Est-il légitime de revendiquer ses droits par la force ?
Extrait du document
«
Introduction
Une revendication est de l'ordre de la réclamation, de la demande.
Elle s'adresse aux autres.
Elle ne consiste pas en
l'affirmation de la force, en l'instauration brutale d'un état de fait mais vise au contraire à convaincre ou à persuader
publiquement du bien-fondé d'un droit.
Elle ne cherche pas à accomplir telle ou telle action ponctuelle et provisoire
mais à créer un espace de liberté durable, autorisé et protégé par la force commune.
L'horizon de la revendication
est donc toujours la reconnaissance sociale.
Revendiquer « ses » droits n'est pas seulement le fait de l'individu
devant l'État.
L'État lui-même, un peuple, une classe sociale peuvent s'efforcer d'obtenir l'accord de l'institution
juridique ou de l'opinion publique sur la légitimité de leurs revendications.
On nous demande si l'on peut légitimement faire valoir son bon droit par la force.
Autrement dit, peut-il être juste de
préférer à la logique de la revendication celle de la force pour obtenir ce qui nous est dû ? À quelles conditions eston en droit de renoncer à la revendication pour user de la force ?
1.
Légitimité du recours à la force pour faire valoir le droit
Le principe d'une organisation juridique consiste à offrir des moyens de résolution pacifique des conflits pouvant
survenir entre ses membres.
Ceux-ci ont accepté de renoncer, sauf en cas de légitime défense, à recourir à la force
dont l'exercice est ainsi monopolisé par l'État et ses institutions répressives.
II est donc exclu, dans le cadre d'un
système juridique, de pouvoir faire justice par soi-même.
Autrement dit, il n'est jamais légal de faire valoir ses droits
par la force.
A.
La justice contre le droit
On peut toutefois se demander à quelle(s) condition(s) il peut être légitime d'user de la force pour faire valoir ses
droits.
On peut s'appuyer sur une justice supérieure à celle du droit qui est institué, le
« droit positif », sur une justice idéale que les philosophes du XVIIe et xviiie siècles appellent le « droit naturel ».
La
croyance en l'existence d'un ordre de justice idéal, inscrit par exemple dans la nature humaine, rend superflue la
démarche qui consiste à obtenir de la société la reconnaissance du bien-fondé de cet ordre de justice.
Ainsi la conception contemporaine des droits de l'homme est souvent comprise comme l'énoncé de normes juridiques
universelles : tout régime politique ne s'y conformant pas serait illégitime et la résistance, par tous les moyens, à
son pouvoir est un droit, presque un devoir.
Il n'est donc pas nécessaire de passer par une phase revendicative
pour faire valoir ses droits auprès de l'opinion publique quand on est convaincu que ces droits sont justes par euxmêmes.
La force est toujours légitime quand elle s'exerce au nom d'une cause juste.
B.
La force fait droit
Mais on peut justifier d'une autre manière encore le recours à la force plutôt qu'à la revendication.
Sans aller jusqu'à
la justification théologique qui fait du plus fort l'élu de Dieu devant lequel il faut donc s'incliner, on peut voir dans
l'ordre établi par la force la condition d'un bien précieux : la paix civile.
Car la force du prince offre l'avantage
d'établir et de garantir l'ordre.
Dans cette perspective, les revendications du peuple représentent toujours un mal.
En effet, revendiquer la justice, c'est toujours compromettre l'ordre en place : soit parce qu'en le discutant, on
engage un débat interminable qui ne manquera pas de virer à la dispute puisque les opinions sur la justice ne
peuvent jamais toutes s'accorder entre elles ; soit parce qu'en réclamant du droit existant qu'il réponde à nos
attentes, on refuse de se soumettre à un état de fait, attitude contestataire qui peut se retourner contre
l'institution judiciaire elle-même si la justice qu'elle rend ne donne pas satisfaction.
Les revendications conduisent
inévitablement aux troubles et affaiblissent donc toujours, à terme, le pouvoir en place.
La seule paix civile solide
serait donc, dans cette perspective, celle établie par la force, une force qui n'admettrait pas d'être contestée.
Pourtant, si le plus fort a toujours politiquement raison, le peuple ne peut-il pas espérer être le plus fort en
renversant son prince ? Les sujets ne peuvent-ils pas légitimement se révolter quand bon leur semble ? L'individu
raisonnable sait qu'il n'a aucun intérêt à entrer en conflit avec plus fort que lui.
Un peuple a raison d'obéir à un tyran
tant que les conditions de son renversement ne sont pas réunies.
Engager un rapport de forces n'a de sens qu'à la
condition d'estimer qu'il est en notre faveur.
C.
Le droit n'est qu'un rapport de forces
Soutenir que l'ordre fondé sur la force est à respecter en tant qu'il garantit la paix civile revient à justifier la force
par les effets pacificateurs de la loi du plus fort.
Mais n'est-il pas vain de vouloir justifier la force ? Si la justice n'est
qu'un mot, recouvrant en réalité la volonté du plus fort, alors le pouvoir politique n'est jamais légitime : l'État, le
droit ne sont que des instances contraignantes et la société n'est que rapports de forces.
Si une classe sociale
s'empare du pouvoir politique et façonne la société selon ses intérêts, il n'y a là en effet nulle justice mais
seulement acte de domination qui durera tant qu'une autre classe, devenue plus puissante, n'aura pas renversé la
première.
La mystification de l'institution juridique serait de faire passer, auprès du peuple, la volonté des dominants
pour l'expression du droit, d'un ordre de justice.
La lucidité politique consisterait au contraire à appréhender la vie
sociale telle qu'elle est, à savoir comme un lieu de conflits et de luttes pour le pouvoir.
Dans cette perspective, la
revendication est légitime mais seulement à titre de première étape d'une stratégie de conquête du pouvoir.
À elle
seule, la revendication ne peut pas convaincre l'adversaire ; elle ne peut espérer que rassembler suffisamment
d'alliés pour engager dans les meilleures conditions un processus proprement révolutionnaire..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Faut-il revendiquer des droits à la passion ?
- Est-il légitime de recourir a la violence pour défendre ses droits ?
- Revendiquer ses droits est-ce la même chose que défendre ses intérêts?
- Peut-on revendiquer ses droits sans consentir à ses devoirs ?
- Analyse Texte 1 Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges ( 1791)