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d'où vient la difficulté de nous faire comprendre ?

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« INTRODUCTION.

— Le pouvoir de s'exprimer à son gré et de se faire comprendre de ses semblables est une marque de la supériorité de l'homme sur les animaux.

Sans doute, des réflexes instinctifs traduisent des sentiments tels que le bien-être, la souffrance ou la colère; mais, très vite, l'enfant se rend compte que ses réactions sont interprétées par son entourage, que ses cris engageront ses parents à lui donner sa nourriture.

Le signe matériel est devenu intentionnel, et l'individu possède les moyens de communiquer volontairement avec autrui.

Le langage est constitué et la raison lui fournit un pouvoir d'invention infiniment varié. Or, plus s'approfondit en nous la vie de la conscience et plus nous éprouvons de la difficulté à nous faire comprendre.

Nos moyens se multiplient et se perfectionnent, gestes, paroles, attitudes du corps, mimique du visage, sans oublier les ressources de l'écriture et les techniques de tous les arts.

Mais plus nous voulons livrer urne idée précise, un sentiment profond, et moins nous réussissons.

Pourquoi ? Nous répondrons par les termes mêmes dans lesquels la question se pose, mais en leur donnant tout leur sens : «D'où vient la difficulté de nous faire comprendre ? » «Elle vient de ce qu'il s'agit non pas tellement de dire quelque chose, que de nous faire comprendre nous-mêmes ».

C ar « me faire comprendre », c'est livrer ce qui est dans ma pensée ou dans mon coeur, de telle sorte que mon interlocuteur interprète exactement les termes dans lesquels je m'exprime. Nous considérerons cette triple source de difficultés.

Elle tient à la fois à celui qui s'exprime, aux moyens qu'il utilise à cette fin, et à la personne qui accueille sa confidence. A.

De celui qui s'exprime.

— Avant de chercher comment m'adapter à la pensée d'autrui, je dois me comprendre moi-même.

Nous rencontrons déjà un écueil dangereux : celui de l'introspection et du dédoublement.

Il n'y a pas en moi deux êtres, un observateur, ou un peintre, et un spectacle, ou un modèle.

Il faut pourtant que je juge le sentiment que je veux exprimer ou l'idée que je soutiendrai.

Or, avant d'avoir fait en moi cette lumière, il y aura plus de peine que ne le laisserait soupçonner le vers de BOILEAU : Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement... Des éléments fort complexes tissent en moi les domaines du conscient et de l'inconscient ! Il m'est très difficile de m'exprimer à moi-même ce que je sens et surtout de détacher, dans le « courant de conscience », les éléments qui constituent une unité réfractaire à tout « morcelage ».

Le mieux serait, sans doute, de renoncer à cette analyse, et de pratiquer l'intuition dont BERGSON nous dit qu'eue seule est capable de nous faire atteindre la « durée » du moi.

Même alors, est-il sûr que nous nous « comprendrions » ? Certes, nous nous sentirions.

Mais pour comprendre il faut un certain recul, et celui-ci n'est pas facile à doser. Il y a plus.

Se comprendre ajoute aux exigences de toute science, celle du jugement psychologique et moral.

C omprendre pourquoi un moteur effectue tel travail est relativement facile si je suis versé dans la mécanique.

Mais comprendre tel problème de vie, ou le sens exact qu'un spectacle prend aux yeux d'un artiste, voilà une tâche beaucoup plus délicate.

Et cependant, plus une idée ou un sentiment me tiennent à coeur, plus je suis désireux de les saisir moi-même et de les exprimer à autrui. B.

Des moyens d'expressions.

— Il faut donner un décalque fidèle de la réalité profonde qui constitue ma conscience. Impossible, sans cela, de franchir la dis lance qui me sépare de mes semblables et de leur révéler ce qui leur resterait inéluctablement caché.

Cette expression, cette traduction (en donnant à ce mot son sens étymologique), s'opère grâce aux signes en quoi consiste le langage, ou plutôt les langages, car les arts tendent tous à quelque expression. Le poète, le peintre, le musicien, veulent livrer l'inspiration que le génie leur communique.

Tout langage se compose d'un ensemble de signes.

C 'est dire qu'il y a une chose signifiée.

Le signe, par nature, est donc plus pauvre qu'elle.

