Doit-on enterrer le passé ?
Extrait du document
«
Problématique envoyé par l'élève: On enterre généralement les morts ou ce qui est mort.
En tout cas, telle
est une des réactions que nous avons avec ce qui n'est plus.
Or, le passé se définit bien comme ce qui a été mais
n'est plus.
Pour reprendre une des détermination que Aristote lui donne au livre 4 de la Physique, le passé est un
non-être.
Dès lors, enterrer le passé consisterait à avoir à son égard une réaction assez simple et évidente.
Au
contraire, celui qui n'enterre pas le passé, qui vit dans le passé n'ayant pas compris que ce dernier est mort, semble
bien critiquable assimilé à l'homme nostalgique.
Vous pouvez montrer en quoi la nostalgie paralyse l'action.
Vous
pouvez également vous reporter aux analyses de Freud dans « Deuil et mélancolie » lorsqu'il montre la nécessité du
deuil pour continuer à vivre.
Vous pouvez également penser à la critique que Pascal fait dans les Pensées des
hommes qui ne vivent que dans le passé ou l'avenir ignorant le présent et qui, de la sorte ne vivent pas heureux.
Vous trouverez le texte sous la rubrique « Textes » de l'espace terminale.
Pensez également à cette célèbre formule
qui dit que les peuples heureux n'ont pas d'histoire.
Pourtant, en enterrant le passé ne risque-t-on pas aussi de
l'oublier ? Or, le passé n'est-il pas aussi ce qui nous constitue, ce qui fait notre histoire ? Vous pouvez penser ici au
devoir de mémoire par exemple.
Il faut dès lors se demander ce qu'on peut entendre par « enterrer ».
En effet, on
peut enterrer pour oublier, mais on peut aussi enterrer pour célébrer.
Enterrer les morts ne consiste pas
nécessairement à les oublier, pour reprendre notre point de départ, mais peut consister à les honorer.
Dès lors, il
s'agit de se demander quel rapport nous devons entretenir avec le passé.
Enterrer quelque chose ou quelqu'un, c'est l'enfouir dans la terre, entendons loin de soi, de la surface visible.
Une
bonne part des choses que nous enterrons le sont pour la simple raison qu'elles ne peuvent et ne doivent pas rester
accessible au regard.
On enterre ce qui doit rester secret, ce qui doit être tû.
Si l'on prend l'exemple d'une corps, sa
décomposition et tout l'aspect déplaisant que cela représente, échappera à notre regard.
Mais si l'on prend cet
exemple comme modèle d'enterrement, nous sommes à vrai dire bien vite surpris.
Le corps que l'on enfouie sous
terre n'est pas pour autant oublié.
Il a une destiné en dehors de son cercueil, les hommes à la surface continuent
de se le représenter.
Comme nous le rappelle Edgar Morin dans son ouvrage L'homme et la mort, il y a une
étonnante proportion entre le temps de décomposition d'un cadavre, et celui du deuil du disparu.
Ce qui se passe
sous terre en terme biologique, ou physico-chimique, se retransmet dans le même temps en termes mentaux chez
ceux qui continuent de vivre après le décès de leur proche.
Nous n'oublions pas ce que nous enterrons, nous lui
donnons un autre sens.
Le fait qu'il demeure loin des yeux entraîne l'esprit à créer des représentations nouvelles,
détachées de la réalité empirique.
Le corps décomposé est oublié au profit de l'apparition d'autre chose, les
souvenirs par exemple qui survivent dans l'esprit de ceux qui ont partagé son existence, sa destiné dans un paradis
ou un enfer religieux.
Une coutume japonaise consistait à planter un arbre près du corps que l'on enterre: ainsi, la
sève, l'écorce seraient nourris du processus de décomposition du cadavre.
L'homme mort continuerait de cette
façon à exister à travers la croissance et la vie de l'arbre planté: ce qui est laissé en hors-champ continue ainsi à
inspirer ce qui se passe au coeur du champ, l'absence continue de se signaler à travers l'existence de ceux qui
survivent mais sous une autre forme, une forme adaptée.
Il s'agit donc de ne pas confondre « enterrer » son passé
et « l'oublier »: nous le voyons, enterrer quelque chose n'implique pas forcément qu'il disparaisse de notre esprit,
mais plutôt qu'il persiste sous une autre forme.
Nous nous poserons peut-être même la question de savoir si nous
n'enterrons pas les choses pour mieux nous les représenter, si nous ne les cachons pas pour mieux les voir?
I.
La psychanalyse: une quête de lucidité
Que nous le désirions ou non, notre esprit demeure selon la psychanalyse, un
fossoyeur.
Il enterre malgré nous, parfois même sans même que nous nous en
rendions compte, certains épisodes de notre existence, qui demeurent ainsi
hors de nos souvenirs.
Le fait est que certaines choses représentent un
danger grave pour le maintient de l'équilibre psychique, ils génèrent un
déploiement d'énergie psychique trop intense pour être conservés dans le
champ de la conscience.
Ils sont ainsi refoulés dans une zone qui demeure
inaccessible à la conscience: l'inconscient, encore appelé dans la deuxième
topique freudienne le ça.
Cette dynamique de l'oublie serait « pratique » si
elle ne représentait pas un revers plus inquiétant.
Ce qui se charge en nous
de ce mécanisme de refoulement, c'est une censure, le surmoi qui incarne en
notre esprit l'intériorisation des règles et lois parentales et sociétales.
Avant
d'aller plus en avant, analysons deux exemples freudiens dans les Cinq leçons
sur la psychanalyse, et tentons de comprendre pourquoi l'esprit ne parvient
en fait jamais à éradiquer ce qui le dérange.
Notre premier exemple concerne une patiente de Freud qui présente des
troubles psychiques depuis la disparition de sa propre soeur.
A première vue,
on est facilement tenté croire qu'il s'agit d'un deuil difficile.
En vérité, Freud
apprend bien vite que sa patiente nourrissait des sentiments très forts pour le
mari de sa soeur.
Lorsque cette dernière est décédée, sa première et plus
spontanée pensée fût de se dire « Maintenant, il est enfin pour moi ».
Ce qui
représente en cette patiente les règles morales socio-parentales, l'encouragea bien vite à occulter définitivement
cette « horrible » pensée avec une force terrible, si bien que ce fût l'entièreté des sentiments qu'elle nourrissait à
l'endroit de son beau-frère qui furent enterrés, rejeté dans son inconscient.
Mais cette patiente souffre aujourd'hui
de cette occultation, ce qui nous amène au deuxième exemple freudien..
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