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En quel sens peut-on dire avec Bergson : nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité.

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« « Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l'oeuvre et l'artiste. En vain on alléguera que nous cédons alors à l'influence toute-puissante de notre caractère.

Notre caractère, c'est encore nous ; et parce qu'on s'est plu à scinder la personne en deux parties pour considérer tour à tour, par un effort d'abstraction, le moi qui sent ou pense et le moi qui agit, il y aurait quelque puérilité à conclure que l'un des deux moi pèse sur l'autre.

Le même reproche s'adressera à ceux qui demandent si nous sommes libres de modifier notre caractère.

Certes, notre caractère se modifie insensiblement tous les jours, et notre liberté en souffrirait, si ces acquisitions nouvelles venaient se greffer sur notre moi et non pas se fondre sur lui.

Mais dès que cette fusion aura lieu, on devra dire que le changement survenu dans notre caractère est bien nôtre et que nous nous le sommes approprié.

En un mot, si l'on convient d'appeler libre tout acte qui émane du moi, et du moi seulement, l'acte qui porte la marque de notre personne est véritablement libre, car notre moi seul en revendique la paternité.» BERGSON. [Introduction] La liberté est certainement l'un des concepts sur lesquels les philosophes ont élaboré le plus grand nombre de thèses, car le terme évoque des domaines différents (liberté individuelle, politique, morale, métaphysique), dans lesquels des interprétations multiples ont pu être proposées.

Dans ce texte, Bergson propose une approche qui pourrait être, en un sens, la plus simple : il y a liberté lorsqu'il y a, dans le comportement, expression de la personnalité entière d'un sujet. [I – La liberté comme expression de la personnalité] Cette définition est affirmée au début du texte, et elle est précisée par le biais d'une comparaison comme les affectionne Bergson : évocation dont il n'est pas certain qu'elle clarifie les choses, mais qui donne au concept un certain tremblé et une résonance particulière. Considérer en effet que nos actes sont libres lorsqu'ils ont avec notre personnalité « cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l'oeuvre et l'artiste », c'est signaler l'existence d'un phénomène en lui-même bien énigmatique, dès lors que la ressemblance est qualifiée d'indéfinissable ! Ce caractère indéfinissable n'est pas cependant un défaut : il correspond au contraire à ce qu'il peut y avoir de mystérieux en effet dans le sentiment que nous avons de notre propre liberté.

Sentiment qui en lui-même est toujours imprécis, diffus, et qui ne peut aboutir qu'à un repérage dont la conceptualité n'est pas la qualité principale : que signifient exactement des actes « émanant » de la personnalité ou l'" exprimant » ? Comment la personnalité est-elle ainsi « traduite » en acte ? On a du mal à le savoir. Mais de telles remarques feraient le jeu de Bergson lui-même, qui se garde bien ici, à propos de la liberté, de céder à la rigueur conceptuelle, et qui indique même que c'est précisément lorsqu'on pratique des distinctions conceptuelles trop raffinées que l'on se condamne à ne plus rien comprendre de la nature vécue de la liberté. [II - Réponses à deux objections] Une analyse du repérage proposé par Bergson pourrait en effet souligner que, si la personnalité colore l'acte, c'est bien que ce dernier est alors déterminé par ce qui est nommé « caractère ». La réplique à une telle objection est simple : la distinction entre un moi qui agit et un moi qui sent ou qui pense n'est qu'un artifice de présentation, résultant d'une analyse nous éloignant par définition de ce qui a lieu dans l'existence.

Admettre que le moi qui pense (le caractère) aurait ainsi le pouvoir de « peser » sur le moi qui agit est une illusion « puérile » en fait les «deux moi » n'en font qu'un, c'est leur mélange qui compose ce que Bergson nomme « personnalité », à l'intérieur de laquelle le caractère se trouve intégré de telle façon qu'il ne risque pas de s'en extraire pour exercer la moindre « pesée » sur un aspect différent du moi.

Il y a ainsi va-et-vient constant entre la pensée et l'action, on ne peut isoler sérieusement l'une de l'autre, ni concevoir que l'une soit « cause » de l'autre. C'est encore une puérilité de penser que les modifications de notre caractère nous seraient étrangères, venant ainsi contester la possibilité même de notre liberté dès lors que nous n'obéirions qu'à des déterminations extérieures.

Bergson admet évidemment que le caractère subit quotidiennement des modifications, mais il souligne que celles-ci ne viennent pas se greffer, comme des corps hétérogènes, sur le moi : elles sont destinées à fusionner avec lui.

Dès que cette fusion est effectuée, ces modifications deviennent donc miennes, au même titre que ce qui me caractérisait antérieurement à leur apparition : elles constituent désormais des aspects du moi qu'il n'y a plus lieu de distinguer d'un moi antérieur, puisque la nature de celui-ci consiste à s'enrichir et à se transformer en permanence (on peut opérer un rapprochement avec des conceptions de Sartre, qui affirmera de son côté que c'est bien moi qui donne sens aux événements qui surviennent et les intériorise dans un pour-soi par définition ouvert). C'est sur ce point que l'on doit comprendre que le caractère, loin d'être fixe et défini une fois pour toutes, doit au contraire être pensé comme mouvant par essence, puisqu'existant dans une durée, un vécu, qui sont synonymes d'innovation constante du point de vue de Bergson. [III — Liberté psychologique et liberté morale] Faisant allusion à ce qu'il nomme « personnalité » ou « moi », Bergson semble souligner la dimension d'abord psychique de la liberté. Mais on peut ajouter que la personnalité ou le moi incluent aussi des valeurs morales. Dès lors, il devient concevable que l'acte libre soit bien 1«< émanation » d'une personnalité dotée de valeurs.

L'action dans laquelle il s'incarne n'est pas seulement pragmatique, elle peut aussi être pratique (au sens kantien), c'est-à-dire morale. Le problème qui peut alors se poser concerne bien entendu le mode d'inscription de ces valeurs morales dans le moi : de quelle source proviennent-elles ? D'après ce que dit le texte sur l'intériorisation progressive des modifications du moi, on peut être tenté d'admettre que la source des valeurs n'est pas l'autonomie, puisque les valeurs elles-mêmes résulteraient d'un processus d'intériorisation — ce qui suppose qu'elles sont d'abord proposées par l'extérieur. [Conclusion] Texte qui ne manque pas d'intérêt pour la défense d'une liberté du sujet compatible avec ses transformations.

Toutefois, si l'on s'intéresse à la portée morale de la liberté, on constate que Bergson, ici, laisse penser que la part d'hétéronomie peut être dominante. Dans ce cas, il existerait une difficulté pour articuler ensemble liberté psychologique et liberté morale.. »

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