger sur le statut de l'opinion.
II – L'origine de l'opinion
Le terme d'opinion, dans notre sujet, se trouve au pluriel.
Nous devons donc distinguer notre libellé d'un autre :
« est-on libre d'avoir une opinion ? » Il ne s'agit donc plus d'opposer la liberté de penser ou la liberté d'expression à une
oppression de fait, mais de penser le rapport que nous entretenons avec nos opinions, notamment en se demandant d'où
celles-ci proviennent.
Le fait de parler d' « opinions », au pluriel, renvoie précisément à un ensemble de croyances, la plupart du temps
irréfléchies et subjectives.
En ce sens, l'opinion n'est pas formée, c'est-à-dire qu'elle n'est pas un jugement que nous
portons spontanément sur les choses.
Elle est plutôt reçue par l'éducation ou les habitudes sociales.
L'opinion s'impose
donc à nous plus que nous tentons de l'imposer aux autres.
Si l'on se demande : « est-on libre de ses opinions ? », c'est désormais au sens où l'opinion nous asservirait à un
ordre de choses qui ne relève pas de la connaissance authentique.
Selon Platon, la foule, émotive et désirante, est
soumise à l'opinion, tandis que la science se fonde sur la partie rationnelle de l'âme humaine.
En d'autres termes, l'opinion
évoque un mode de connaissance pathologique, c'est-à-dire qui ne relève pas de la détermination rationnelle de l'homme
par lui-même.
La question qui se pose est alors celle de savoir comment penser une libération de l'homme, libération qui le
délivrerait du joug des opinions.
III – Liberté et raison
L'opinion, nous l'avons dit, est reçue par la tradition, la coutume ou l'éducation.
Nourrir une opinion est donc le
contraire d'une activité libre, si l'on entend par-là une détermination par soi-même de sa faculté de penser.
Cependant, de
ce fait, l'opinion nous trompe et s'impose à nous avec la force d'une vérité qu'elle n'est pas.
Or, comment sortir de l'illusion
de l'opinion, de ce faux qui se donne pour vrai ?
Pour Platon, l'âme se divise en trois parties : la partie désirante, la partie irascible et la partie rationnelle.
La
première correspond à l'opinion, c'est-à-dire à cette apparence de savoir qui se trouve tiraillée en tous sens et prône des
idées contraires : la Cité a-t-elle besoin de main d'œuvre, les étrangers sont le bienvenu ; n'a-t-elle pas assez d'emplois,
les étrangers sont éconduits.
La seconde partie, dite irascible, est le soutien de la troisième partie, proprement rationnelle
et destinée à guider l'âme en son ensemble.
Ainsi, pour Platon, la sortie de l'opinion se fait par l'ordonnancement des facultés au sein de l'âme : la partie
rationnelle, aidée par la partie irascible, ordonne les désirs et les soumet à son gouvernement.
L'âme n'est donc plus mue par le bas, c'est-à-dire influencée par les désirs inconstants qui
l'asservissent, mais elle se tourne vers les Idées, seules source d'un savoir vrai et universel.
Par la contemplation, l'âme a donc quitté la caverne, où elle se contentait de subir l'influence
d'ombres projetées, pour se tourner vers la science et la libre connaissance.
Conclusion :
Ainsi, la question de savoir si l'on est libre de ses opinions ne doit pas nous conduire à
l'impasse d'une réflexion platement politique.
Il ne s'agit pas de savoir si l'on peut penser ce
que l'on veut, en dépit des conditions politiques ambiantes ; notre sujet n'interroge donc pas la
liberté de penser ou d'expression.
Sa formulation même nous a conduit au problème de savoir
quel recul il nous est possible de prendre par rapport à nos opinions.
Celles-ci sont en effet le
plus souvent transmises sans réflexion et adoptées telles qu'elles.
L'opinion, étant illusion et
asservissement, peut cependant être dépassée – on peut s'en libérer – par un usage
autonome de la raison, par un choix délibéré d'examen rationnel, qui correspond chez Platon à
la soumission à un principe rationnel présent au sein de l'âme.
En ce sens, nous ne sommes pas libres de nos opinions, ce
qui implique qu'il nous est possible de s'en libérer..
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