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Est-il possible de penser sans douter ?

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« La pensée peut s'entendre en un sens très large comme l'ensemble de l'activité de l'esprit.

A ce titre, elle peut englober un grand nombre de choses, puisque l'esprit contient les diverses facultés que sont l'entendement, la volonté, l'imagination.

C'est pourquoi Descartes considère pour sa part dans les Méditations métaphysiques, II, que « vouloir, juger, imaginer, sentir » (car c'est l'esprit qui perçoit via les sens), font partie de la pensée.

Dès lors pourquoi faudrait-il nécessairement douter pour penser ? On peut par exemple imaginer quelque chose sans avoir à douter de la réalité de cette chose, et puisque l'imagination appartient à l'esprit, ce sera une forme de pensée. Pourtant certaines des activités de l'esprit semblent perméables au doute.

Ainsi, lorsque je porte un jugement sur une situation, il est toujours possible que je me trompe, c'est-à-dire que je passe à côté de la vérité.

Or en un sens plus restreint, penser, qui vient du latin pensare, peser, c'est justement peser le pour et le contre, ou évaluer les raisons que l'on a de tenir quelque chose pour vrai.

Dans ce sens plus restreint, on peut effectivement se demander s'il est possible de penser, c'est-à-dire maintenant de donner son assentiment à la vérité ou à la fausseté d'un jugement, sans s'être préalablement interrogé sur les raisons que l'on a de le faire.

En effet, en l'absence d'une telle interrogation, on court le risque de tomber dans un dogmatisme qui affirme péremptoirement certaines choses sans preuves, et sans même accepter la confrontation des opinions dans une discussion ouverte. I.

Il est possible de penser sans douter, puisque certaines vérités certaines sont accessibles à l'homme. Si le doute devait toujours accompagner la pensée en train de se faire, ce serait le signe que l'on ne pourrait atteindre à aucune connaissance certaine.

En effet le doute et la certitude sont dans un rapport d'exclusion.

Celui qui doute n'est pas certain, et celui qui est certain ne doute pas.

Or on peut considérer qu'il y a au moins certaines vérités qui sont en elles-mêmes certaines, mêmes si d'autres ne le sont pas.

Leibniz considère même qu'il est dans l'essence de l'homme d'avoir accès à des vérités nécessaires et éternelles, qu'il appelle vérités d'entendement (pour les distinguer des vérités de fait, qui viennent des sens).

Ce sont par exemple les vérités de l'arithmétique et de la géométrie, qui sont innées en l'homme, et que l'on peut retrouver par démonstration.

Il est par exemple impossible de douter que 2 + 3 font 5.

Et l'on peut considérer qu'il en va de même pour des vérités plus complexes auxquelles on peut accéder en usant de la démonstration.

Dès lors, douter n'est pas du tout indispensable à la pensée, puisque le pensée peut être d'emblée certaine d'au moins certaines vérités. II.

L'expérience de l'erreur nous oblige à passer par le doute comme un moment de la pensée, si l'on veut véritablement accéder à une connaissance certaine. On peut se demander dans quelle mesure la thèse soutenue par Leibniz prend assez au sérieux l'expérience de l'erreur.

Lorsque l'erreur est découverte on peut se rendre compte que ce que l'on croyait certain est en réalité faux.

Dès lors comment se prémunir contre l'erreur, comment être sur que ce que l'on tient pour certain est toujours vrai ? Le doute méthodique tel que le met en place Descartes dans les Méditations métaphysiques, 1, répond à cette question.

Pour trouver une vérité certaine, il faut provisoirement faire comme si tout ce que l'on croyait été faux.

Descartes radicalise même ce doute méthodique en doute hyperbolique en utilisant la fiction du malin génie. Cette fiction consiste à imaginer qu'un malin génie nous trompe sur tout et que donc l'on ne peut être certain de rien, pas même que 2 + 3 = 5, puisque ce malin génie pourrait me faire croire que c'est le cas alors qu'il n'en est rien.

Or au terme de cette radicalisation du doute, Descartes formule cette première vérité inébranlable qu'est le cogito.

Cela consiste à dire que même si ce malin génie me trompe sur ce que je crois être, il ne peut me tromper sur mon existence elle-même car pour penser il faut bien être.

Douter de tout permet donc bien de trouver une première vérité certaine, qui pourra servir de critère pour évaluer les autres choses que je crois être vraies.

Le doute peut donc être nécessaire à la pensée à titre de moment fondateur dans la recherche de la vérité.

On doit donc dire que l'on ne peut pas penser véritablement sans avoir douté.

Mais cela ne signifie pas que penser implique d e toujours douter.

Une fois que l'on a atteint une vérité, on n'a plus besoin de douter (Descartes considère que Dieu étant bon, il ne peut pas vouloir faire que ce que j'ai vu une fois comme vrai se révèle faux). III.

La pensée ne se réduit pas à la recherche de la vérité.

Quand la pensée vise autre chose que la vérité, le doute, même à titre de moment, n'est pas indispensable. Nous avons raisonné jusqu'ici en partant du sens étroit de la pensée, comme évaluation des raisons que nous avons de croire ce que l'on croit.

Mais cette pensée n'est pas la seule possible.

Dans La pensée sauvage.

Lévi-Strauss oppose ce qu'il appelle la pensée sauvage à la pensée civilisée.

La pensée sauvage n'est pas la pensée des sauvages, mais la pensée en tant qu'elle n'est pas vouée à la recherche de la vérité, mais en tant qu'elle nous permet de nous situer dans le monde dans lequel nous vivons.

Cette pensée, Lévi-Strauss la conçoit sur le mode du bricolage.

Bricoler, c'est faire avec les moyens du bord (c'est par exemple utiliser un outil à la place d'un autre, une scie à métaux à la place d'une scie à bois, si l'on n'a pas cette dernière et que l'on doit scier une planche).

Or ce mode de pensée, que Lévi-strauss appelle aussi symbolique, s'occupe moins de chercher une vérité que de donner sens au monde, en établissant des correspondances.

Ainsi certains groupes d'hommes se penseront comme appartenant au clan « des saumons », ce qui n'est ni vrai ni faux, mais permet simplement d'organiser le monde dans lequel on vit en groupes.

Or cette manière d'organiser le monde nous aide à vivre.

La pensée sauvage ne vise donc pas la vérité, mais seulement une manière d'organiser le monde dans lequel nous vivons pour mieux nous y repérer.

Cette pensée ne visant pas la vérité, elle n'a pas besoin de s'appuyer sur le doute, même à titre de moment fondateur. Conclusion L'existence de certaines vérités certaines comme celles des mathématiques semble nous autoriser à penser en étant délivré de tout doute.

Mais ne pas faire l'expérience du doute, c'est courir le rire de tomber dans une attitude dogmatique, où l'on refuse de confronter son opinion avec celle des autres, qui peut être tout aussi valable que la mienne et même plus.

De plus, sans avoir fait l'expérience du doute, il semble impossible de s'assurer véritablement que ce que l'on tient pour certain ne se révèlera pas faux.

Pour la pensée qui recherche la vérité, il est donc important de pouvoir douter, même s'il n'est pas indispensable de le faire tout le temps.

Mais la pensée déborde la seule recherche de la vérité.

Penser c'est aussi simplement structurer le monde dans lequel on vit pour pouvoir s'y repérer.

Or cette pensée qui ne recherche par la vérité n'a pas besoin de faire l'expérience du doute.. »

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