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Est-ce etre libre que de se soumettre au jugement d'autrui ?

Extrait du document

« Au premier abord, se soumettre au jugement d'autrui semble contrarier sa liberté.

En effet, se soumettre n'est-ce, de fait, abdiquer sa liberté ? Toutefois, cette première approche ne distingue pas une soumission passive d'une autre active et rationnelle.

Cette distinction peut vous aider à problématiser le sujet dans la mesure où la soumission au jugement d'autrui est un acte de liberté seulement s'il est motivé par une décision rationnelle et libre.

Si l'autre a raison et que c'est moi qui me trompe, admettre son erreur et se soumettre au jugement valide est un acte libre.

Mais il s'agit de penser avec l'autre et non se laisser penser par lui.

Dans ce cas, c'est moins à l'autre que je me soumets, qu'à la vérité.

Le dialogue semble donc ici l'horizon commun de la vérité. 1° La soumission au jugement d'autrui comme aliénation de ma liberté. Pour Sartre autrui et son jugement est le fondement constitutif de la relation à autrui.

Chaque conscience est une liberté qui rêve d'être absolue et de transformer en chose passive la liberté d'autrui.

Peu importe qu'autrui m'aime, me haïsse ou soit indifférent à mon égard : son simple surgissement est violence.

Sartre illustre ce conflit, dans « L'Etre & le Néant », à travers l'expérience du regard. La notion de regard ne doit pas être comprise en un sens empirique, comme une propriété d'un être apparaissant dans le monde, comme une faculté des yeux.

L'appréhension du regard se produit toujours sur fond d'une disparition des yeux : je ne peux à la fois voir les yeux de l'autre et voir qu'il me regarde.

Dès l'instant où on me regarde, il m'est impossible d'adosser ce regard sur un être du monde, de le saisir à sa source ; et, si je me retourne pour tenter de l'affronter, je me fais regard à mon tour et retombe alors sur une face d'où tout regard est absent.

L'expérience du regard n'est qu'expérience de mon être-regardé.

Il suit de là que si, le plus souvent elle est associée à une forme empirique, qualifiée comme face, elle peut procéder d'un tout autre événement.

Lorsque je rampe dans les fourrés afin de ne pas être « repéré », et que soudain s'allume une maison sur le coteau, je me sens objectivité et cette lueur est alors un regard.

Lorsque, par jalousie, j'épie ce qui se passe derrière une porte, le bruit des pas dans le couloir est bien un regard.

Celui-ci ne désigne donc en aucun cas un événement empirique, mais la modalité même du surgissement d'autrui comme sujet. La honte est bien une certaine conscience, où je me découvre moi-même : elle est toujours honte de soi ; mais elle est structurellement honte de soi devant autrui : j'y suis révélé à moi-même comme ce que je suis à ses yeux, je m'y aperçois comme m'échappant vers autrui. Reprenons l'exemple de la situation de jalousie.

On peut la décrire en termes d'intentionnalité : les événements objectifs « provoquant » ma jalousie ne sauraient être distingués de la conscience jalouse que j'en prends, c'est au contraire par cette jalousie même que je les fais exister.

Mais, dans cette mesure, je n'ai pas connaissance de cette jalousie : je ne me sais pas jaloux, je suis au monde sur le mode de la jalousie, et celle-ci ne se distingue donc pas de l'action d'écouter à la porte.

En tant qu'elle est pure ouverture au monde, la conscience ne possède aucune consistance propre, rien ne vient s'interposer en elle, la séparer d'elle-même.

La conscience peut être définie comme rapport immédiat à soi, comme conscience irréfléchie.

Elle est par conséquent impersonnelle : elle n'est même pas mienne, ne jouit pas de la consistance lui permettant de s'éprouver comme « moi ». Lorsque je cours après le bus il n'y a aucun moi dans cette conscience, mais seulement « le bus-devant-être-rejoint ».

Ainsi, pure extériorité à soi, la conscience irréfléchie est sans intimité, sans habitant ; elle a l'impersonnalité du monde vers lequel elle ouvre. L'apparition d'autrui, qui se marque ici par le bruit des pas, correspond à une transformation radicale de la conscience irréfléchie : un moi surgit au sein de celleci.

Toutefois, contrairement à ce qui advient dans la réflexion, ce moi ne m'est pas connu : j'en fais certes l'expérience, mais comme d'une réalité qui m'échappe.

Je ne peux passer de l'autre côté du spectacle, afin d'en prendre possession ; ce moi se donne précisément comme ce qui n'est que pour autrui, comme fuite de ma substance vers lui, et j'en suis donc séparé par toute la liberté d'autrui.