Il a le pouvoir de désigner plusieurs êtres (le mot « A rbre » s'applique à tous les arbres); on dit qu'il a une grande extension. Mais celle-ci est en raison inverse de la compréhension (l'idée d'arbre est d'autant moins riche que le terme s'applique à plus d'objets).

Or, nous cherchons à suggérer une compréhension toujours plus grande de nos pensées ou de nos sentiments.

Il n'y a point là un simple jeu de mots avec le verbe comprendre. Les mots sont abstraits, et je veux communiquer une expérience concrète.

Il ne s'agit pas tellement d'énoncer quelque fait affranchi de tout lien avec la subjectivité.

Il n'y a certes pas grande difficulté à dire que « le Président Truman vient d'être réélu » ou que « la rue de l'Université se trouve être la deuxième à gauche en descendant le boulevard ».

Mais, pour livrer l'impression exacte que l'événement américain produit dans mon imagination politique, ou le souvenir qu'évoque le mot d'Université à un futur candidat, la tâche devient beaucoup plus compliquée. Je dois permettre à mon interlocuteur de retrouver l'intuition dont je suis parti.

A l'aide de termes abstraits ou d'images diversement combinées, je tenterai de reconstituer un état d'âme, ou du moins une idée intimement associée à mon affectivité.

Supposons même que je puisse me natter d'avoir trouvé l'expression adéquate de ma conviction la plus ferme, de ma pensée la plus précise, je dois encore compter avec celui qui m'écoute ou me lit. C.

De celui à qui on s'adresse.

— Car, le bel avantage de m'être exprimé le plus objectivement possible si mon auditeur ne donne pas aux mots le sens que je leur attribue ! Je n'ai parcouru que la moitié de la distance entre lui et moi, et la seconde partie du chemin renferme encore plus de périls.

D'où vient qu'on ne « me comprend pas », ou qu'on me comprenne mal, ou pas assez ? Saris doute le langage est-il d'institution sociale et s'impose-t-il à tous.

Pourtant bien des auteur», tout particulièrement en philosophie, se sentent obligés de forger leur vocabulaire.

Mon interlocuteur doit retrouver dans mes mots l'intuition dont je suis parti.

Mais si les mots n'ont pas de part et d'autre la même valeur, la même charge affective, mon ami pourra comprendre « matériellement » ce que je veux lui dire (que je suis triste et non pas gai; que je le félicite et non que je le blâme); mais il ne saisira pas la « forme » exacte de cette douleur ou le sens précis de mes compliments. A vrai dire, il y a plus ici qu'une question de langage.

Il s'agit de savoir si la communication véritable est possible entre des personnes, les métaphysiciens diraient entre des « substances » ou des « monades ».

Celles-ci sont-elles isolées ? Ou constituent-elles seulement des « modalités» d'une substance unique ? LEIBNIZ, SPINOZA, reprennent l'antique antinomie parménidienne de l'Un et du Multiple.

A nous en tenir au seul domaine psychologique, nous avons fait souvent l'expérience de cette impossibilité de nous faire vraiment comprendre.

Autrui ne saurait coïncider avec moi ! Plus je veux me rapprocher de lui pour pénétrer son âme, et davantage s'accuse l'irréductibilité de sa personnalité. Faut-il, pour autant, se désespérer et rester fermé sur soi-même ? Le résultat serait doublement désastreux.

Moralement d'abord.

Car si autrui demeure finalement impénétrable; si, pareillement, je ne puis me réduire à l'état d'un « connu » totalement élucidé, c'est qu'il y a dans la personne humaine une richesse capable de provoquer le respect et l'amour.

Un objet, une chose, n'ont guère plus d'intérêt quand ils sont devenus « connus ».

La personne, elle, n'épuise jamais notre attente. Sur le plan psychologique la même remarque s'impose.

Ne pas chercher à me faire comprendre serait le plus sûr moyen d'amoindrir cette intériorité que je prétends sauver.

Les difficultés rencontrées doivent, au contraire, me stimuler.

En m'efforçant de les surmonter, je formerai en moi l'artiste ou tout au moins l'artisan qui remédiera par son «style» à la pauvreté des moyens dont il dispose.

L'orateur parvient par la magie de son verbe à subjuguer les auditoires; le peintre, par les couleurs de sa palette, livre i son état d'âme.

La difficulté de nous faire comprendre suscite l'art capable de nous élever au-dessus de la banalité.. »

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