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Doit-on mépriser l'argent ?

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« Le roi Midas, avare de son argent et soucieux d'en acquérir toujours davantage, demanda à Dionysos de réaliser son souhait : il dû comprendre bien rapidement que son entreprise était vaine, puisqu'il fut condamné à s'abstenir de manger et de boire, tout ce qu'il touchait se transformant en or. De ce fait, l'argent semble un bien misérable pour celui qui identifie chez autrui sa seule volonté de le posséder dans la seule joie de la possession.

Pour autant, le mépris de l'argent est-il synonyme de sa dépréciation, de la possibilité de nier son existence, ou encore de son déplacement vers une sphère secondaire de l'existence ? Au nom de quel principe ce mépris pourrait-il être justifié ? Pour répondre à de telles interrogations, les sphère de l'éthique et de l'économique se doivent d'être examinées simultanément : car l'argent n'est pas qu'une fin, il constitue surtout un moyen d'échanges et de sociabilité. Mépriser l'argent comme fin Institue des rapports hiérarchisés : si dans l'état de Nature les êtres vivent dans une égalité de fait, cette dernière s'évanouit dès lors que la propriété est instaurée : le premier qui a pu dire « ceci est à moi » et ainsi en tirer une valeur monétaire – et non plus par l'échange, le troc, introduit l'inégalité dans les rapports sociaux.

L'argent, dans l'état civilisé, représente la possibilité de dominer son prochain par sa force économique, ainsi instaure-t-il un obstacle entre les hommes.

Pour cela, il doit être méprisé, au sens d'ignorer si nous souhaitons établir des rapports transparents entre les hommes. Dénigre la valeur de la personne à son profit : à penser à présent l'interrogation dans un contexte de société capitaliste tel que décrit par Marx, l'argent constitue ce qui prend le pas sur la valeur de la personne : car en considérant l'homme uniquement comme une force de travail qui peut lui rapporter des profits, le patron transforme la personne en un rapport de chiffres, de gains.

Ainsi, le travail, générateur de profit, n'est plus qu'un moyen pour gagner de l'argent avant de constituer un moteur de développement tant pour la personne que pour les échanges non économiques entre les hommes.

Aussi nous est-il nécessaire de déprécier la place de l'argent afin de ne pas sombrer dans un système économique qui exploiterait l'individu, le recuisant à un moyen et non à une fin. Créateur de « faux besoins » : ici intervient la critique de la sagesse antique envers les besoins vains, artificiels.

Car l'argent en tant que moyen pour obtenir ce qui est nécessaire à notre survie ne peut-être méprisé, c'est son usage forcé pour nous diriger vers des besoins inventés qui peut-être, en revanche, méprisable.

La multiplication des biens ne constitue pas une voie d'accès vers le bonheur, cela est particulièrement visible dans la partition des besoins chez Epicure.

Or, le rapport des sociétés occidentales à l'argent est devenu synonyme d'accès à la possession pour un accès au bonheur.

Jouant sur l'avoir, et non sur l'être, ce type de fonctionnement instaure un rapport de renouvellement des besoins sans fin, qui peut virer à l'aliénation : ainsi l'argent doit être méprisé puisqu'il ne peut être synonyme que de perte de l'être au profit de l'avoir. Du juste usage du mépris L'argent comme moyen de réponse aux besoins premiers : pour reprendre la partition d'Epicure, il est des désirs naturels et nécessaire à la vie, comme le sommeil ou la nourriture.

Or, pour obtenir cette dernière, il ne nous est point permis de mépriser l'argent.

La doctrine épicurienne, ainsi, ne prétend pas atteindre un idéal ascétique, puisqu'il n'est pas question d'ôter des conditions de la vie le strict minimum à la bonne tenue du corps.

Mépriser entièrement l'argent, ce serait se tenir hors du monde, rejeter son usage, et ainsi se passer de nourriture par exemple, constituerait une douleur supplémentaire qui nous éloignerait de l'ataraxie, du bonheur. Mépris et dépendance : si l'ordre des franciscains vit dans la plus totale pauvreté, dans le mépris de l'argent et la quête de l'aumône, si l'idéal ascétique se trouve ainsi à son apogée, coupant tout lien avec la matérialité, il n'est guère possible, dans un système capitaliste, d'envisager un dénuement absolu.

Comme le souligne Marx, le travail est générateur de profit, mais il devient également générateur de l' identité sociale : travailler, gagner de l'argent, c'est exister aux yeux de tous.

Aussi la perte de l'emploi et la perte du revenu qui lui est liée sont-ils synonymes non seulement d'une perte de pouvoir d'achat mais aussi d'une perte de repères dans la société : quémander l'argent produit par le travail d'autrui revient à se rabaisser face à ses semblables.

Sans argent, pas d'autonomie de fait, et ainsi le sentiment de retour à l'enfance entretenue par le parents.

Mépriser l'argent reviendrait à accepter un état de dépendance infantilisant vis-à-vis de la communauté. Mépriser l'argent au profit de valeurs nouvelles Le don : à la différence des échanges effectués par l'intermédiaire de l'argent, le don, souligne Derrida dans Donner le temps s e caractérise par le secret autour duquel il s'effectue : car donner, réellement, implique l'inexistence d'un acte en retour, voire l'impossibilité d'une réciprocité.

En d'autres termes, même si l'argent est au cœur d'un don, il est aspiré par l'acte même.

De sorte que les rapports au sein d'une communauté, voire la question même de la communauté et des échanges qui s'y effectuent doivent être entièrement revus : donner, c'est effectuer un acte qui permet d'échapper secrètement à la société capitaliste, c'est effectuer un acte révolutionnaire. Argent et désintéressements ? : il est possible par ailleurs, au sein même des liens marchants, de considérer une valeur qui les dominerait : dans sa Métaphysique des Mœurs, Kant donne l'exemple d'un marchand qui aurait la possibilité de gagner plus d'argent en augmentant le prix d'un article auprès d'un client non averti.

Ce qui l'en empêche : le principe moral, ou pour mieux dire la volonté bonne qui l'anime.

Dans une société qui placerait en son cœur le respect de certains impératifs moraux (tel le traitement de l'être humain comme fin et jamais comme moyen), le mépris de l'argent intervient naturellement au profit d'une mise en valeur de la personne et du droit.

Si nous méprisons ouvertement l'argent, au sens où nous pouvons tenir un discours activement dépréciatif, c'est que nous ne nous préoccupons pas des conditions manquantes à l'établissement d'une société dont le souci premier serait la personne humaine.

Mépriser l'argent, c'est encore introduire une négativité là où il serait éthiquement plus juste d'établir un discours axé sur les valeurs de la personne. Au terme de cette analyse, il apparaît clairement que s'il nous est possible de mépriser une attitude envers l'argent qui consisterait à l'aborder comme une fin en soi, il nous est difficile de nier son importance en tant que moyen : l'argent ne génère pas uniquement une course effrénée vers l'avoir aux dépends de l'être, il est également le moteur de relations sociales, d'échanges non commerciaux.

Le mépris dénué de toute considération positive nous restreint à une négativité pure, alors qu'une réflexion sur le rapport à l'argent nous incite à considérer la possibilité de nouveaux modes d'échange, et une redéfinition de son mépris : mépriser l'argent au profit de… (ici nous avions évoqué le don ou le développement de la moralité) permet une construction nouvelle de liens dans la communauté.. »

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