Ce moi surgissant au sein de la conscience irréfléchie est de l'ordre du non-révélé : il demeure totalement indéterminé quant à ce qu'il est, et cette indétermination est portée par le regard d'autrui.

Il ne faut cependant pas oublier la seconde dimension de la honte, et concevoir ce moi comme une image dans l'esprit d'autrui, une représentation qui ne me concernerait pas.

La honte que j'éprouve lorsque s'entend les pas est reconnaissance de ce moi qu'autrui me fait être, ici d'un moi jaloux. L'apparition d'autrui ne doit pas seulement être décrite au plan de la conscience : elle affecte le monde lui-même.

La conscience irréfléchie est conscience positionnelle du monde ; dès lors que rien ne vient s'interposer en elle, elle peut s'ouvrir à l'en-soi.

Cependant, dans l'attitude irréfléchie, conscience et monde forment encore une sphère close, entretiennent une relation de pure corrélation : le monde est rigoureusement ce dont j'ai conscience, cad qu'il n'est que ma possibilité.

L'apparition d'autrui introduit un écart entre la conscience et le monde, brise cette sphère close, car le monde se donne alors comme sa possibilité, comme ce qui m'échappe. « Je suis dans un jardin public, non loin de moi, voici une pelouse, et le long de cette pelouse, des chaises...

» Situation paisible, tout n'est que calme et volupté.

« Un homme passe près des chaises.

Je vois cet homme ».

Fini la quiétude ! Pourquoi ? Parce que je ne le perçois pas seulement comme un objet, mais aussi comme un homme.

Du coup, une spatialité se déplie qui n'est pas ma spatialité, un autre centre du monde apparaît, un autre sens.

Je ne suis plus sujet absolu.

Cette décentration du monde fait de moi un sujet glissant, en voie de désintégration.

Autrui tend à me « voler le monde ». Si autrui n'existait que sur le mode d' « être-vu-par-moi », je pourrais contenir cette désintégration par un effort de recentrage perpétuel, en m'efforçant de le saisir seulement comme objet, en le réintégrant dans ma propre vision du monde.

Mais autrui me voit.

J'existe sur le mode « d'être-vu-par-autrui ». Imaginons que j'en sois venu...

à coller mon oreille contre une porte, à regarder par le trou d'une serrure.

Je suis seul...

Mon attitude n'a aucun « dehors ».

Ce qui signifie que je suis « englué » dans le monde, un peu comme l'encre est bue par un buvard.

Mais je suis aussi liberté pure.

Rien d'extérieur à moi-même ne me contraint à regarder par le trou de la serrure, rien d'extérieur parce que je suis précisément ce rien même. Or voici que j'ai entendu des pas dans le corridor : on me regarde. Le regard d'autrui me saisit et me fige.

J'étais liberté pure, conscience allégée de tout image, me voici devenu quelqu'un, un objet du regard.

Je me vois parce qu'on me voit : mon « moi » fait irruption.

En même temps, j'en viens à exister sur le même plan que les objets.

Je suis l'objet d'un regard, objet pour autrui. J'ai un « dehors », une apparence externe, j'ai une nature qui ne m'appartient pas.

Je suis engagé dans un autre être.

Plus jamais je ne pourrai échapper à l'image qu'autrui me tend de moi-même.

Autrement dit, j'existe sur le mode d' « être-pour-autrui ».

« Autrui, c'est ma chute originelle ».

Tout se passe, en effet, comme si autrui me faisait choir, m'écrouler au milieu des choses.

Il fait de moi une quasi-essence.

Scandale ! Car pour Sartre, l'homme est celui qui échappe à toute essence.

Face à autrui, je ne peux plus qu'être « projet de récupération de mon être ».

Si autrui me regarde, je le regarde aussi.

S'il tend à me chosifier, j'en fais de même.

Tout est combat, même l'amour, la caresse.

Tout n'est que ruse ou calcul pour échapper à l'emprise d'autrui.

(cf.

texte). Sartre reconnaît toutefois qu'autrui est un « médiateur indispensable entre moi et moi-même ».

Sans autrui, je serais subjectivité pure, libre spontanéité, mais mon être et ma liberté s'identifieraient au néant.

Autrui me fait passer d'une « conscience non positionnelle de soi » àune conscience réflexive.

Sans autrui, l'ignorerais des structures essentielles de mon être et ne pourrais me connaître.

« Je suis un être pour-soi, qui n'est pour-soi que par un autre.

». »

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